Cotonou - Lorsque Bolloré a repris en main le chemin de fer béninois en avril 2014, les cheminots de la gare de Cotonou étaient "plein d'espoir". Il fut de courte durée: fin 2015, la justice ordonnait l'arrêt des travaux, laissant le rail du Bénin retomber dans la désuétude.
Dans la gare de Cotonou, un train rouillé des années 1960 importé de France se met douloureusement en branle. 600 tonnes de marchandises partent vers
Parakou, à 430 kilomètres de là. "S'il n'y a pas de panne, il arrivera dans 12 heures", lance à l'AFP Marcel Agon, chef de gare de Cotonou depuis 1985. Seule une vingtaine de trains commerciaux quittent la petite gare tous les mois. Entre chaque départ, les cheminots n'ont rien d'autre à faire que de regarder le temps passer.
Pourtant, un train de voyageurs neuf importé de France, avec ses sièges bleus et ses bandeaux lumineux, est à quai. Mais il n'a jamais quitté la capitale économique du Bénin.
En novembre 2013, les chefs d'Etat du Niger et du Bénin avaient pourtant décider de créer Bénirail, une multinationale avec le groupe français Bolloré comme partenaire stratégique.
En à peine trois mois, BAL (Bolloré Africa Logistics) avait rénové la gare, payé les arriérés de salaires, et importé le matériel ferroviaire pour relier Cotonou à Niamey (Niger), avec le projet ultime de voir une voie de chemin de fer qui s'étendrait d'Abidjan au Bénin.
Tout s'est passé vite. Un peu trop vite, du goût du rival béninois de BAL, le milliardaire Samuel Dossou, PDG de Pétrolin, qui s'est dit "dépossédé" de son projet et a porté plainte contre Bolloré.
C'est "un projet qu'il (M. Dossou) a initié lui-même et dont il a assuré, sur fonds propres, les frais d'études", s'était ainsi insurgé à l'époque Claudine Afiavi Prudencio, membre du conseil d'administration et épouse de M. Dossou, citée dans un journal local.
Le temps où "l'on peut piétiner les droits des hommes d'affaires béninois chez eux" est "révolu", avait-elle martelé.
Samuel Dossou tente de récupérer le rail béninois depuis 2004, date de la libéralisation de l'OCBN (Organisation Commune Bénin Niger des Chemins de Fer et des Transports). Mais par manque de fonds, les appels d'offre n'ont jamais été honorés jusqu'en 2010, année où M. Dossou négocie avec les deux Etats d'intégrer le chemin de fer dans un projet d'infrastructures colossal surnommé "épine dorsale", comprenant notamment un port en eau profonde et un nouvel aéroport.
- Guêpier -
Les études sur le rail sont faites, mais, selon Gustave Sonon, ex-ministre des Travaux publics en charge du dossier dès juin 2015, "Dossou n'avait pas les ressources".
"Lorsque je suis arrivé au gouvernement, j'avais le choix de laisser continuer Bolloré ou de bloquer totalement le projet", confie M. Sonon à l'AFP. "Ça avait bien avancé; c'est à ce titre que j'ai un peu forcé les choses".
De l'autre côté de la frontière, le Niger est à l'époque en pleine campagne électorale. Le groupe Bolloré commence à poser 150 kilomètres de rails dans un pays totalement enclavé qui a un besoin crucial d'accès à la mer.
Les Nigériens "menaçaient de construire une voie de chemin de fer via le Togo et d'abandonner le port de Cotonou si le Bénin ne choisissait pas Bolloré", déclare une source proche du dossier. "De toute façon, tout se négociera à Paris" entre les différentes parties au dossier, estime cette
source.
Mais le 19 novembre 2015, la cour d'appel de Cotonou a donné raison à M. Dossou, ordonnant "la cessation de tous travaux entrepris" dans la "minute d'exécution". BAL n'avait en effet aucune autorisation juridique pour commencer les travaux.
Depuis, 500 km de rails neufs, entreposés dans la gare, attendent d'être posés et s'oxydent au soleil.
Ni Petrolin, ni BAL n'ont souhaité répondre aux questions de l'AFP. Mais le nouveau président béninois, Patrice Talon, a assuré que des négociations étaient en cours lors d'un point de presse à son retour d'un déplacement à Paris, où il a rencontré M. Bolloré.
"Ce qui a été fait jusque-là a beaucoup de failles puisque cela s'est fait dans la précipitation", a reconnu M. Talon. "Nous allons sortir très bientôt de ce guêpier", a-t-il promis.
Marcel Agon, le vieux chef de gare, rêve qu'un compromis puisse être trouvé "dans deux ou trois ans". "Si Dieu le veut, avant ma retraite, je verrai cette gare remplie de voyageurs et mon pays avancer", confie-t-il.
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