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Consultation du peuple avant le Parlement sur les réformes institutionnelles : «Ce sera un contournement de la Constitution», dixit Pr Gnamou
Publié le mercredi 17 aout 2016  |  Matin libre
Dandi
© aCotonou.com par CODIAS
Dandi Gnamou, Professeur agrégée en Droit Public / Relations internationales, ce vendredi 27 Mars 2015 à la Maison Des Médias Thomas MEGNASSAN, causerie débat CAFE MEDIAS PLUS SPÉCIAL 1 An
Echange autoure des themes : "La place du Bénin dans le concert des Nations : Décentralisations, Développement et élections", et La gestion de l`information par les médias en période électorale"




Le 31 juillet dernier, veille de la fête de l’indépendance du Bénin, lorsque le chef de l’Etat, Patrice Talon a dévoilé qu’il organisera un référendum avant de saisir les députés à propos du projet de révision de la Constitution, c’était un murmure général. Dans l’opinion, la démarche paraît inédite et curieuse surtout pour les « ignares » des dispositions constitutionnelles. Dans un entretien exclusif accordé à votre quotidien Matin Libre, l’Agrégée des Facultés de droit, Dandi Gnamou a donné son avis technique sur le sujet. La Constitutionnaliste a déclaré que procéder ainsi, c’est contourner la Constitution du 11 décembre 1990. Lire l’interview.


Matin Libre : Le Chef de l’Etat a délivré le 31 juillet dernier un message à la Nation. Dans son discours, il a repris les grandes lignes des propositions faites durant la campagne électorale. Quelle appréciation portez-vous sur ce message?

Professeur Gnamou : Je n’ai pas d’appréciation particulière à apporter sur le discours prononcé par le Chef de l’Etat si ce n’est qu’il a repris les préoccupations qui sont les siennes dans la mise en œuvre de son programme présenté lors de la campagne électorale. Ce qui m’a paru intéressant, c’est la réforme des institutions de l’Etat. Il y a quelque chose qui est par contre curieux, c’est le fait d’avoir décidé d’organiser un référendum avant de soumettre son projet de réformes à l’Assemblée nationale.

Le Chef de l’Etat a décidé, comme vous le souligniez, de consulter le peuple à travers un référendum avant de saisir l'Assemblée nationale. Quelle analyse en faîtes vous en tant que Constitutionnaliste?

La méthode est assez curieuse parce qu’en réalité, on a le référendum législatif et le référendum constitutionnel. On a le référendum d’initiative populaire qui n’est pas prévu dans notre Constitution. Mais pour ce qui est du référendum législatif qui est prévu à l’article 58 de notre Constitution, il s’agit d’un référendum qui sert à interroger le peuple sur l’intégration régionale ou sous régionale, les droits de l’homme et l’organisation des pouvoirs publics. Mais c’est censé avoir simplement une valeur législative. Pas une valeur constitutionnelle. Donc c’est assez curieux de décider d’utiliser la voie du référendum législatif. Ceci dit, en France dans le cadre de l’article 11 de la Constitution de 1958, le président De Gaulle avait initié une révision de la Constitution en utilisant le référendum législatif. Cette procédure a été fortement critiquée. La majorité de la doctrine a considéré et continue de considérer que cette procédure pour réviser la Constitution est anticonstitutionnelle même si ce cas d’espèce a été retenu. Il a été retenu aussi parce que le Chef de l’Etat avait mis en jeu sa propre responsabilité politique, ce qui veut dire qu'il a lié son maintien au pouvoir à l'accord du peuple pour l'élection au suffrage universel direct du Président de la République qui jusque-là était élu par un collège. Si la réponse du peuple était négative, il se devait de démissionner, ce qu'il a fait en 1969 pour une autre consultation référendaire. Aujourd’hui, il est clair que si on décide de faire la révision de la Constitution, il y a une procédure qui est prévue. La procédure des articles 154 et suivants. Et c’est cette procédure qui doit être respectée. Sinon, ce sera un contournement de la Constitution, une forme de fraude à la Constitution. Mais il faut savoir ce que le Chef de l’Etat va mettre dans le contenu du référendum législatif. Est-ce pour demander simplement au peuple s’il est d’accord pour qu’on aille à la révision? Ou, va-t-on lister les différents points que veut modifier le Chef de l’Etat y compris les points en principe non révisables par le pouvoir constituant dérivé et demander au peuple de décider? Dans ce dernier cas, on ne voit pas pourquoi on retournerait devant l’Assemblée nationale. Il faut savoir que notre ordonnancement juridique met en place un cadre pour la révision de la Constitution et une loi organique fixe les conditions de recours au référendum. Le juge constitutionnel veille à la régularité du référendum ; le juge constitutionnel qui dans sa décision du 20 octobre 2011 a bien dit que l’on ne peut pas soumettre au référendum certaines questions dont la limitation à deux du mandat présidentiel. Si on doit respecter le droit constitutionnel béninois, le référendum législatif doit être examiné par le juge constitutionnel. Il faut qu’il donne son avis pour la mise en place des opérations de référendum. Je vois mal le juge constitutionnel qui a pris la décision du 20 octobre 2011 et qui a permis la modification de la loi organique et l’adoption d’une nouvelle loi organique en janvier 2012, accepter ne plus vérifier les normes intangibles dont la limitation à deux du mandat présidentiel.

Mme le Professeur, quand on fait recours au référendum, c’est pour modifier un ordonnancement juridique donné. Est-ce possible que le Chef de l’Etat consulte le peuple sans que les résultats de ce référendum n’aient d’effets directs sur le droit positif national ?

En principe, non. Mais le référendum législatif, c’est une consultation directe du peuple, pour rester dans la hiérarchie des normes, équivalente à celle de la loi. Ce qui veut dire que quand le peuple a donné son avis, dans le cadre de l’article 58, la Constitution reste toujours supérieure à cet avis qui est donné. Ça peut juste donner l’indication selon laquelle, le peuple souhaite la modification de la Constitution. Mais la procédure de révision de la Constitution doit respecter la Constitution elle-même. Il n’est pas possible d’utiliser l’article 58 pour réviser la Constitution. On doit faire la distinction entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé et faire la distinction de ces pouvoirs et le pouvoir législatif ordinaire. Ici, le référendum législatif, c’est le pouvoir législatif ordinaire. C’est comme si on vous demandait si vous êtes d’accord pour l’augmentation de la Tva sur les boissons de 5,5% à 20%. Au lieu que ce soit l’Assemblée nationale qui le fasse, on va directement vers le peuple. Il y a le niveau supérieur, le pouvoir constituant originaire ou dérivé. Le pouvoir constituant originaire, c’est celui qui crée la Constitution, fonde la Constitution. Il y a des cas spécifiques où cela se passe. On parle souvent de révolution, création de nouvel Etat, crise importante, bouleversement de l’ordre juridique. Ce pouvoir a le droit de tout faire, de décider dans un cas précis. Quant au pouvoir constituant dérivé, il est limité puisqu’il doit respecter la Constitution. C’est non seulement ce qui est écrit mais aussi ce qui est expliqué par celui qu’on appelle l’interprète authentique de la Constitution c’est-à-dire le juge constitutionnel. Le pouvoir constituant dérivé ne peut donc pas modifier la Constitution sans respecter les normes intangibles. Les normes intangibles s’imposent à lui.

Le Chef de l’Etat peut-il bouleverser l’ordre juridique actuel et proposer une nouvelle Constitution?

Qu’est ce qui motiverait cela ? Je reste purement en droit. Il y a les conditions dans lesquelles on décide de proposer une nouvelle Constitution. Alors, le Roi peut-il décider de tout changer pour son bon plaisir ? Je vous dis non. Ça ne serait pas constitutionnellement acceptable. Ça serait même contradictoire avec la parole du Chef de l’Etat ; le Chef de l’Etat qui souhaite mettre un terme à l’hyper présidentialisation. Le faire pour son bon plaisir serait la révélation même de l’hyper présidentialisation. Et je ne crois pas que ce sera le choix du président Talon.

Propos recueillis par Allégresse SASSE
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