« Je n’ai pas de leçon à donner au Chef de l’Etat. Je pense qu’il sait ce qu’il a à faire. Mais je pense que l’indifférence est aussi une cruauté. J’observe que la Ministre de l’enseignement supérieur n’a rien dit, le Chef de l’Etat non plus n’a rien dit publiquement sur la crise. Cela frise de l’indifférence. Et moi, je suis inquiet quand j’observe ça.» Ce sont là, les conclusions de l’interview que l’écrivain et promoteur culturel, Ousmane Alédji nous a accordé sur la crise qui secoue actuellement l’Université. Une crise qui menace, selon ses explications, l’avenir des jeunes et surtout la paix pour laquelle il s’est engagé aux côtés du professeur Albert Tévoédjrè, en juillet 2016 dernier, initiant une pétition internationale. Dans cet entretien, il livre quelques chiffres sur la pétition et dévoile les profondes motivations de cette initiative qui se veut un outil de paix entre les mains de chaque citoyen du monde. Lisez donc !
L’Evénement Précis : Les acteurs culturels ont envahi ce mercredi 24 août 2016, le Ministère de l’économie et des finances pour protester contre l’abattement des milliards culturels. Vous n’étiez pas à leurs côtés. Peut-on retenir que vous ne partagez pas leur combat ?
Ousmane Alédji : Je crois qu’en esprit, nous sommes tous d’accord pour dire que ce traitement est maladroit. Il ne faut pas avoir la langue de bois. Je ne suis pas dans la rue parce que j’estime que quelques fois, même au front, il faut savoir laisser la place à d’autres. Le moment viendra où je parlerai. Soyez rassuré. Pour l’instant, j’observe et je prends note. Le moment de l’expression, le moment des débats viendra. Et nous serons là pour débattre.
Vous vous êtes engagé depuis juin 2016, aux côtés du Professeur Albert Tévoédjrè avec une pétition dénommée « la paix par un autre chemin ». Vous envisagez pour cette pétition d’ailleurs, 1 million de signatures. Environ trois mois après le lancement officiel du projet, à combien de signatures êtes-vous ?
Avant d’en arriver à votre question, permettez-moi de remercier ceux qui adhèrent à cette cause. Il ne s’agit pas que de signature, il s’agit de s’engager. L’Etat béninois à travers son soutien à l’initiative africaine de la paix par le dialogue interreligieux et interculturel que conduit le Professeur Tévoédjrè toute ma gratitude. La pétition est une émanation de cette initiative. Merci à M Pierre Ezin, notre ancien représentant à la CEDEAO. Il était récemment en Centrafrique pour présenter cette pétition au Président centrafricain, le Professeur Albert Tévoédjrè est lui-même actuellement au Gabon pour des offices de paix et pour présenter cette pétition aux autorités et aux chapelles politiques gabonaises. Au Bénin, cette pétition a reçu l’onction de quelques membres du gouvernement qui l’ont signée, notamment le ministre d’Etat Koupaki et le ministre des affaires étrangères, monsieur Agbénonci et tous les membres de son Cabinet. J’espère que l’Etat béninois et son chef vont porte avec nous, cette cause jusqu’au bout. Car, il ne s’agit pas d’une simple question de signature, mais d’une cause, de l’engagement.
Au jour d’aujourd’hui, combien de signatures avez-vous déjà enregistrées ?
Nous tournons actuellement autour de 4.000 signatures. Et je dois préciser que ça, c’est seulement Cotonou. Nous n’avons pas encore fait le point des signatures venant de l’intérieur du pays. Or, nous avons des gens à Porto-Novo, à Abomey et à Parakou qui collectent des signatures. Nous allons faire un premier rappel des registres bientôt. Je pourrai vous donner des chiffres précis.
On a bien l’impression que votre pétition ne cible que les leaders politiques et les leaders d’opinion. On dirait que pour vous, le citoyen lambda n’a pas sa place dans l’engagement pour la paix.
Non, pas du tout. C’est tout à fait le contraire. Nous utilisons les leaders d’opinion, les leaders politiques, les responsables des communautés et les têtes d’affiche pour mobiliser rapidement et largement le grand nombre. C’est pour ça que nous avons mis en place, le système d’enregistrement et de collecte dans les registres. Sinon, on dirait simplement d’aller sur le site Internet créé à cet effet pour signer. Alors que nous savons que c’est à peine 3% des Béninois qui ont accès à l’outil informatique. Et dans ces 3%, il y en a peu qui ont accès à l’Internet et dans ce lot encore, il y en a peu qui sont intéressés par la problématique. La stratégie de mobilisation s’appuie donc sur les leaders. C’est pour cela que vous avez cette impression.
Si vous avez les 1 millions de signatures attendues, quelle sera la finalité ?
Nous ne sommes pas naïfs. La raison d’être même de l’Organisation des Nations Unies (ONU), c’est la préservation de la paix dans le monde. Et des choses se font dans ce sens depuis une éternité. A la lumière de ce qui se passe aujourd’hui, vous voyez bien que ces mécanismes ont montré leurs limites. Notre univers est de plus en plus en feu. La violence est partout. Le nombre de gens qui n’ont plus rien à perdre augmente tous les jours. Il nous faut donc changer de méthode. Nous avons besoin de 500 mille signatures pour faire inscrire à l’ordre du jour des sommets réunissant les chef d’Etat et de gouvernement et les amener à débattre du sujet. C’est notre façon de les amener à agir.
En quoi faisant par exemple ?
En défendant notre thèse au niveau des Nations Unies et en insistant pour que cette thèse fasse l’objet d’une résolution des Nations Unies. Et vu que la thèse va faire l’objet d’une mobilisation des Nations Unies, on peut espérer mobiliser derrière, des financements pour intervenir à titre préventif dans les lieux de conflits et les foyers de tension en y semant des infrastructures sociocommunautaires et utilitaires . Parce que la misère, le dénuement, la grande pauvreté sont des facteurs de conflits et de violences dans le monde. Quand les communautés peuvent boire à la même source, peuvent fréquenter les mêmes écoles et hôpitaux, elles n’auront du mal à s’entretuer à coup de machettes.
L’une des principales menaces pour la paix dans le monde aujourd’hui, c’est bien le terrorisme international. Et nous savons très bien que ce sont des extrémistes qui ne transigent pas avec leur idéologie. Quels impacts cette éventuelle résolution de l’ONU pourrait avoir sur ces terroristes qui font trembler aujourd’hui le monde ?
Comme vous l’avez mentionné, le terrorisme est l’une des formes de violence que nous observons aujourd’hui dans le monde. Il n’est pas le seul et fait moins de victimes que les guerres que nous observons, les rebelions qui se forment. Regardez ce qui se passe en Centrafrique, au Congo RDC, en Syrie, ce qui s’est passé en Côte-d’Ivoire. Maintenant, Le terrorisme, parlons-en. Où est-ce que les djihadistes vont-ils faire leurs recrus ? C’est bien au sein d’une catégorie de gens très pauvres, des jeunes qui n’ont plus rien à perdre. Autrement dit, avant que leur débat ne devienne religieux, il est d’abord humain. L’écart entre les pauvres des différents continents est infini. Tout cela doit donc nous interpeller. Les prédations financières sont aussi des facteurs de violences. Quand un avion vous survole pour aller charger frauduleusement l’or et le diamant chez vous alors que vous, vous n’avez pas à manger, bien qu’étant propriétaire de diamant et d’or, cela finit par vous révolter. Evidemment, ce sont des sujets que personne ne veut aborder.
Pourquoi ?
Ainsi va notre monde.
Vous êtes devenu idéaliste.
Oui. Et vous ? Vous ne vous êtes jamais demandé quel monde nous allons laisser à nos enfants. Voilà… la pétition. Ce n’est pas être idéaliste c’est s’investir, espérer.
On vous connaît comme rebelle de par vos positions sur des questions d’actualité. Aujourd’hui, vous vous engagez aux côtés des gens qui constituent inévitablement des lobbies. Et là, on a bien peur de perdre le « Ousmane Alédji » que nous connaissions particulièrement libre de ses opinions. Avons-nous des raisons d’avoir ces craintes ?
Effectivement, je réalise de plus en plus que ma liberté d’expression est un peu altérée. Je m’abstiens d’opiner pour l’instant sur des sujets politiques pour ne pas compromettre la nouvelle dynamique que je porte et qui me semble prioritaire. Je sacrifie donc un peu de cette part de ma liberté pour porter une cause qui me semble urgente et noble. Vos craintes sont justifiées. J’avoue que ça me gratte et me gratte de partout. Mais quand vous portez un élan, que des milliers de gens vous font confiance, vous faites attention mais je ne range pas mes convictions pour autant.
Puisque nous parlons de la paix, nous allons aborder la crise qui secoue actuellement l’Université d’Abomey-Calavi. Quel regard critique portez-vous sur la situation ?
Je vous remercie sincèrement pour cette question. Parce que c’est un sujet de préoccupation majeure pour moi, grand apôtre de la paix devant l’éternel Bénin (rires). Je pense que j’ai tiré la sonnette d’alarme, un certain nombre de fois. Et j’observe malheureusement qu’on ne bouge pas. L’université n’est pas une République à part. J’ai même le sentiment qu’on banalise le danger. Nul de bien sensé ne joue avec l’éducation de ses enfants. A votre avis, pour qui vous et moi et nos gouvernants travaillons ? Pour qui nous battons-nous ? Je pense que nous nous battons pour nos enfants, pour l’avenir. Le développement de notre pays, l’avenir de notre pays, c’est notre jeunesse, nos enfants. Alors , faisons attention à ne pas abuser de nos pouvoirs et privilèges aux dépends de l’avenir de nos enfants et du développement de notre pays.
Que doit faire l’Etat ?
L’Etat doit prendre ses responsabilités. Quand on est un pays pauvre, très endetté, on n’accepte pas de perdre à la fois du temps, de l’argent et la paix sociale, sans bouger le moindre petit doigts. C’est un avis.
Quelqu’un qui perd une année n’a pas perdu que l’année. Il s’est appauvri et il a appauvri ses parents. Parce que éduquer est aussi une question d’investissements sérieux.
Vous accusez alors le rectorat qui a pris la décision d’invalider l’année académique à la Faculté des lettres, arts et sciences humaines (FLASH) pour tant de cours non respectés à cause des mouvements de blocage des activités académiques menés par les étudiants.
Je n’accuse personne. J’invite le rectorat à faire preuve de hauteur d’esprit et de capacité d’écoute et de dialogue. Car, les raisons évoquées pour invalider l’année me semblent faibles. Si nous avons perdu de temps à nous distraire dans des malentendus, alors, nous n’avons pas droit à des vacances. C’est simple. Et un enfant qui demande une deuxième chance à son père n’a rien fait de mal. On ne peut pas le bastonner ou le jeter pour ça. Je ne suis pas d’accord avec ce traitement qu’on inflige à nos enfants. Je n’ai rien contre le recteur ni contre les enseignants. Ils ont du mérite, la nation sait ce qu’elle leur doit et je les remercie de s’occuper de leurs enfants jusqu’au bout. Aucune punition n’est défendable quand elle tend à sacrifier l’enfant. L’échec est facteur de déscolarisation. On augmente le nombre de délinquants, de chômeur et de braqueur. On crée l’instabilité à l’échelle d’un pays. Sans le savoir, sans le vouloir. Qui répondra de ça ?
Les autorités rectorales estiment qu’au nom de l’autonomie dont dispose l’Université, l’Etat central n’a pas le droit de s’ingérer dans la crise. Quel commentaire faites-vous de ce propos ?
J’insiste : l’Université n’est pas une République à part. Personne ne sera d’accord avec le Chef de l’Etat s’il demandait à jouer les scientifiques sans en avoir la qualité et les compétences. Mais là, c’est le Chef de l’Etat qui répond devant le peuple souverain qui l’a mandaté pour son mieux être, pour faire reculer la pauvreté, pour vivre en paix. Si un recteur le déclare impuissant à assumer cette charge et qu’il l’accepte, alors là, il aura fait preuve de faiblesse. Je crois qu’il ne dit pas tout haut ce qu’il fait mais qu’il ne se laissera pas faire.
Que lui suggériez-vous ?
Il n’est pas convenable de laisser cette crise perdurer. On perd du temps. Derrière chaque jeune, il y a au moins deux à trois personnes, les deux parents, un cousin ou une sœur, quelque part. Ils sont 50 000 au moins. Je ne souhaite pas le voir frustrer tout ce monde par inaction. Deuxièmement, l’éducation absorbe entre 20 à 25% du budget national. Autrement dit, l’éducation coûte à l’Etat chaque année, entre 200 à 300 milliards de francs cfa. Voulons-nous sacrifier tout ça ? C’est trop cher payé pour un pays pauvre comme le nôtre.
En guise de conclusion, dites-nous si vous avez des raisons d’espérer lorsque vous observez les actes que posent les nouvelles autorités qui ont aujourd’hui en charge, la gestion de la chose culturelle ?
La culture… Permettez-moi de réserver ma réponse à cette question pour une autre fois. Je souhaite plutôt conclure sur la crise qui secoue l’Université. Je n’ai pas de leçon à donner au Chef de l’Etat. Je pense qu’il sait ce qu’il a à faire. J’observe que la Ministre de l’enseignement supérieur n’a rien dit, le Chef de l’Etat non plus n’a rien dit publiquement sur la crise. Cela frise l’indifférence et l’indifférence est aussi une cruauté. Nos jeunes ne méritent pas ça.
Propos recueillis par Donatien GBAGUIDI