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Gervais Loko, consultant chercheur pour l’évaluation du SNI du Bénin: « L’impunité est l’une des faiblesses de notre système de déclaration de patrimoine »
Publié le lundi 29 aout 2016  |  La Nation
Le
© Autre presse par DR
Le gouvernement Talon






La réforme de la déclaration de patrimoine au Bénin est l’une des recommandations de l’évaluation du Système national d’intégrité (SNI), effectuée en juillet dernier par Transparency International, sur demande du ministère en charge des Finances, avec le soutien financier de l’Union Européenne. Gervais Loko, consultant chargé de programme à Alcrer, l'une des organisations commises à cet exercice, expose les lacunes du système de déclaration du patrimoine au Bénin.

La Nation : Que propose l’étude sur le Système national d’intégrité (SNI) pour corriger la situation actuelle en matière de déclaration de patrimoine ?

Gervais Loko : Nous avons d’abord fait le constat que toutes les personnes soumises à l’obligation de déclaration de patrimoine ne respectent pas la loi. Pis, celles qui violent les textes ne sont pas punies. Sur ce constat, l’étude du SNI a proposé que les sanctions soient appliquées contre les contrevenants.
Deuxième constat : nous avons rencontré des gens qui étaient surpris d’apprendre qu’ils étaient concernés par l’obligation de déclaration de leur patrimoine. Certains, bien que conscients de leur devoir, ne savaient pas précisément comment cela devrait se passer et comme les institutions chargées d’appliquer la loi ne font presque aucune pression, ils ont négligé de faire les déclarations.
Troisième constat : le système de déclaration en lui-même est très perfectible sur certains points. Aujourd’hui, lorsque la déclaration est faite, aucun contrôle n’est fait pour apprécier l’évolution indue des patrimoines. Les gens envoient des formulaires remplis sous plis fermés et, en général, ces plis ne sont pas ouverts pour voir s’il y a eu de fausse déclaration ou s’il y a eu de l’enrichissement illicite pendant le temps où ils ont exercé une charge publique. Ce qui fait que le système actuel relève purement et simplement de l’artifice : c’est comme si c’est une procédure cosmétique.
La liste des assujettis pose aussi problème ; elle est trop longue ; une étude en 2014 a parlé d’un millier de gens appelés à déclarer leur patrimoine ; en l’état actuel des ressources de la Cour suprême et dans le contexte où les Chambres des comptes des Cours d’appel ne sont pas opérationnelles, cela est ingérable. A ce niveau, nous avons proposé que cette liste soit rationalisée en privilégiant les secteurs corruptogènes ou les personnes politiquement exposées au phénomène de l’enrichissement illicite.
Nous nous sommes également interrogés sur l’efficacité du nombre de déclarations à faire : au Bénin, c’est deux, une fois à l’entrée et une autre fois à la sortie de la fonction. Alors que les normes internationales plaident pour qu’il y ait aussi des contrôles réguliers tout au long de l’exercice du mandat.
Globalement, après avoir fait les constats, nous avons jugé nécessaire de proposer une réforme du système national de déclaration destinée à rendre les déclarations effectives, sincères et publiques dans le Journal officiel et la presse.
Nous avons également proposé la mise en place d’une plate-forme de numérisation des déclarations de patrimoine car, à l’allure où vont les choses actuellement, on finira par manquer d’espace pour gérer la paperasse liée à cette procédure. Il importe aussi qu’il y ait une connexion entre le système de déclaration de patrimoine et le système de déclaration des impôts.
Sur la base de ce que fait actuellement l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (ANLC) en publiant le point récapitulatif des personnes qui ont déclaré ou non leur patrimoine, nous avons proposé la production et la publication d’un rapport annuel sur les déclarations de patrimoine avec l’exigence de transmettre les dossiers des indélicats à la justice. La lutte contre l’impunité concerne aussi la déclaration de patrimoine. L’impunité est l’une des principales faiblesses de notre système de déclaration de patrimoine.

Au Bénin, quels sont les textes qui régissent la déclaration de patrimoine ? En gros, que disent ces textes ?

Il y a deux textes majeurs qui encadrent la déclaration de patrimoine. D’abord la Constitution du 11 décembre 1990 qui, en son article 52, oblige le président de la République et les ministres à faire, sur l’honneur, une déclaration écrite de tous leurs biens et patrimoine adressée à la Chambre des comptes de la Cour suprême à l’entrée comme à la fin de leurs fonctions. C’est une disposition assez sommaire qui ne dit pas dans quel délai la déclaration devrait être faite ni les peines que les assujettis encouraient en cas de refus ou de retard.
Ensuite, nous avons la loi 2011-20 du 12 octobre 2011, portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et quelques décrets d’application. Cette loi a étendu la liste des personnes astreintes au-delà du président de la République et des ministres. Les institutions chargées de recevoir et de contrôler les déclarations ont été étendues aux Chambres des comptes des Cours d’appel, l’Autorité nationale de lutte contre la corruption a été choisie pour recevoir copie des déclarations. Une procédure minimale de déclaration a été mise en place : celle-ci est faite par écrit au plus tard 15 jours après l’entrée et la fin des fonctions. Cette loi a également défini les sanctions selon trois cas de figure : le refus de déclaration est sanctionné d’une amende dont le montant est égal à 6 mois de rémunération perçue ou à recevoir dans la fonction occupée ; la dissimulation est condamnée par la confiscation des biens ou valeurs possédés ou détenus de ce fait, majorée d’une amende égale à la valeur des biens en cause ou au montant des valeurs concernées ; les fausses déclarations sont punies d’un emprisonnement de 3 ans à 5 ans et d’une amende correspondant à la valeur des biens non déclarés.

Quelles sont les personnes assujetties à l’obligation de déclarer leur patrimoine ?

Aux termes de la loi de 2011 sur la corruption et d’un de ses décrets d’application, il y a plusieurs types de personnes astreintes à l’obligation de déclarer leur patrimoine. Nous avons les hautes personnalités : le président de la République, les ministres, les membres des institutions de la République (Cour constitutionnelle, Conseil économique et social, Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication, le Médiateur de la République, les membres de la cour suprême, de la Haute cour de Justice, le grand chancelier de l’Ordre national du Bénin). Ensuite, il y a les hauts fonctionnaires nommément cités par le décret 2012-338 du 2 octobre 2012. Ce décret ajoute une panoplie d’autres personnes : les députés, les élus communaux et locaux, les agents publics de l’Etat, des collectivités territoriales et organismes publics dont l’acte de nomination en fait obligation ; les membres des autorités administratives indépendantes ; les directeurs des régies financières décentralisées et déconcentrées ; les cadres de la douane, les directeurs financiers et assimilés ; les régisseurs ; les comptables publics ; tout ordonnateur de dépense de tous organisme publics ; les administrateurs, directeurs, comptables et contrôleurs des entreprises publiques et sociétés de droit privé dont le capital est détenu par l’Etat, les présidents, administrateurs des commissions administratives, les présidents des cours et tribunaux, les juges, les procureurs, les greffiers, etc.
La liste est vraiment longue ; une étude commanditée par l’ANLC en 2014 a estimé un nombre qui avoisine le millier ; ce qui pose le problème de la capacité des structures en charge du contrôle à gérer ce nombre.

Quel est l’état des lieux de l’effectivité des déclarations de patrimoine au Bénin?

L’état des lieux n’est pas reluisant. D’ailleurs, jusqu’à un passé récent, il n’est pas possible de savoir si concrètement les déclarations se faisaient. Et puis à partir de 2014, l’ANLC a commencé à publier un point récapitulatif des personnes qui déclarent ou non leur patrimoine. Cet exercice de divulgation fait par l’ANLC qui en profite pour sensibiliser les assujettis est une excellente chose surtout pour la presse et les acteurs de la Société civile dans le cadre de la veille citoyenne. Pour en venir à votre question et selon le point fait par l’ANLC au 17 mai 2016, la proportion des personnes se conformant à l’obligation de déclaration de patrimoine est très faible : on peut retenir que sur les 21 ministres de l’actuel régime, seulement quatre ont déclaré leur patrimoine à l’entrée en fonction (Joseph Djogbénou, Abdoulaye Bio Tchané, Candide Azannaï et Marie-Odile Attanasso) ; la situation était à peu près la même pour le dernier gouvernement de Boni Yayi où, sur les 28 ministres, six avaient fait la déclaration à l’entrée et seize à la fin de leurs fonctions.
Au Parlement, seulement six députés sur 83 ont déclaré leur patrimoine à l’entrée en fonction. Aucun membre du CES n’est à jour de même qu’à la Grande chancellerie et à la Haute cour de Justice. Depuis 2011, les préfets, maires, conseillers communaux ou locaux n’ont jamais déclaré leur patrimoine. A quelques exceptions près, les directeur de cabinet et les secrétaires généraux des ministères n’ont pas non plus déclaré leur patrimoine. Cerise sur le gâteau, le chef de l’Etat n’a pas déclaré son patrimoine à l’entrée en fonction, selon le rapport de l’ANLC. C’est d’autant plus curieux que le premier Conseil des ministres d’avril 2016 a formellement invité les ministres à se conformer à cette exigence de la loi.
Cependant, on note un bon respect des textes notamment à la Cour constitutionnelle, à la HAAC, avec le Médiateur, à la CENA, à l’ANLC, etc.

Pensez-vous que les institutions chargées d’appliquer la loi font effectivement leur travail ?

Non. Notamment la Cour suprême ne fait qu’une partie de son travail. Aujourd’hui, elle se comporte comme une simple caisse d’enregistrement en recevant les déclarations. Or sa mission n’est pas seulement de recevoir mais surtout de contrôler les patrimoines et leurs variations substantielles. La loi 2011-20 est très claire sur ces deux aspects de la mission. Sincèrement, la Cour suprême n’assume pas encore bien sa mission de contrôle des patrimoines. C’est d’ailleurs pourquoi, dans le processus de l’élaboration de l’étude du SNI et lors des assises de validation, beaucoup ont suggéré que cette mission soit plutôt retirée à la Cour pour être confiée à l’ANLC. D’autres pays expérimentent cette approche qui consiste à confier cette mission à l’autorité de lutte contre la corruption. C’est le cas de la France où ce volet est géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

En fait, en quoi la déclaration de patrimoine peut être un levier dans la lutte contre la corruption ?

La déclaration de patrimoine est une mesure de prévention de la corruption et c’est comme telle qu’elle figure dans notre loi anti-corruption au même titre que la déclaration des situations susceptibles de constituer un conflit d’intérêts, une autre disposition abondamment violée dans notre pays. La déclaration de patrimoine est connue comme un moyen dissuasif contre l’enrichissement illicite : lorsque les déclarations sont bien contrôlées, les assujettis sont tenus de justifier l’origine de leur patrimoine et train de vie sous peine de tomber sous le coup de l’enrichissement illicite. Si nous avions un système efficace de déclaration et de contrôle des patrimoines, aucun agent public, nommé ou élu, ne devrait voler dans la mesure où il sera obligé de s’expliquer sur les accroissements substantiels de son patrimoine au regard de ce qu’il gagne normalement. Dans un contexte de contrôle des patrimoines, vous êtes tenu de présenter régulièrement les événements majeurs ayant affecté la composition de votre patrimoine depuis la précédente déclaration.

Quel rôle la société civile et les citoyens peuvent-ils jouer pour rendre efficace ce mécanisme de transparence ?

La publication régulière par l’ANLC de la listes des personnes ayant déclaré ou non leur patrimoine est une occasion que la société civile doit saisir pour jouer son rôle de veille citoyenne. Apparemment, cette publication va prendre un caractère officiel à travers le Journal officiel selon une conditionnalité imposée par la Banque mondiale à notre pays. La société civile saura faire la pression nécessaire sur les personnalités qui violent allègrement la loi.
La société civile doit également travailler à faire la vulgarisation sur les dispositions de la loi 2011-20 relatives à la déclaration de patrimoine pour que ceux qui y sont astreints le sachent et comprennent correctement la procédure.
Un autre chantier important pour les organisations de la société civile, c’est le combat pour rendre le contenu des déclarations accessible au public, tout au moins les déclarations de certaines catégories de personnalités. Aux Etats-Unis, en France et tout près de chez nous au Niger, le patrimoine du chef de l’Etat peut être consulté par tous. Au Bénin, cela est encore confidentiel?

Gnona AFANGBEDJI
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