Le Bénin peut être fier d’avoir hérité de la colonisation une école qui a formé une intelligentsia bien outillée qui a su prendre la relève du colonisateur dans l’administration nationale. Cependant, l’histoire récente du système éducatif et de formation béninoise peine à se maintenir dans le cycle des performances. Autrefois, « quartier latin » de l’Afrique, le Bénin a raté son ambition de construire un capital humain de qualité au service du développement parce que notre système éducatif est en panne. Non seulement, il est en panne mais mieux, il est malade de sa politique, de ses dirigeants, de ses principaux acteurs et de sa capacité à faire face à sa crise de croissance. Il convient de dire que les dix dernières années ont été très éprouvantes pour notre école, victime des décisions hasardeuses teintées d’électoralisme et de clientélisme. Les fondamentaux étaient bafoués, les enseignants peu ou pas formés, les programmes d’enseignement non maîtrisés et l’administration du système complètement défaillante. Dans les lignes qui vont suivre, je voudrais évoquer quelques traits caractéristiques du mal de l’école béninoise et risquer quelques pistes de solutions.
LA PRECIPITATION DE LA GENERALISATION DES NOUVEAUX PROGRAMMES
Les nouveaux programmes d’enseignement sont bons voire très bons dans leur conception et la progression de leur mise en œuvre. En effet, ces programmes ont été élaborés année d’études par année d’études avec une validation assez large de tous les acteurs principaux du système éducatif. Une expérimentation s’en a suivi année d’études par année d’études jusqu’à la certification de la promotion des candidats (des années expérimentales) qui ont passé l’examen du CEFEP avec beaucoup de succès. La preuve en est que l’immense majorité des lauréats de cet examen du CEFEP ont réussi avec brio leurs études secondaires et universitaires. Seulement et juste après l’expérimentation du programme de la dernière année d’études (CM2), il y eut une généralisation précoce et politique des nouveaux programmes d’enseignement sans leur correction exhaustive suite à l’expérimentation. L’appât de la subvention de l’USAID est passé par là. Mais depuis près d’une dizaine d’années, les insuffisances de ces nouveaux programmes ont été corrigées et ils devraient avoir recouvré leur efficacité.
LA BAISSE GENERALISEE DE LA QUALIFICATION DES ENSEIGNANTS
Ce ne serait ni un secret, ni une affabulation d’affirmer que nos enseignants sont de moins en moins qualifiés mais plutôt une évidence. Cette situation se justifiait, entre autres, par la fermeture des ENI depuis la fin des années 80 et l’arrêt de la formation initiale à l’Ecole Normale Supérieure. De plus, l’absence de vocation pour l’enseignement chez les nouvelles recrues et la faiblesse de l’encadrement pédagogique associées au manque de qualification du corps enseignant ont eu sans conteste un impact négatif sur la qualité des produits du système éducatif et les résultats scolaires. Ces maux exposent les élèves à la tyrannie de l’apprentissage. Depuis quelques années et fort heureusement, les écoles normales ont rouvert leurs portes mais leur production est loin de combler les besoins globaux voire urgents. Il est évident aujourd’hui qu’y remédier doit être une préoccupation prioritaire du gouvernement. En tout état de cause, la présence d’un maître qualifié dans une salle de classe bien équipée est l’un des déterminants de la réussite scolaire.
L’ARBITRAGE DEFAVORABLE AUX CONDITIONS D’ENSEIGNEMENT
Les conditions d’enseignement et de formation interviennent pour une large part dans les déterminants de la réussite scolaire et la qualité du produit. Elles concernent en priorité les livres, les manuels scolaires, les matériels didactiques, les infrastructures, les équipements, le temps scolaire, les programmes d’enseignement et l’encadrement pédagogique.
L’examen du budget alloué au secteur de l’éducation montre que les dépenses de personnels absorbent près de 65% du montant global. Bien entendu que l’éducation est une grosse entreprise à forte utilisation de main d’œuvre qualifiée, mais ce qui est en cause ici est que le budget de l’éducation n’augmente pas conséquemment par rapport au budget national et au PIB. L’initiative 20/20 n’a pas beaucoup de chance d’être vite réalisée au Bénin. J’espère que le régime du nouveau départ s’accommodant de la rupture fera la différence.
L’ENVIRONNEMENT DE MODERNISME INHIBE L’EFFORT SCOLAIRE
L’élément le plus déterminant de la réussite scolaire, ce sont les caractéristiques individuelles de l’apprenant. Il s’agit de tout ce qui constitue sa personnalité et son être. D’ailleurs c’est ce qui justifie fondamentalement que sur une cohorte de 20 élèves par exemple soumis aux mêmes conditions d’apprentissage, chacun occupe un rang de 1/20. A cela s’ajoute l’environnement de modernisme suffisamment hostile à l’effort scolaire. De nos jours, le phénomène urbain (Télévision, modes, internet etc.) constitue un facteur inhibant du travail scolaire. Malheureusement, ce phénomène a contaminé le milieu rural en quête rapide de modernité. De manière directe, on constate que les élèves et étudiants ne s’adonnent plus sérieusement aux études, recherchent en tout temps des facilités à l’école, n’apprennent plus leurs leçons, utilisent la ruse avec leurs enseignants pour obtenir de bonnes notes, entretiennent un système de corruption active, s’illustrent par un absentéisme aux cours et en point d’orgue, une politisation excessive des universités et collèges sous forme d’un syndicalisme débridé et peu responsable. C’est pourquoi, on ne doit pas s’étonner des résultats catastrophiques enregistrés aux différents examens et cursus scolaires voire universitaires. La vie facile à laquelle aspirent les apprenants n’est pas de nature à produire de bonnes performances scolaires ni même conférer aux produits du système éducatif, les habiletés nécessaires et capacités cognitives susceptibles de les préparer à leur rôle productif dans la société. L’éducation familiale n’existe plus ou du moins a marqué le pas et s’est fait supplanter par celle de la rue. Les parents d’élèves ont démissionné de leur rôle d’éducateur principal en sabordant leur autorité. On pourrait même penser que les familles ont donné, à la rue, aux feuilletons télévisés et à l’internet, procuration pour l’éducation de leurs enfants.
L’école béninoise a perdu sa faculté d’école des mœurs. La morale et l’ethnique ont déserté les salles de classe, les amphithéâtres, les centres de formation et d’apprentissage de métiers. Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont pris en otage les élèves, étudiants et les déscolarisés bref l’adolescence et la post adolescence.
Il est vrai que nous sommes actuellement en pleine mutation de civilisation induite par la révolution de la communication et de l’information. A ce titre, l’éducation devra enseigner une technique du traitement de la complexité : aptitude à rechercher les connaissances dans les sites mondiaux de mémorisation, capacité à conduire des concertations ouvertes à des opinions contradictoires, préparation des esprits à associer dans un système unique de raisonnement, la reconnaissance du concret et les supports de l’abstrait. En d’autres termes, l’éducation doit s’ouvrir sur la nouvelle civilisation. Cependant, cette nécessité de s’insérer dans cette nouvelle civilisation ne peut servir de prétexte à l’adoption de modèles de vie extravertis, dégradants et décadents. Notre système éducatif doit se prémunir des errements de ce modernisme pour s’ouvrir uniquement aux valeurs du savoir et du savoir-faire.
La qualité du capital humain à laquelle aspirent nos dirigeants ne peut se construire que sur un nouveau modèle débarrassé des tares de la mondanité et du laisser-faire véhiculé par les sirènes du monde dit moderne.
Je ne suis pas un adepte du statu quo, ni un conservateur encore moins un anti-modernité. Je conçois qu’il faut à tous prix être à la hauteur des défis de la nouvelle civilisation mais en ayant la tête et les pieds solidement ancrés dans notre culture. C’est pourquoi, je suis convaincu que notre système éducatif doit répondre aux nouvelles conditions de la compétence professionnelle et de la culture personnelle imposées par l’émergence de la civilisation de la communication dans une économie mondialisée. Le plus grand défi que nous pose ce nouveau contexte d’évolution rapide des métiers et conditions de vie est de savoir comment nous organiser pour repenser notre système éducatif et de formation en vue de l’adapter aux conditions nouvelles de l’émergence d’une société de la connaissance, de l’intelligence, de la primauté des activités immatérielles et de rapports nouveaux avec l’économie et l’environnement. En clair, l’échec ou le succès des nations dans le nouveau monde en construction dépend de la qualité et de la capacité d’adaptation des systèmes éducatifs qui deviennent des pièces maitresses plus encore que par le passé de toute politique de croissance et de développement dont le mot d’ordre clé est « apprendre à apprendre ».
UN A PEU PRES MORBIDE ET DETESTABLE DE L’ADMINISTRATION ET DE LA GESTION DU SECTEUR DE L’EDUCATION
L’administration et la gestion du secteur éducatif ont été également les maillons très faibles de cette chaine précieuse de formation du capital humain. Le secteur est géré au mépris du principe sacro-saint de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. La plupart du temps, les personnes nommées à la tête des structures administratives n’ont ni la qualification et encore moins les compétences avérées en matière de gestion administrative, des ressources humaines, des finances et de planification. Et pour cause, presque toutes les nominations étaient politiques. Les cadres techniques formés à grands frais dans les différentes branches de gestion et planification sont envoyés « au garage » dès lors qu’ils ne sont pas prêts à se saborder ou accepter des compromissions. Depuis l’audit organisationnel de la fin des années 80, les profils-postes ont été définis dans l’administration du secteur mais n’ont jamais été suivis d’effets. Par conséquent, les recrutements tiennent très peu compte des besoins en cadres spécialisés dans les différentes branches de la gestion. L’administration est truffée d’agents peu qualifiés et mal préparés à leurs nouvelles tâches fussent-ils des enseignants.
Par ailleurs, la volatilité de nos structures administratives de premier rang a tôt fait de mettre en péril la coordination de la gestion du secteur. Faudra-t-il rappeler encore ici que le secteur de l’éducation est unitaire et son fractionnement en plusieurs ministères a rendu difficiles les arbitrages au niveau des différents ordres d’enseignement. Il est indéniable que ceci est un fait superfétatoire à la crise de l’éducation dans notre pays.
Il ne devrait exister qu’un seul ministère de l’éducation nationale ayant à charge la recherche scientifique et technologique. Malheureusement, depuis plus d’une dizaine d’années, le secteur de l’éducation et de la formation a été saucissonné en trois ou quatre entités ministérielles sans interface apparente et une coordination établie. Cette anomalie doit être rapidement corrigée. D’aucuns pensent qu’il suffit simplement de revitaliser le Conseil National de l’Education (CNE) pour y parvenir. Ce n’est pas vrai d’autant plus qu’un Conseil National de l’Education ne peut être qu’une institution d’orientation et d’évaluation de la politique de développement du secteur éducatif et de formation. On ne saurait le propulser dans l’opérationnalisation de cette politique sectorielle au risque de créer un conflit d’attributions et de compétences entre le CNE et le Ministère de l’Education qui tient sa légitimité et suprématie du principe intangible constitutionnel qui confère au Chef de l’Etat la responsabilité de définir et de conduire la politique de l’Etat. Or, une responsabilité ne se délègue pas. C’est dire que le CNE ne peut être au-dessus du Ministère de l’Education dans une logique hiérarchique mais doit être un outil d’aide à la décision au service du secteur. Là et là seulement, le CNE sera utile.
Au terme de cette analyse diagnostique sommaire, il me plaît de faire quelques recommandations que sont :
relever le niveau de l’éducation obligatoire jusqu’à la fin, du 1er cycle de l’enseignement secondaire général en l’insérant dans le projet de révision de la Constitution. il s’agit de pousser la scolarité obligatoire de la fin de l’enseignement primaire à celle du 1er cycle du secondaire général ;
renforcer les capacités de gestion et de planification du secteur ;
engager une reforme du système d’apprentissage en rétablissant les fondamentaux (l’encadrement pédagogique, le temps de travail, l’application effective des programmes d’enseignement, la lutte contre les classes sans maître etc.) ;
revenir à la gestion unitaire du secteur par la création d’un seul ministère de l’éducation nationale et de la recherche scientifique et technologique avec un ministre délégué auprès du ministre de l’éducation nationale chargé de l’enseignement technique, de la formation professionnelle et de l’alphabétisation ;
assurer le recrutement et la formation des enseignants des 1er et 2nd degrés (maternel, primaire et secondaire) ;
renforcer la qualification des enseignants en postes ;
transformer nos universités en de véritables centres de formation et de connaissance en adéquation avec les exigences de la mondialisation et de la nouvelle civilisation de la communication et de l’information ;
supprimer l’examen du CEPE et réallouer les fonds de son organisation à la dotation des écoles en livres, manuels scolaires et matériels didactiques. Cet examen n’a plus de pertinence dans la chaine de certification du savoir. mieux, ce diplôme ne peut conférer aujourd’hui aux récipiendaires une opportunité d’emploi contrairement aux années 50 à 70. Son examen ne constitue qu’un gouffre financier.
Au total, l’une des tares profondes de l’école béninoise héritée de la colonisation est le profil d’homme à former et qui devait être le prolongement du colon. On peut rappeler ici l’appellation « akowé » qui signifie l’homme au col blanc qu’on attribuait aux formés du système éducatif. Malgré ces stigmates du passé, les reformes du système éducatif ont réussi à intégrer dans les programmes d’enseignement des éléments susceptibles de reprofiler l’apprenant de l’école béninoise. Mais il faut aller plus loin en reformant fondamentalement le système d’apprentissage et de formation de notre pays. Pour y parvenir, il faut davantage de volonté politique et de discernement dans la prise des grandes décisions relatives aux orientations de l’école et à sa politique sectorielle. C’est un défi que le gouvernement actuel doit relever pour imprimer durablement la marque de la rupture et du nouveau départ. Car n’oublions jamais qu’au Bénin tout comme dans les pays africains, l’éducation reste et restera toujours la priorité des priorités. Et si cela cessait de l’être, c’est qu’on aurait abdiqué pour le développement. C’est ma profonde conviction.