Robert Gbian. Il ne parlait presque jamais, il parle maintenant de plus en plus quand c’est nécessaire. Ces jours-ci, il s’est retrouvé sous les feux de l’actualité. Une tournée ici, un séminaire là, une assemblée générale du Réseau Africain des Personnels des Parlements (Rapp) un peu plus loin, une concertation avec les membres du gouvernement entre temps… Le 2e vice-président de l’Assemblée nationale est de "toutes les sauces". Profitant d’un répit entre ses activités parfois géographiquement si loin les unes des autres, nous lui avons tendu notre micro. Pour aborder l’actualité et portez son regard, toujours méticuleux et prudent sur la Rupture et le parlement, mais aussi sur son rôle et sa mission première de député. Depuis qu’il a été candidat malheureux à la présidentielle de 2016, il se consacre entièrement à sa tâche de parlementaire. Le Séminaire d’Agoué, le conflit réel ou virtuel entre parlement et gouvernement, la question de la carte universitaire, le bilan à mi-chemin du Nouveau Départ, il parle de tout. Sans langue de bois, avec son innocente sincérité et son obsession à la précision. Un entretien plus direct que politique. Interview !
Vous avez présidé le séminaire parlementaire sur le Cadre juridique des partenariats publics-privés la semaine dernière à Agouè, de quoi s’agit-il exactement ?
Il ne s’agit pas exclusivement d’un séminaire parlementaire mais d’un séminaire initié par le gouvernement sur un projet de lois introduit par ce dernier concernant le Cadre juridique des partenariats publics-privés en République du Bénin. La priorité du gouvernement est la redynamisation de notre économie pour la rendre plus compétitive, ce qui sous-entend des efforts pour rassurer les investisseurs privés et créer un espace d’affaires qui soit fiable et serein. Avant la plénière, pour familiariser les députés avec ce projet de lois, le gouvernement a donc voulu les mobiliser autour de cela, de même que des experts et juristes de haut rang pour décortiquer et apprécier la pertinence et l’efficacité d’un tel projet de lois. C’était donc pour moi un honneur que d’être celui qui représente le Président de l’Assemblée Nationale, absent du territoire national, à ce rendez-vous et j’en suis bien flatté. Mais le plus important est ce qu’une telle rencontre apporte fondamentalement à notre économie.
On a l’impression que le gouvernement essaie de se passer du parlement dans les grandes décisions. Plusieurs parlementaires s’en sont plaints dans la presse cette semaine. Est-ce que cela ne risque pas de pourrir des relations déjà trop méfiantes ?
Je comprends la situation actuelle qui fait que l’on a l’impression que le gouvernement ne prend pas suffisamment en compte le parlement dans le rôle régalien qui est le sien. Et je la vis d’autant que dans ma posture de vice-président, je rencontre au quotidien des députés et des présidents de commissions qui évoquent le sujet. Mais je peux vous rassurer que c’est une impression, rien de plus. Dans la réalité, tout est prévu par la loi et surtout, Talon fait de cette relation parlement-gouvernement une priorité. J’ai eu l’insigne honneur et l’occasion d’en parler avec lui dès le début de son mandat. D’abord, sans l’Assemblée nationale, aucune politique réelle, aucune réforme ne peut aboutir aisément. Ensuite, parce que le mandat du président Talon étant celui des grandes réformes, une harmonisation des points de vue et une cohérence dans la vision sont indispensables et il y est très attaché. Enfin parce que pour moi qui connais un peu le Président Talon, il n’est ni un homme de conflit ouvert et ne voudrait pas en arriver là d’autant qu’il envisage, dans ses réformes, de renforcer les pouvoirs du parlement. Il est donc de l’intérêt de tous d’aller vers une collaboration forte qui prenne mutuellement en compte les préoccupations des uns et des autres. Elle est en cours, elle vient progressivement, ce qui n’empêche pas des impressions que je comprends aussi.
Après les passages quelque peu "éprouvants" de certains ministres, le gouvernement multiplie-t-il des initiatives pour désamorcer la situation apparemment ?
Je ne sais pas ce que vous appelez "éprouvants" et qui seraient des passages de ministres à l’Assemblée nationale. Vous exagérez quand même. Il n’y a pas de situation si ce n’est dans votre imaginaire. Il est vrai que le gouvernement nous donne de plus en plus l’occasion d’échanger directement avec ses membres sur certains sujets, ce qui est normal dans notre démocratie. Au niveau du parlement, nous n’avons pas envie d’être des privilégiés ou d’avoir plus de pouvoirs, dans la situation actuelle, plus que les textes ne nous en donnent. Mais il est de l’intérêt de tous que la coopération soit renforcée entre les deux institutions. Je pense qu’il y a dans ce sens quelques initiatives comme vous le dites. Parlementaires et ministres doivent tous faire des efforts dans ce sens, il y va de l’intérêt général.
Evoquant toujours des décisions sur lesquelles le parlement n’a pas été consulté et qui suscitent des tensions, il y a la carte universitaire. Quelle est exactement votre position sur le sujet ?
Aucune disposition n’oblige le gouvernement a consulté le parlement sur toutes ses décisions. Et vice versa. Sauf sur la politique générale et les grandes orientations. Personne ne peut être content qu’une université proche de lui ou se trouvant dans sa localité soit fermée. Ni vous, ni moi, ni aucun membre du gouvernement. Mais le président Talon a donné le cap dès le départ. Il voudrait et c’est à son actif, changer la manière de faire les choses, pour rationaliser et rendre efficaces les dépenses publiques, et construire un Etat de droit durablement ancré dans les piliers et traditions démocratiques. Il est impossible d’y parvenir sans faire quelques efforts et sans prendre des décisions dont certaines soient amères et douloureuses. Mieux vaut faire confiance aux autorités et suivre de près les dispositions qui seront prises. Une chose est certaine, les préoccupations de tous seront prises en compte, sensiblement.
Vous êtes accroché à la (Coalition) de la Rupture avant la présidentielle, vous n’êtes pas allé au gouvernement comme beaucoup s’y attendaient, le gouvernement Talon n’a jamais été autant critiqué par l’opinion, pourquoi vous obstinez-vous à défendre toujours le gouvernement ?
(Sourire). Je comprends l’impatience des Béninois. C’est d’ailleurs notre nature la plus évidente, on est impatient. (rire). Il est impossible, même avec un miracle, de tout changer, de rompre avec les habitudes et de satisfaire tous les Béninois au même moment et en si peu de temps. Il va falloir patienter. Rompre, c’est mettre fin à des habitudes, à des traditions dont certaines durent depuis très longtemps. Ce n’est pas tâche aisée. Ensuite, refaire ce qui doit l’être et enfin, mettre en place un système nouveau de gestion et de fonctionnement qui soit fiable et durable. Comprenez, Béninois, qu’il a du boulot pour le président de la République. Je le plains moi.
Je soutiens entièrement le Président Talon d’abord parce que je partage sa vision et ses priorités. J’ai pris mes distances avec le régime défunt pour des raisons de méthodes que vous savez bien. Le président Talon veut un pays réformé et fort et il sait mieux que quiconque que ce n’est pas facile. Nous devons tous l’aider, absolument. Mettons toutes nos énergies à l’aider et si ça ne marche pas, on pourra critiquer. Mais se jeter sur toutes les décisions, attaquer tous les décrets, décrier toutes les actions, finira par nuire à l’action globale et donc à l’intérêt général. Je ne m’obstine donc pas à soutenir le Président Talon, nous devons tous faire de même et procéder à des bilans à mi-chemin pour réajuster si nécessaire.