Le 12 juin 2016, au cours d’un déjeuner festif en sa maison familiale, le président Patrice Talon informa ses frères et sœurs de Ouidah que la ville ne serait pas chef-lieu de département, mais qu’en compensation, il en ferait la huitième merveille du monde à raison de 200 milliards d’investissement. Applaudissements timides parce que beaucoup, dans la salle, auraient préféré pour Ouidah l’humble statut de premier du département et non celui de huitième merveille. Il y eut même, les jours qui suivirent, quelques protestations lyriques. Mais très vite, les Ouidaniers se sont accroupis au pied des 200 Mds et, depuis quelque temps, on les voit autant fébriles qu’immobiles autour de leur avenir mirifique.
Fébriles :- On se réunit ici et là pour fantasmer la grandiose perspective au regard des milliards qui s’en viennent. On s’enivre de leur brouillard. On salive. On ne le clame pas, mais l’objectif est de s’organiser pour siphonner sa part de l’immense magot annoncé. En temps normal, la ville compte environ 150 ONG, toutes créées pour que des gens portent le titre de président. Il en va autrement depuis l’annonce du 12 juin. Les nouvelles ONG cuisinées à la va-vite au feu des 200 Mds promis ont un but moins honorifique. Ainsi celle qui fut apprêtée le 17 septembre 2016 a montré clairement la couleur en se donnant un second nom, celui de ‘‘Vìnyílè’’, la progéniture est tout bénéfice, le fameux adage qui autorise les parents à siphonner les enfants devenus grands, même quand on les a élevés comme des poulets- bicyclettes, hors poulailler, au hasard des rues, du matin au soir. Quand on fait observer aux fringantes mamans d’AFDO-Vìnyílè l’absence de rapport entre l’objectif de développement de Ouidah et le nom second, la réponse fuse, joyeuse : ‘‘Tu dis quoi ? Talon est notre fils. Il va développer Ouidah’’. Reçu cinq sur cinq. Or, à la vérité, le Président de la République du Bénin est préposé au développement de 77 communes et municipalités et d’une longue file de villages. Ok, mais l’enfant doit faire attention. Si après le partage, Ouidah n’a pas ce qu’il croit être sa juste part de parent adorable, les Ouidaniers voueront aux gémonies Talon, leur fils-bénéfice, qui aura manqué á tous ses devoirs envers la bonne ville de ses ancêtres.
Immobiles :- Occupés à cuisiner les ONG de siphonage, on attend, figé, le fils-bénéfice. Eclaté en morceaux antagonistes, le Conseil Communal n’est plus qu’une momie. Les travaux de pavage des rues, entamés avant la présidentielle, ont été abandonnés, ce qui accentue l’agonie de la ville. Le portail du premier cimetière date de quelques décennies et est devenue, de ce fait, une véritable ordure ; derrière cette ordure, les gens, tels que Roger Adjovi et Bertrand Dagnon, dorment en paix, certes, mais au milieu de chiendents drus et robustes. La brousse est partout de toute façon, y compris sur le flanc ouest de l’Hôtel de Ville, qui vieillit en pleine jeunesse. Au jour d’aujourd’hui, Ouidah est 66ème sur 77 communes pour la gestion FADEC, 77ème sur 77 pour la propreté. Les Ouidaniers ont-ils contracté une dette d’environ 4 milliards envers différents géomètres pour des travaux de lotissement commencés depuis 1974, dont nulle ne voit la trace sur le terrain ? Allez savoir !
Mais tout cela n’est rien. Immobile avec ses jeunes au chômage, Ouidah n’a plus de problème. Ceux qu’on a cités et ceux qu’on n’a pas cités sont d’office résolus par Talon, son fils-bénéfice qui s’en va déverser 200 Mds sur la bonne ville de ses ancêtres. Les Ouidaniers ne se seront même pas aperçus que Savalou a reçu la même promesse de ville-lumière, mais sans budget. Le Chef de l’Etat aura ainsi évité une jalousie de chiffre entre la Cité des Collines et la Porte-Océane. Il est donc vrai que ‘‘Talon a du talent’’. Puissent les Ouidaniers avoir le talent de comprendre que Talon n’est pas plus le factotum de la République qu’il n’est l’otage de Ouidah, et que chaque Ouidanier doit y aller de son talent pour sauver Ouidah.
Roger Gbegnonvi