Les propositions de Maxime da Cruz et de Patrick Houessou L’orientation des nouveaux bacheliers est un véritable problème au Bénin. Après l’obtention de leur diplôme, les nouveaux bacheliers sont confrontés à un dilemme quant au choix de la filière de formation. Cela constitue une inquiétude non seulement pour les apprenants mais aussi pour les parents et les acteurs du système éducatif. A cet effet, Maxime da Cruz, premier vice-recteur chargé des affaires académiques et universitaires à l’Uac, et Patrick Houessou, spécialiste en orientation éducative se prononcent dans l’entretien ci-dessous sur le sujet. A l’occasion, ils ont expliqué les mécanismes qui permettront aux apprenants de mieux s’orienter.
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« Il faut dès le primaire qu’on puisse déjà identifier les potentialités des apprenants pour les canaliser », dixit Maxime da Cruz, Vice-Recteur Uac
Quel est le mécanisme mis en place par le rectorat pour l’orientation des nouveaux étudiants ?
Je dois avouer que l’orientation est l’un des problèmes de notre système éducatif. Il n’y a pas d’orientation en tant que telle. Nous organisons généralement à l’endroit des nouveaux bacheliers des séances d’information qui consistent à leur communiquer, à partir de la liste des établissements privés et publics qui existent, les filières dans lesquelles ils peuvent se faire former. Et il est important d’améliorer cet état de choses. Il faut dès le primaire qu’on puisse déjà identifier les potentialités des apprenants pour les canaliser. On me dira peut-être que c’est trop tôt au primaire, mais plus tard au niveau du collège, l’étudiant doit déjà avoir une idée en terme d’orientation de ce qu’il peut faire, des possibilités que les établissements présents lui offrent. Ce qui s’observe et je trouve cela un peu tardif, c’est qu’on attend que l’apprenant ait le bac avant de l’orienter.
Comment procédez-vous alors pour les orienter ?
Nous les informons lorsqu’ils sont admis au bac. Jusqu’à présent, ce qui se passe, c’est qu’il y a des établissements qui recrutent sur concours. Pour ceux qui ont envie d’aller dans ces établissements, on les fait composer dans certaines matières mais sur la base du dépôt d’un dossier. Après ces concours, il y a une deuxième étape d’autorisation d’inscription qui consiste à examiner les dossiers, où les apprenants paient afin d’accéder à ces écoles.
Il y a une autre étude de dossier organisée par le ministère à l’endroit des étudiants où ces derniers déposent leurs dossiers à la Direction générale de l’enseignement supérieur de la recherche scientifique et de la formation technique et professionnelle. Ainsi, tous ces dossiers sont convoyés au ministère. A partir des filières choisies par les nouveaux bacheliers, nous procédons à un classement par ordre de mérite, ce premier classement part à partir des moyennes de classe et un autre est fait à partir des moyennes pondérées. Pour être plus clair, on extrait des relevés du bac et des moyennes de classe les matières spéciales et on procède à un calcul. Il y a deux sélections, celle des boursiers et celle à titre payant. Après la sélection par quota selon l’ambition des étudiants, on arrive à l’étape de l’impression des noms. A ce niveau, le processus est presque à terme. Les membres de la commission signent un procès-verbal comme ce qui se fait au Bac. Mais, cette année, l’on se demande si le processus sera le même comme pour les années antérieures.
« L’orientation doit commencer très tôt et doit s’étendre tout le long de la vie de l’apprenant.. », dixit Patrick Houessou, Psychologie/Uac
Comment pouvez-vous aider un jeune bachelier à faire le choix adéquat parmi les multiples filières sur le campus universitaire d’Abomey-Calavi ?
Il me sera difficile de l’orienter. Je peux échanger avec lui, écouter ses désirs puis lui donner des conseils, et il lui appartiendra de faire son choix en tenant compte de plusieurs paramètres. Difficile de l’orienter disais-je, parce que le processus d’orientation dans notre pays a toujours été mal conduit. Il faut comprendre que l’orientation ne peut pas commencer après le bac. Elle doit commencer très tôt et doit s’étendre tout le long de la vie de l’apprenant depuis le primaire, au collège jusqu’à l’université, voire la vie professionnelle. Au moins après le Bepc, l’élève doit déjà avoir en tête une idée de la carrière envisagée.
C’est vrai que c’est une posture intellectuelle de voir les choses ainsi. Dans les pays développés, l’enfant est déjà en mesure dès le primaire de dire ses ambitions pour le futur. Chez nous au Bénin, dans la loi portant orientation de l’éducation nationale, il est prévu officiellement qu’il y ait un conseiller en orientation dans le système éducatif, qui puisse venir en aide à l’apprenant au moins après le Bepc. Et le Bénin a la chance d’avoir un département de science de psychologie qui forme le profil du genre, mais qui n’est pas inséré dans le circuit du système éducatif. Je suis d’ailleurs un pur produit de ce département.
Et comment se fait-il que cette science n’est pas enseignée ?
J’enseigne la théorie et je fais en même temps la pratique. Il m’arrive des fois de dépêcher les collègues dans les collèges pour montrer comment on fait un entretien d’orientation, quelles sont les questions qu’il y a à poser, et je ne peux pas vous dire l’engouement qu’il y a autour quand il s’agit de ces genres de formations pour les élèves. Surtout, quand il s’agit d’échanges leur permettant d’affronter la vie active. Ça veut dire que jusque-là, l’Etat n’a rien fait pour susciter en eux ce qu’ils doivent faire dans l’avenir. D’où la campagne d’information est la bienvenue. La campagne d’information diffère de la séance d’orientation. Le processus d’orientation intègre l’information et doit être continuel.
Que faites-vous alors de l’avis des parents ?
L’orientation doit être personnelle, avec l’accompagnement des parents.
Comment procéder alors pour que l’orientation soit insérée dans le système éducatif ?
L’Etat doit prendre ses responsabilités, en recrutant les personnes ressources qui savent de quoi elles parlent. L’orientation n’existe que pour la forme au Bénin. Elle n’est pas mise en pratique. Il y a des campagnes d’orientation qui se font actuellement depuis deux ans après le bac, qui ne sont pas en réalité des séances d’orientation mais plutôt des séances d’information. Il y a les professionnels dans le domaine qui ne sont pas utilisés. C’est un gâchis, surtout pour l’apprenant qui a manqué le minimum qu’il lui fallait avant le bac. La loi portant Orientation du système éducatif national prévoit qu’il y ait des conseillers en orientation au moins après le Bepc dans le système éducatif. L’Etat doit recruter les spécialistes qui auront pour rôle le suivi des apprenants depuis le collège pour éviter leur déperdition à la fin des études scolaires. C’est un plaisir que vous nous faites en vous intéressant à un spécialiste de la question, sinon l’Etat n’en tient pas compte.
Je ne vais pas m’intéresser à l’Europe, puisque le système est déjà à leur image. Prenons l’exemple de la Côte-d’Ivoire à côté qui a un système éducatif bien structuré. Après le Bepc et le bac, il y a le journal national officiel à travers lequel la structure d’orientation sort la liste de tous les élèves et étudiants qui sont affectés dans chaque filière selon leur profil et les besoins de l’Etat. Mais ceci n’est fait par hasard. Ils ont eu le temps d’écrire à leur ministre de tutelle pour demander leur affectation dans les filières et les écoles selon leur désir et avec l’accord du conseil d’administration qui a eu le temps de faire une étude approfondie des dossiers de chacun d’eux.
Chez nous au Bénin, il n’y a qu’une seule loi qui stimule l’orientation dans le système éducatif, alors que l’orientation est un droit acquis pour les élèves, même les parents continuent de s’y perdre. Un enfant qui vient d’avoir le bac ne peut jamais prendre une journée pour se faire orienter, d’où la campagne d’orientation organisée par l’université d’Abomey-Calavi qui n’est que des séances d’information. Pour une bonne orientation, le service d’orientation du campus devrait être ouvert depuis, après les résultats. Un conseiller en orientation doit au minimum rencontrer un étudiant trois fois avant de pouvoir bien le conseiller. La première fois, il faut l’écouter, entendre ses désirs, le renvoyer auprès de ses parents et voir quelle formation est en adéquation avec son profil. Le plus important est qu’il discute avec ses parents afin que ces derniers l’aident et le soutiennent dans son processus d’orientation. Les acteurs du système éducatif sont donc interpellés à mettre en marche la loi portant orientation de l’éducation nationale de 2005 modifiant celle de 2003.
Propos recueillis par Clarisse Dassi