Depuis les années 1960, la planète a commencé par faire face à une crise sans précédent en ce qui concerne la disponibilité de l’eau propre . Cette crise de l’eau s’exprime aujourd’hui sous deux formes : l’épuisement massif des bassins hydrologiques et la contamination sans cesse croissante dont sont l’objet les ressources en eau, qu’elles soient souterraines ou de surface.
En effet, le pompage excessif des eaux souterraines à l’échelle mondiale a plus que doublé entre 1960 et 2000 et constitue la cause d’environ 25% de la hausse du niveau des mers . Selon une étude de la Banque Mondiale, la demande en eau d’ici à 2030 dépassera l’offre de plus de 40% . Parallèlement, les hommes continuent de polluer l’eau et l’on estime que dans les pays du Sud, plus de 90% des eaux usées et 70% des eaux usées industrielles sont déversées dans les eaux de surface sans aucun traitement. Chaque jour, c’est 2 millions de tonnes d’eaux usées qui sont déversées dans les eaux du monde, soit le poids d’environ 6,8 milliards d’êtres humains. La quantité d’eau usée produite annuellement est six fois supérieure à la quantité d’eau contenue dans toutes les rivières du monde . Or aujourd’hui déjà, plus d’un milliard de personnes souffrent d’un manque d’accès durable à l’eau potable et deux milliards et demi n’ont pas un accès approprié à des installations d’hygiène et d’assainissement . Cette situation ne peut pas laisser indifférente la communauté internationale même si les lobbies constituées par les sociétés privées de commercialisation d’eau semblent tout faire pour que le statu quo soit durablement maintenu.
Face à cet état des lieux alarmant concernant l’eau et consciente de la nécessité de ce précieux liquide pour la vie, la santé et la dignité humaine , la communauté internationale a jugé utile de clarifier et de compléter les principaux textes relatifs aux droits de l’homme avec de nouveaux instruments juridiques précisant le droit à l’eau. C’est ainsi qu’en janvier 2003, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (Comité DESC) de l’ONU a jugé nécessaire de sortir l’Observation générale n°15 pour clarifier et préciser la place de ce droit de l’homme dans le dispositif international sur les droits de l’homme. Au plan politique, à travers deux résolutions adoptées en 2010 par l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la communauté internationale décide de reconnaitre le droit à l’eau. Les Nations unies ont par ailleurs nommé un rapporteur spécial chargé de suivre les efforts des pays concernant la mise en œuvre de ce droit.
Pour internaliser la dynamique internationale en faveur du droit à l’eau, le Bénin a pris en 2010, la loi 2010-44 du 24 novembre 2010 portant gestion de l’eau qui affirme à son article 6 que chaque citoyen béninois a le droit de disposer de l’eau pour ses besoins et les exigences élémentaires de sa vie et de sa dignité. La formulation ne précise pas le contenu que la loi donne à ce droit à l’eau. S’agit-il d’un droit de disposer de l’eau potable pour les besoins de consommation ? Parle-t-on de l’eau pour l’hygiène corporelle ? Doit-on y voir le besoin d’eau pour la petite agriculture puisque pour plusieurs béninois, les exigences élémentaires de la vie passent par la réalisation d’activités agricoles ? S’agit-il de disposer d’eau pour les besoins d’irrigation lorsque l’on voit que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies inclut les ouvrages d’irrigation dans les « biens indispensables à la survie de la population » et qu’il faut protéger en cas de conflits armés conformément aux prescriptions du droit international humanitaire ?
Nous voulons ici circonscrire le droit à l’eau à celui de disposer d’eau potable pour les besoins d’alimentation et d’hygiène corporelle car selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ce sont ceux qui affectent le plus, la personne humaine dans sa santé et sa dignité . C’est d’ailleurs cette compréhension que véhiculent les instruments internationaux notamment l’Observation générale n°15 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Le contenu du droit à l’eau retenu par le Comité et approuvé par plusieurs experts tourne autour de quatre points que sont : la disponibilité, la qualité et l’accessibilité.
Mais comme évoqué plus haut, s’il est vrai que le Bénin aborde la question du droit à l’eau dans une loi qui soit dit en passant est plutôt consacrée à la gestion des ressources en eau, les formulations laconiques ne permettent pas de mesurer le contenu de ce droit, ce qui peut en limiter la mise en œuvre. Il y a lieu aujourd’hui d’inscrire le droit à l’eau, reconnu comme un droit de l’homme, dans la constitution au même titre que le droit à un environnement sain, le droit à l’éducation, le droit au développement, et de prendre des mesures législatives appropriées pour donner un contenu, fut-il béninois, à ce droit.
La situation au plan mondial est alarmante mais le Bénin dispose encore de réserves d’eau qui lui permettent d’assurer le droit à l’eau à ses citoyens. Une volonté politique exprimée de manière forte à travers la constitution permettra au pays de bénéficier de l’accompagnement de la communauté internationale tel que recommandé par l’Observation générale n°15 du Comité DESC. Une révision constitutionnelle n’intervient pas tous les jours et il est à espérer que notre pays saisisse cette belle occasion pour se mettre dans le peloton de tête en matière de promotion des droits de l’homme en Afrique à l’instar des pays comme l’Afrique du Sud ou le Burkina Faso qui ont déjà constitutionnalisé le droit à l’eau.
Sègla LIHOUSSOU, Juriste,
Expert Décentralisation et Eau à l’ANCB