La pratique de l'art musical repose sur des fondamentaux socioculturels propres à chaque société. Il s'agit donc d'une partie de l'identité nationale dont on ne saurait accepter l'inféodation à des étrangères. S'inscrivant dans cette logique, Toussaint Ahoton inconnu dans l'univers musical national et qui s'apprête à sortir un rythme Élézo rénové apprécie la tendance musicale actuellement en vogue et donne ses impressions sur un ensemble de questions concernant la musique béninoise.
Le Confrère de la Matinée: Présentez-vous au lectorat.
Toussaint AHOTON : Je m'appelle Toussaint Ahoton. Je suis originaire de l'Ouémé, précisément de la Vallée. Financier de formation et installé à mon propre compte, j'exerce depuis bientôt deux ans à Ouidah en qualité de Promoteur et Directeur d'une structure de microfinance.
Bien qu'inconnu dans l'univers musical béninois, vous êtes un passionné de la musique qui s'apprête, presque la soixantaine révolue, à sortir son premier opus. Pourquoi avoir attendu si longtemps?
Il n'est jamais tard pour bien faire et la valeur ne connaît point l'âge. C'est vrai que je suis inconnu dans le milieu mais pas pour autant surtout qu'il y a au moins dix ans, j'avais de grands projets de production musicale avec le baobab Sagbohan Danialou. Regardez le cas de Cesaria Evora par exemple. La carrière musicale que je vais bientôt commencer est comme la réponse à un appel du destin. En effet, il y a environ 5 à 6 ans, j'ai fait un accident qui m'a cloué au lit des mois durant. Je fredonnais des chansons et jouais sur tout ce qu'il y avait autour de moi comme tam-tam pour ne pas m'ennuyer. C'est ainsi que je me suis mis à composer des chansons sur le rythme du Élézo, un rythme qui est en voie de disparition.
Et quel est le message de cet appel?
Le message de l'appel m'invitait à travailler pour la revalorisation de la musique moderne béninoise d'inspiration traditionnelle partant du Élézo, un rythme commun au Bénin et au Togo. Ce rythme qui m'a bercé pendant ma tendre enfance et qui semble en voie de disparition se caractérise par une bonne rythmique, un vocal amusant et égayant et une danse facile à exécuter et pleine de grâce et de souplesse. L'appel reçu sonnait comme une invitation à prouver que le Bénin musical a tout pour réussir et qu'il est temps qu'il sorte de la colonisation musicale qu'il subit de plus en plus à cause de son invasion par la musique étrangère de bonne et mauvaise facture à entendre les onomatopées, paroles et clips qui, dans les deux cas, incitent à la déviance, à la dépravation.
Pensez-vous que le Bénin musicalement peut émerger?
Oui, je le pense et j'y crois sincèrement. Nous avons les ressources humaines, les talents musicaux et beaucoup de rythmes que nous pouvons valablement exploiter et valoriser. Il revient aux artistes musiciens béninois de croire et d'avoir confiance en eux-mêmes et de mettre en œuvre les stratégies allant dans ce sens. S'ils bravent leur égoïsme, leur égocentrisme en accompagnant leur pair qui a sorti un bon rythme valablement exportable, c'est sûr que la réussite est assurée. Il faut qu'ils apprennent à aller dans la même direction pour que cela se réalise. Si les autres ont pu s'imposer par des rythmes de chez eux comme le Zouglou et le Mapouka de la Côte d'Ivoire, la Rumba des deux Congo, le Makossa et Bikoutsi camerounais, etc. et le RnB version nigériane, il n'y a pas de raison que nous échouons vu le riche patrimoine musical très varié et diversifié que nous possédons. L'État doit également jouer sa partition en encourageant et en soutenant les structures promotrices de la musique traditionnelle béninoise que sont les buvettes, cabarets, restaurants et boîtes de nuit.
Et la loi des quotas horaires?
C'est une initiative phare sur laquelle, le gouvernement devrait revenir. Tombée en désuétude comme tant d'autres mesures, il convient de la ramener au goût du jour et de veiller à sa stricte et rigoureuse application. L'application effective de cette loi va permettre aux Béninois et hôtes vivant chez nous de commencer par mieux écouter, apprécier et aimer la musique moderne d'inspiration traditionnelle typiquement béninoise. Sans exagérer, le Bénin est l'un des rares pays africains où, les frontières musicales nationales ne sont pas protégées et cela est très grave. Si cela continue, alors ne soyons pas surpris d'assister aux funérailles de notre patrimoine musical. C'est triste ce qui se passe. Les Béninois ne se rendent pas compte qu'ils enrichissent les vedettes étrangères et appauvrissent les leurs! Citez-moi, les vedettes qui ont pu s'imposer à l'étranger par la musique traditionnelle béninoise traditionnelle d'inspiration moderne! Combien sont les chaînes de radio ou de télévision étrangères qui jouent à longueur de journée nos morceaux ? Ce cas devrait nous faire réfléchir. Allez voir ce que c'est que le nationalisme musical en Côte d'Ivoire, dans les deux Congo et au Sénégal pour ne citer que ces pays-là?
Croyez-vous que la béninoiserie transparaît dans la non émergence de la musique béninoise?
La béninoiserie est un comportement que je ' n'épouse pas du tout. Personnellement, je n'aime pas en entendre parler et en parler. Tout le monde parle bien et mal de tout le monde, où va-t-on avec ce comportement qui ne permet à beaucoup d'admettre que nous avons, chacun, des défauts et qualités. Malheureusement, je dois reconnaître que l'hypocrisie, la corruption, des conflits de personne, financiers et d'intérêts, les critiques négatives, les peaux de bananes, etc. et le fait de ne pas s'accepter sont des pierres angulaires de ce malheureux concept qui est contre l'évolution. Je recommande à ceux qui font de ce comportement d'être positifs comme moi en pensant au bonheur de l'autre et non à son malheur. Ce n'est que comme ça qu'on pourra, main dans la main évoluer.
Que dites-vous des artistes qui sont en même temps producteurs, managers, distributeurs, etc?
C'est ahurissant, avilissant et honteux ce qui se passe. Nulle part cela ne se passe ainsi. En principe, pour sortir un produit musical de bonne qualité, les travaux sont assumés par une chaîne de professionnels de l'amont jusqu'en aval. Si quelques rares artistes-musiciens respectent cette organisation du travail, tel n'est pas le cas pour la grande majorité. C'est ainsi que de nombreux artistes se retrouvent au four et au moulin accomplissant eux-mêmes la plupart des tâches, notamment celles de manager, de promoteur et de distribuer. Quand vous les voyez, ils sont fatigués et donnent l'impression de quémander, de mendier. C'est déplorable cette image qui ternit quelque peu leur honorabilité.
Comment y mettre fin?
Ce serait un travail de longue haleine. Pour y parvenir, l'État, les artistes et les professionnels dans le domaine doivent jouer leur partition. Le ministère de la culture devrait aider financièrement ceux qui sont dans le cas en mettant en place un mécanisme d'accompagnement de ces artistes soit sur le plan financier, soit sur le plan de la logistique dans des conditions bien précises.
De leur côté, les opérateurs culturels devraient se faire plus sérieux et offrir des garanties morales aux artistes dans le cas. Il faudra aussi que les termes des contrats les liant ne soient pas trop défavorables aux artistes qui les signent. Il s'agit avant tout d'un partenariat gagnant-gagnant. Les artistes surtout peu lettrés doivent avoir chacun son manager lettré pour bien lire les contrats avant signature. Ce sont-là quelques approches de solutions.
Pensez-vous que l'artiste musicien peut ou doit vivre de son art?
L'artiste musicien qui se respecte et respecte les bases professionnelles de la production musicale doit pouvoir vivre de son art. Par contre cela devient moins évident pour les artistes partagés entre leur profession et la passion musicale. Et puis le cas de ce que je qualifie d'artistes musiciens occasionnels qui ne s'en sortent pas et mènent une vie misérable. Je sais que ce n'est pas facile mais il faut bien reconnaître qu'il y a des artistes qui s'en sortent bien. Alors pourquoi pas les autres?
A quand la sortie de votre opus ou du single?
Les compositions sont déjà prêtes. Il me reste l'arrangement musical et les clips.
Cela à un coût surtout que j'entends sortir un produit de bonne facture. Pas d'à peu près chez moi. Alors vu mes ambitions, la sortie de l'opus ou d'un single se fera en 2017. Bien que je me prépare financièrement, je voudrais pouvoir être soutenu également par des philanthropes pour la sortie de cette œuvre musicale qui me tient beaucoup à cœur.
Propos recueillis par Kolawolé Maxime SANNY