Le redéploiement des agents de l’Etat, en service dans les directions centrales, techniques et dans les organismes sous tutelle des ministères de l’enseignement secondaire et du primaire, entraine déjà des grincements de dents. Malgré les mesures d’encadrement prises au profit des enseignants concernés, il y a le spectre de la démotivation qui pourrait annihiler le souhait des autorités d’avoir de meilleurs résultats.
A l’annonce de son redéploiement au Collège d’enseignement général d’Akassato, Lucien est hors de lui-même. C’est avec dédain qu’il confie au milieu de ses collègues : « je n’ai aucune envie de retourner à la craie ». Après 5 ans passés au Ministère de l’enseignement secondaire, Lucien, la quarantaine environ, va devoir, malgré lui, retourner à ses premières amours. Joint au téléphone, Richard, également dans le cas, nous renvoie aux auteurs de ladite décision. De son côté, Basile, enseignant au primaire, préfère vaquer à autre chose que d’aller une fois encore à la craie. Vincent quant à lui, ne trouve aucun inconvénient à reprendre la craie. « Il n’y a pas de problème à retourner à la craie, car l’enseignement a toujours été mon statut de base. J’étais Censeur adjoint dans mon établissement avant d’être nommé. Puisqu’il n’y a pas encore la nécessité d’avoir trois censeurs dans le même établissement, je suis mis à la disposition de ma Direction départementale », confie-t-il. Ainsi, chacun y va de sa manière pour apprécier le redéploiement des agents de l’Etat en service dans les directions centrales, techniques et dans les organismes sous tutelle du ministère de l’enseignement secondaire et celui du primaire. Certains donnent de la voix dans l’espoir que leur cri du cœur sera écouté. « J’ai des amis qui n’ont pas envie de retourner à l’enseignement. Au lieu d’accepter la décision, ils passent des coups de fil afin que leur cas puisse être revu…L’homme, par nature, n’aime pas qu’on l’enlève de là où il se sent en condition. Il en veut toujours plus… », déclare Vincent. Effectivement, le Secrétaire général de la Cosi-Bénin, Noël Chadaré révèle qu’il reçoit pas mal d’appels venant des enseignants. « Les gens m’appellent et demandent que nous intercédions en leur faveur. Je leur réponds que nous défendons les travailleurs et non la paresse… », dit-il. D’autres enseignants par contre restent indifférents face à la prise d’une telle décision. Dans la foulée, Rodolphe, bien qu’étant en situation délicate, ne s’est pas opposé à la décision. D’où la problématique des critères de redéploiement des agents dans les établissements scolaires.
Une décision justifiée !
Selon le Porte-parole du Front d’action des syndicats de l’éducation, Maxime Okoundé, la décision a touché 218 enseignants du primaire et 81 du secondaire. A ce sujet, divers critères de redéploiement ont été appliqués, ceci sous l’œil vigilant du Front d’action des syndicats de l’éducation. « Ceux qui ont 15 ans d’ancienneté ou plus, de même que ceux qui ont fait plus de 5, 7 ou 10 ans ne sont pas ramenés à la craie. Par contre, ceux qui ne sont pas utiles, ni sur le plan technique, ni administratif ont été ramenés à la craie. Ce qui fait d’ailleurs que sur les 412 dossiers traités à l’enseignement secondaire, seulement 81 enseignants ont été redéployés dans les établissements… », précise-t-il. A en croire Maxime Okoundé, cette décision répond à deux préoccupations majeures. « La première concerne la solution à la pénurie d’enseignants qualifiés. La deuxième, la recherche de la qualité dans l’apprentissage et dans les stratégies d’enseignement qui doivent permettre de combattre l’échec scolaire et d’améliorer les résultats aux examens…On a un déficit de plus de 11 000 enseignants à combler aujourd’hui pour faire face à la pénurie dans les établissements et autres lycées du fait des départs massifs à la retraite et des enseignants qui sont nommés dans les administrations », ajoute-t-il.
Crainte d’un faible rendement
Bien que la décision soit saluée non seulement par certains enseignants, mais aussi par les centrales et organisations syndicales, il y a lieu de porter des réserves quant à l’engouement des personnes redéployées, de même que leur capacité à s’adapter aux méthodes d’application de l’Approche par compétence (Apc). Pour Bienvenue Ahouansou, professeur de Français, on pourrait noter une démotivation dans le rang des enseignants concernés. « Les ministères auraient dû prendre l’avis des enseignants avant de les renvoyer à la craie. Même s’ils ont tous les avantages, ça ne marchera pas, tant qu’ils n’ont pas la volonté », dit-il tout en reconnaissant que la décision est salutaire. « Ce sont des gens qui se sentent à l’aise là où ils étaient. Leur début sera sans doute une pilule amère. Mais avec le temps, ils vont rentrer dans les rangs... », ajoute-t-il. Un avis que ne partage pas le Secrétaire général du syndicat national des professeurs des lycées et collèges Thomas Kossi Kakpo : « … Ces enseignants cachent une certaine incompétence pour aller se réfugier dans les administrations...En se retrouvant dans les administrations scolaires, certains enseignants, à la recherche du gain facile, fuient également la préparation des fiches… », explique-t-il. Pour lui, le Gouvernement n’a pas perdu de vue le fait que ces enseignants ont perdu la main, il a alors pris des dispositions pour leur recyclage. « Les enseignants du primaire ont été déjà recyclés. Cette fois, c’est ceux du secondaire », ajoute Maxime Okoundé. Et pour se prémunir contre cet état de choses, le Front d’Action des Syndicats de l’Education, au sujet de la rentrée scolaire 2016-2017, a donné la liste des mesures urgentes pour une année scolaire apaisée, avec à la clé, des résultats reluisants. Le Gouvernement est donc attendu.
Impression de quelques acteurs
Francis Maxime Okoundé, Porte-parole du Front d’action des syndicats de l’éducation
« Nous ne sommes pas contre une telle décision ; mais il faut l’encadrer »
« La décision de redéployer les enseignants en position sédentaire est une décision prise par les ministres de l’enseignement maternel et primaire, Salimane Karimou et de l’enseignement secondaire Lucien Kokou pour répondre à deux préoccupations : La première concerne la solution à la pénurie d’enseignants qualifiés, la deuxième, la recherche de la qualité dans l’apprentissage et dans les stratégies d’enseignement, qui doit permettre de combattre l’échec scolaire et d’améliorer les résultats aux examens…On a un déficit de plus de 11000 enseignants qu’on devrait avoir aujourd’hui pour faire face à la pénurie dans les établissements et autres lycées et combler le vide des départs massifs à la retraite et des enseignants qui sont nommés dans les administrations. Dans cette perspective, la décision a été prise et nous avait été annoncée lors des assises des conseils consultatifs nationaux, du primaire comme du secondaire. Nous avons dit que nous ne sommes pas contre une telle décision ; mais il faut l’encadrer de manière à ne pas faire des mécontents. Ce redéploiement n’est pas une nouveauté. Sous la ministre de l’enseignement primaire Karimou Rafiatou, cela fut un échec. Parce qu’à un moment donné, on a appliqué de façon laxiste la décision. On a protégé des partisans du régime, on a muté d’autres parce qu’ils n’ont pas de parapluie politique.
Entre-temps, sous le régime du changement et de la refondation, il y a eu une politisation à outrance de la chose éducative, où beaucoup d’enseignants sont rentrés dans l’administration alors qu’ils ont pour vocation d’enseigner. Ils se sont retrouvés dans les administrations à la recherche du mieux-être. Il y a des administrations comme la Direction des examens et concours (Dec), les directions centrales et techniques où la présence de ces enseignants n’est pas très utile. Ils n’ont aucune occupation réelle. Nous avons encadré la décision parce que nous ne voulons pas qu’il y ait une injustice. Nous avons dit qu’il faut faire le point des enseignants malades, ceux qui ont reçu d’autres formations supérieures et qui ont des profils techniques. Par contre, il y a ceux qui ne font rien dans les administrations et attendent pourtant les salaires, les primes et les missions… ».
Noël Chadaré, Sg/Cosi-Bénin
« Nous défendons les travailleurs, mais nous défendons ce qui est juste »
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« Je crois que c’est une mesure parmi tant d’autres qu’il faut prendre, si tant est qu’on veut de la qualité dans nos écoles et éviter d’avoir des résultats catastrophiques. Si le gouvernement estime qu’il a besoin des enseignants qualifiés qui ont pour vocation d’enseigner, qui sont pour une raison ou une autre nommés dans les directions des ressources humaines, la direction des examens et concours et un peu partout dans les autres ministères, nous ne pouvons rien contre cela. En plus, il faudra les former, parce que nous sommes dans l’approche par compétence, étant donné que ces enseignants ne sont plus en situation de classe. Etant déconnectés, ils ont besoin de se faire former avant la rentrée. Mais ce n’est pas la panacée. C’est peut-être une des mesures qu’il faut prendre.
Il n’y a pas de problème à être redéployés dans les collèges. Les enseignants dont on parle, sont recrutés en tant que tels, mais qu’ils ont occupé des postes de responsabilité dans les ministères et autres directions. Certes, ils sont utiles, mais ils sont avant tout enseignants. Si le Gouvernement estime qu’il faut les rappeler, on n’a pas d’arguments pour s’y opposer. Nous défendons les travailleurs, mais nous défendons ce qui est juste, parce qu’avant tout, ils sont enseignants. Si l’école est en danger et que le Gouvernement estime qu’il faut les ramener à la craie, on ne peut pas s’opposer à cela. Nous, nous sommes obligés de constater, parce qu’il y a péril en la demeure. Eux-mêmes devraient comprendre que pour des raisons d’efficacité, il ne devrait pas avoir de problème. C’est pour ça que j’intercède en faveur des comptables dans les établissements. Il serait mieux de leur donner une masse horaire de 5h ou 6h afin qu’ils participent aussi à la formation et de ne pas leur faire perdre le poste de comptable. Car, ces gens ont déjà acquis une expérience en la matière.
Les autres qui sont à la Direction des examens et concours, aux directions des ressources humaines et autres sont obligés de revenir dans les collèges. L’école est en situation difficile et beaucoup d’enseignants iront à la retraite d’ici octobre prochain. Cela crée un vide dans le fonctionnement des établissements. Il en sera ainsi l’année prochaine. Il faut recruter. Cela ne suffira peut-être pas, si on estime qu’il faut battre le rappel de ces gens. Ils peuvent revenir, mais pour tenir des classes, il faut qu’ils se fassent recycler. Les Directeurs et censeurs doivent aussi tenir des classes, parce que quand il s’agit de corriger les examens de fin d’année, ils veulent mordicus corriger, alors qu’ils ne participent pas à la formation des apprenants. Il faut traiter au cas par cas les enseignants qui sont dans cette situation ».
Patrice SOKEGBE