Les critiques fusent de partout. De nombreuses voix se sont déjà levées pour fustiger la décision du Gouvernement d’interdire les activités des organisations estudiantines. Et l’analyse du Professeur de droit administratif Ibrahim Salami, ne dérogera pas à la tendance générale. Bien au contraire, elle est toute tranchée.
La décision du gouvernement est-elle fondée juridiquement ? Qu’en est-il de son opportunité ?
En tant que vice6doyen honoraire de la Fadesp, je reconnais qu’il y a un vrai problème de violences sur nos campus, surtout celui d’Abomey-Calavi. Il est déjà arrivé que nous les enseignants, nous ayons peur d’aller sur le campus par crainte, d’être agressés. C’est un problème récurrent auquel une solution appropriée doit être apportée. Mais cette réponse ne peut être appropriée si elle n’est pas légale. Et c’est le cas de la décision du gouvernement de la rupture. Cette décision est à la fois illégale, inconstitutionnelle et inopportune. Illégale parce qu’une restriction aussi importante et aussi grave ne peut être apportée que par une loi. Et même cette loi doit être soumise au contrôle de constitutionnalité de la cour constitutionnelle. Un décret encore moins un relevé du conseil des ministres ne peut remettre en cause une liberté constitutionnellement garantie. Et c’est en cela que la décision est inconstitutionnelle. Enfin, la décision du gouvernement est inopportune parce que, au lieu de régler le problème, elle va l’aggraver. Elle aura pour effet de mobiliser la lutte estudiantine et syndicale contre le gouvernement. J’ai l’impression que le gouvernement de la rupture veut rompre avec notre idéale démocratique. Au lieu de faire baisser la fièvre, le gouvernement veut casser le thermomètre. Cela nous ramène en arrière de plus de trente ans. J’ai le sentiment que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui veulent obstruer le chemin qu’ils ont emprunté pour conquérir le pouvoir. La décision gouvernementale est liberticide. Elle doit être dénoncée.
Les associations ou organisations estudiantines n’ont-elles pas le même statut que les associations ordinaires ?
Les libertés associatives, syndicales et de réunion ont valeur constitutionnelle. Elles ont été ‘’violemment violées’’ par le gouvernement. La Cour constitutionnelle doit être saisie et doit dire le droit, et je ne doute pas qu’elle va déclarer cette décision contraire à la Constitution.
Quelles sont les implications juridiques d’une part et les conséquences de cette décision d’autre part sur le militantisme estudiantin ?
Comme je l’ai dit, elle aura pour effet de mobiliser ce qui reste des organisations syndicales contre le gouvernement. C’est une dérive gouvernementale attentatoire à l’État de droit. C’est une décision digne d’un régime dictatorial et d’une République bananière. Tout juge est sensible aux interdictions générales et absolues, comme c’est le cas ici. Dans un État de droit digne de ce nom, une telle décision ne peut être acceptée. Elle est générale en ce qu’elle s’applique sans réserve et sans nuance à toutes les universités nationales. Elle est absolue en ce qu’elle n’est même pas limitée dans le temps. Elle est inacceptable juridiquement.
C’est un très mauvais précédent qui n’honore pas notre pays. Si on n’y prend garde, ce gouvernement interdira bientôt sous des prétextes fallacieux, les activités des partis politiques. La veille citoyenne est plus que jamais nécessaire. Un ajout sur le caractère général de la mesure. La décision est générale également en ce qu’elle ne distingue pas les organisations estudiantines selon qu’elles sont violentes ou pas. Elle est sans nuance ni réserve, un ajout sur l’illégalité. Elle est contraire à la loi 1901 sur la liberté associative.
propos recueillis Naguib ALLAGBE