Porté à la présidence de la République par 65% des électeurs, Patrice Talon imprime son rythme à la gouvernance. Auréolé d’une adhésion populaire qui met en déroute la classe politique, le successeur de Boni Yayi semble libéré des pesanteurs politiciennes. Et l’entame de mandat dégage les effluves d’un rapport à fleurets mouchetés entre le pouvoir de la rupture et le monde partisan. L’homme d’affaires dont la visibilité et la notoriété ne tiennent pas du marketing des partis et alliances de partis a carte blanche pour tailler son quinquennat.
Une question lancinante est devenue une obsession. Talon peut-il se passer de la classe politique ? Cet homme a des affinités dans la sphère politique, mais son ascension n’est pas l’effet de la magie partisane. Propulsé au second tour de la présidentielle par le ressort populaire , il n’a retrouvé le levier de la coalition de la rupture que dans le dernier round pour briser le rêve de Lionel Zinsou, candidat de l’alliance républicaine, poulain de Yayi et incarnation de la continuité. L’exploit du candidat du Nouveau départ le met a priori à l’abri de la pression des politiciens.
Malgré le déficit cruel d’adhésion politique à sa candidature, Talon qui « rêve d’être porté en triomphe par les Béninois en fin de mandat », est condamné à construire la rupture avec la classe politique. La propension primitive de rouler en solo doit vite céder à cette quête de légitimation politique. Sans le soutien massif des députés, le projet phare de réformes politiques et institutionnelles sera voué à l’échec. Le miracle agité tournera au cauchemar. Il ne restera que les cendres du projet du talonnisme. L’Assemblée Nationale se chargera de les enfouir dans le sous sol de la politique.
Heureusement, Talon a déjà compris l’enjeu. La rencontre avec les députés Fcbe et UN est un signe de rapprochement et de quête d’appuis politiques. La volonté de consulter le peuple sans le passage parlementaire avait suscité un tollé général. Accusé de prendre des raccourcis, l’équipe du Nouveau départ s’est rétractée pour rechercher des solidarités politiques et assurer la navigation légale.
L’ancien sponsor de la politique ne prendra pas le risque d’un bras de fer avec les grands partis et alliances de partis. Obligé de faire les yeux doux aux députés, Talon épargnera à son projet de révision l’estocade parlementaire qui pourrait démolir tout le quinquennat. Yayi, malgré la gouvernance infernale, reconnaissait qu’il fallait « caresser les vieux crocodiles ». Même si le chantre de la refondation illusoire cultivait son règne dans les foyers de tension et l’éternelle crise politique, il a dû théoriquement faire cet aveu.
Talon n’a pas le choix. La révision sera étouffée dans l’œuf sans la bénédiction politique des locataires du palais des Gouverneurs. Il faut une majorité des trois quarts des membres composant l’Assemblée nationale pour la prise en considération du projet de révision. La rupture devrait chasser dans les espaces infinis et sur les terrains délicats du Temple de la politique. En ce début de mandat, Talon a encore la marge de manœuvre pour séduire les élus et vaincre les réticences.
Sulpice Oscar GBAGUIDI