La décision prise en Conseil des ministres la semaine écoulée interdisant toute activité aux associations estudiantines dans les universités publiques est fortement critiquée. Le gouvernement est sur la sellette. Et le Chef de l’Etat pourrait bien revoir la décision présentée comme liberticide.
Le gouvernement a provoqué le mécontentement des défenseurs des droits de l’homme en cherchant à mettre au pas les étudiants. L’interdiction d’activités aux organisations estudiantines ne passe pas au sein de l’opinion. Au lendemain de cette décision plutôt curieuse, presque toutes les confédérations et centrales syndicales ont vitupéré le gouvernement de la Rupture.« Nous sommes dans un pays démocratique. Nous sommes dans un Etat de droit. Si on commence par interdire les mouvements sur le campus, ça veut dire qu’on finira par fermer la porte à la Bourse du travail. Je ne suis pas pour la restriction des libertés», a déclaré le Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (Csa-Bénin), Dieudonné Lokossou. « C’est une grave dérive antidémocratique du gouvernement, une grave violation du droit à l’expression et à la parole, une violation du droit de revendiquer. Talon a franchi le Rubicon.», a déploré quant à lui, Paul Essè Iko le premier responsable de la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (Cstb). La décision a été dénoncée par les associations d’étudiants. Certains juristes ont également souligné son illégalité. « J’ai l’impression que le gouvernement de la rupture veut rompre avec notre idéale démocratique. Au lieu de faire baisser la fièvre, le gouvernement veut casser le thermomètre. (…) J’ai le sentiment que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui veulent obstruer le chemin qu’ils ont emprunté pour conquérir le pouvoir», a trouvé l’Agrégé de droit public, Ibrahim Salami. Il ajoutera dans une interview accordée à Fraternité : « Cette réponse ne peut être appropriée si elle n’est pas légale. Et c’est le cas de la décision du gouvernement de la Rupture. Cette décision est à la fois illégale, inconstitutionnelle et inopportune». Le représentant des enseignants de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac) mettra,lui, fermement en garde le gouvernement de Patrice Talon. Le Professeur Alphonse Gaglozoun a certes reconnu, vendredi dernier à l’Uac, les violences perpétrées par les étudiants. Mais il a indiqué que le gouvernement ne saurait détruire les libertés publiques. « Nous sommesprêts à combattre avec sueurs et sangs…toute tentative de musellement de la liberté sur nos campus et tout acte visant à froisser les franchises universitaires…Là où la liberté est supprimée, la médiocrité s’installe en corrélation avec la dictature», a-t-il martelé. Le ton est donc donné. La décision liberticide du gouvernementa généré le tollé au sein de l’opinion. Et la résistance s’organise.Patrice Talon osera-t-il ignorer les réprobations des organisations syndicales? Ce sera un risque qu’il prendra en fonçant tête baissée dans sa démarche. Si la logique du gouvernement est d’arracher l’arme de revendication aux étudiants, il pourrait retourner davantage l’opinion contre lui. Le milieu universitaire ne peut rester inactif face à des mesures rétrogrades. Les libertés publiques ont été acquises suite à de grandes luttes et devront pouvoir être consolidées. Le régime de la Rupture pourrait avoir à gérer une fronde généralisée et organisée.
Une nouvelle posture…
Les contestations montent. Aucun acteur du milieu universitaire ne veut visiblement encourager Patrice Talon et son équipe. Même l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International a dû publier un communiqué fustigeant les options prises par le gouvernement. « L’interdiction s’inscrit dans le cadre d’une tentative inadmissible d’étouffer la contestation légitime au sein des associations étudiantes… Cette interdiction doit être immédiatement levée afin de rétablir la justice et la paix sociales sur les campus.», lit-on dans le communiqué publié le 07 octobre dernier. Le gouvernement est donc suivi de très près. Son image pourrait bien être écornée. Seulement, face aux remarques, le Chef de l’Etat pourrait changer de posture. Il pourrait tenter un rétropédalage comme il en a l’habitude. Sinon, il devra collaborer avec le monde universitaire pour trouver une porte de sortie. Le professeur Gaglozoun a fait dans ce cadre des propositions. Il a recommandé à Patrice Talon de prendre très vite les arrêtés d’application des nouveaux décrets organisant les associations estudiantines « de concert avec les acteurs de la vie universitaire».Le gouvernement peut donc saisir la perche.
Mike MAHOUNA