La communauté internationale célèbre aujourd’hui lundi 17 octobre la Journée internationale de l’élimination de la pauvreté. En marge des manifestations qui vont marquer cette journée au Bénin, le coordonnateur résident du Système des Nations Unies et représentant résident du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), au Bénin, Siaka Coulibaly fait ici le point des interventions de son organisme pour affirmer que l’avènement des Objectifs de développement durable offre une opportunité pour le pays.
La Nation : Le Programme des Nations Unies pour le développement accompagne les efforts en matière de lutte contre la pauvreté au Bénin. Pourtant le dernier rapport sur l’Indice du développement humain ne plaide toujours pas en notre faveur. Comment la pauvreté est-elle ressentie dans le contexte béninois ?
Siaka Coulibaly : Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez de parler de la lutte contre la pauvreté au Bénin. Avant tout propos, il me plait de rappeler que la pauvreté est un concept qui ne se prête pas aisément à une définition, du moins à une définition qui fasse l’unanimité. Car elle porte sur plusieurs aspects aussi divers et variés que les réalités quotidiennes de chaque individu. Malgré ces divergences, trois grandes approches de la pauvreté semblent s’être imposées dans la pensée économique au fil du temps (PNUD [1997], Asselin & Dauphin [2000]). Il s’agit de l’approche par le revenu, l’approche du point de vue des besoins essentiels et l’approche en termes de capacités.
L’approche par le revenu se fonde sur la thèse classique du bien-être économique. Elle est unidimensionnelle et n’évoque que les aspects monétaires de la pauvreté à travers le revenu ou la consommation. Pour cette approche, le pauvre est celui dont le niveau de revenu ou de consommation est inférieur à un seuil, défini comme étant le minimum requis au regard des standards de la société considérée.
Les deux autres courants invitent à ne pas limiter la pauvreté au bien-être et aux aspects monétaires. Ils sont multidimensionnels. C’est ainsi que l’approche par les besoins essentiels met l’accent sur la nécessite d’« être » avant de « bien-être ». En d’autres termes, les individus ont des besoins de base qui doivent être satisfaits, au nombre desquels l’éducation, la santé, la nutrition, l’eau potable, les aménagements sanitaires, l’habitat et les services de transport public. L’accroissement des revenus ne permet pas de toujours couvrir ces besoins fondamentaux. De ce point de vue, une personne est pauvre lorsqu’elle n’arrive pas à satisfaire tout ou partie des besoins de base. Elle connaît, pour ainsi dire, un état de privation ou de dénuement qui ne lui permet pas de mener une vie décente. L’approche par les capacités va encore plus loin pour s’intéresser aux caractéristiques personnelles des individus, à leur habilité à « pouvoir être » et à « pouvoir faire ». Dans la pratique, les analyses restent encore dominées par l’approche monétaire bien que les organisations internationales comme le PNUD privilégient les approches par les besoins essentiels et par les capacités.
En se référant aux deux dernières approches relatives aux besoins essentiels et aux capacités des individus, l’on peut noter que le Bénin effectue des progrès au fil des années sur le chemin du développement humain ; le développement humain mesuré par un indicateur synthétique qu’est l’Indice de développement humain (IDH), compris entre 0 et 1, et calculé par la moyenne de trois indices dans trois domaines que sont : la santé/longévité, le niveau d'éducation mesuré par la durée moyenne de scolarisation pour les adultes de plus de 25 ans et la durée attendue de scolarisation pour les enfants d'âge scolaire et enfin, par le niveau de vie en termes de produit intérieur brut par habitant en parité de pouvoir d'achat. L’IDH du Bénin est passé de 0,287 en 1980 à 0,480 en 2014, enregistrant ainsi une hausse de 67,1% et un taux d’accroissement moyen annuel de 1,5%. Le niveau d’IDH ainsi obtenu classe le Bénin à la 166ème place au niveau mondial sur 188 pays. Du reste, Cette amélioration de l’IDH est impulsée principalement par les progrès réalisés dans les domaines sanitaire et éducatif, et dans une moindre par les gains liés à la croissance économique. En effet, entre 1980 et 2014, l’espérance de vie au Bénin s’est accrue de 12,3 ans, la durée moyenne de scolarisation s’est allongée de 2,7 années et la durée probable de scolarisation a progressé de 6,7 ans. Quant au revenu moyen par habitant, il s’est renforcé à un rythme moyen annuel de 0,8%.
La faible progression du revenu moyen par habitant notée dans l’évolution de l’IDH est à relier à la pauvreté monétaire dont l’indicateur ne s’améliore pas durablement au Bénin. Selon la dernière enquête (EMiCOV) sur les conditions de vie des ménages réalisée, la pauvreté monétaire a augmenté sensiblement en passant de 33,3% en 2007 à 40,2% en 2015, soit une hausse de plus de 20%, même si on peut noter une certaine stabilisation de la pauvreté non monétaire moins élevée à près de 30%.
Cette pauvreté est surtout intense en milieu rural, pour une proportion de pauvres estimés à 43,56% contre 35,83% en milieu urbain. Les départements qui concentrent le plus de populations pauvres sont notamment, les départements du Zou, des Collines, du Mono, du Couffo. Les départements dans lesquels les taux de pauvreté sont plus faibles sont notamment le Littoral et l’Ouémé. Les facteurs explicatifs de la pauvreté au Bénin sont notamment, le milieu de résidence, la taille du ménage, le niveau d’instruction du chef de ménage. Certaines régions dont les conditions géo-climatiques sont les plus défavorables concentrent plus de personnes pauvres. Egalement, les ménages dont le chef de famille est plus instruit sont susceptibles d’être moins pauvres. Dans ce contexte, les politiques doivent viser à s’adapter aux différentes régions et l’éducation doit devenir une priorité. Il a également été constaté que les emplois dans le secteur agricole et informel peu productifs ne favorisent pas des niveaux de revenus conséquents. Des politiques d’amélioration de la productivité globale au niveau des différents secteurs et à tous les niveaux sont à promouvoir. C’est suivant ces axes que le PNUD et l’ensemble du Système des Nations Unies accompagne le gouvernement et les populations du Bénin dans leurs efforts de tous les jours pour l’éradication de la pauvreté.
Quels sont les champs d’interventions du PNUD en matière de lutte contre la pauvreté au Bénin ?
Le PNUD accompagne le Bénin sur la base d’un cadre de coopération aligné sur les défis et les priorités de développement nationaux, tels qu’ils ressortent des orientations stratégiques et de la vision de développement du gouvernement du Bénin. Le cadre de coopération en cours se rapporte à la période 2014-2018 ; il s’inscrit dans le cadre de l’action collective du système des Nations Unies au Bénin et est décliné dans le Plan Cadre des Nations Unies pour l’assistance au développement (PNUAD), suivant trois domaines prioritaires que sont croissance inclusive, emploi, sécurité alimentaire et protection sociale ; gouvernance, participation et décentralisation ; puis gestion durable de l’environnement, changements climatiques et catastrophes.
Des thèmes transversaux comme les droits humains, le genre et le VIH/SIDA viennent compléter les problématiques dont la prise en compte est appuyée par le PNUD dans le cadre de la formulation des politiques et stratégies nationales.
Conformément à son mandat et au cadre de coopération signé avec le gouvernement du Bénin, le PNUD intervient dans la lutte contre la pauvreté à deux niveaux. Le premier niveau concerne l’appui-conseil pour l’élaboration des stratégies et politiques de développement favorables à des politiques de croissance inclusive et de réduction de la pauvreté (comme par exemple les Etudes nationales de perspectives à long terme, Benin Alafia 2025, qui constitue à ce jour un document de référence pour la vision du développement au Bénin, le Bénin émergent, les Orientations stratégiques de développement et le suivi de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. Le PNUD appuie également les différentes enquêtes relatives au suivi de la pauvreté et des conditions de vie des ménages. Le deuxième niveau de l’intervention du PNUD porte sur la mise en œuvre de projets spécifiques opérationnels. Ces interventions sur le terrain visent à relever le défi de la réduction de la pauvreté et de la faible capacitation des communautés à la base. Ainsi, au cours des trois dernières années, les interventions phares du PNUD s’articulent autour de l’accélération des progrès vers les OMD, la résilience des populations aux aléas et aux changements climatiques, le développement durable et la réduction de la pauvreté par la promotion de la création de l’emploi et l’entreprenariat des jeunes et des femmes.
Dans le domaine de la croissance inclusive, initiatives locales et de l’emploi des jeunes, les interventions du PNUD sont orientées autour de cinq projets prioritaires qui ont permis d’obtenir des résultats probants sur le front de la lutte contre la pauvreté. Le Projet de promotion de l’entreprenariat agricole (PPEA) qui vise à adresser le triple défi de l’emploi des jeunes, la pauvreté et l’exode rural est mis en œuvre avec l’appui technique du Centre régional Songhaï. Il doit permettre à terme, d’une part, la création de 9 centres d’incubation en entrepreneuriat agricole, le renforcement de capacités de 3.000 jeunes femmes et hommes et, d’autre part, l’accompagnement à la création d’entreprises agricoles viables. A ce jour, 3 Centres d’incubation en entreprenariat sont complètement opérationnels (Kétou, Zangnanado, Daringa) ; 800 jeunes gestionnaires dont 128 femmes ont été formés.
Le Projet d’appui à la mise en place des Business promotion center (BPC) vise à créer des centres régionaux de ressources pour promouvoir l’entreprenariat, les toutes petites entreprises et le développement local du Bénin. A ce jour, neuf (9) BPC sont mis en place dans les principales villes du Bénin (Cotonou, Porto-Novo, Parakou, Abomey-Calavi, Lokossa, Natitingou, Bohicon, Kandi et Pobè) et touchent environ 100 000 bénéficiaires. Au 31 décembre 2015, 9000 jeunes ont été informés et sensibilisés sur l’entreprenariat, 35 381 promoteurs ont été accompagnés dont 7095 femmes accueillis dans les six (06) centres opérationnels. Le défi sur ce projet est l’appropriation nationale, la viabilité et la pérennité de l’intervention.
Le Projet d’appui à l’opérationnalisation des Villages du Millénaire (PVM), initié par le gouvernement du Bénin avec la collaboration du PNUD, est une contribution à l’éradication de l’extrême pauvreté dans la commune de Banikoara, identifiée comme l’une des plus pauvres de toutes les communes au Bénin. La première phase du projet a permis d’améliorer significativement les conditions de vie d’une population totale estimée à plus de 15.000 individus très pauvres des villages de Kandérou, Founougo A et Founougo B dans la commune de Banikoara. Elle a aussi permis de renforcer les capacités nationales et locales de réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) au niveau décentralisé. Le démarrage de la seconde phase du PVM Banikoara a été effectif en 2015 grâce à une contribution du Japon. Avec le gouvernement d Bénin, il a été convenu de sa généralisation à tout le pays d’où l’initiative nationale de 12 Villages du Millénaire. Le deuxième projet du Millénaire est implanté dans la commune à Bonou, toujours en partenariat avec le Japon. Il s’inscrit dans la dynamique de l’opérationnalisation de la sécurité humaine et du développement durable et compte explorer plusieurs actions novatrices dont les Plate-formes Multifonctionnelles (PTFM) modernes. Ce projet a effectivement démarré au cours en 2016.
Dans le domaine de la préservation de l’environnement, l’appui du PNUD a permis la réduction de la pression anthropique sur les ressources naturelles. Par la recherche et la mise à disposition de sources d’énergie alternative qui ne nuisent pas à l’environnement. En termes de résultat, les populations ont pu produire des briquettes combustibles qu’elles ont adoptées comme source d’énergie réduisant du coup l’abattage des arbres pour la production de bois de chauffe. L’accompagnement du PNUD a conduit à la fabrication des bios digesteurs qui réduisent la quantité de carburant initialement utilisé pour l’éclairage ainsi que les quantités importantes de CO2 émises. A ces technologies innovantes, s’est ajoutée la fabrication de 80 autocuiseurs, qui ont l’avantage de réduire la pression sur les ressources forestières. Du reste, en vue de renforcer la résilience des communautés aux effets néfastes des changements climatiques dans neuf (9) villages de démonstration, le PNUD a mis à la disposition des communautés vivant dans les zones agro-écologiques de pêcherie, des cages flottantes, des enclos piscicoles pour la reproduction en bac-hors sol d’alevins à cycle court et résilients, des puits tubés forés dont certains sont munis de dispositifs de pompage avec des panneaux solaires pour l’approvisionnement en eau d’irrigation des parcelles de riz et des cultures maraîchères de contre saison, etc. Pour la reconstitution des stocks de semences à cycle court et le renforcement des capacités en équipements de travail aux communautés des populations vulnérables aux chocs climatiques, le PNUD a également mis à la disposition des communautés de ses zones d’intervention, de semences à cycle court de céréales telles que : le maïs, le riz, le soja, etc., et celles des spéculations maraîchères. Il en est de même aussi des plants forestiers et agro-forestiers à des fins d’agroforesterie et de plantations individuelles ou communautaires. Le PNUD a également renforcé les capacités d’intervention des communautés vulnérables par la mise à leur disposition de matériels et équipements agricoles. En termes de renforcement des capacités techniques des producteurs, 1473 bénéficiaires dont 264 femmes (soit 18%) ont été formés sur diverses thématiques de développement.
Pourquoi les diverses actions entreprises peinent-elles à produire des résultats probants ?
Je ne dirai pas que les diverses actions entreprises peinent à produire des résultats probants, dans la mesure où nous vivons dans un environnement mondial complexe. Le monde est en pleine mutation et les pays doivent parfois faire face à des chocs aussi bien internes qu’exogènes comme la crise économique, les effets pervers des changements climatiques qui remettent en cause des prévisions économiques. En dépit des efforts entrepris par le gouvernement béninois, on note une détérioration des conditions de vie des ménages lorsque l’on considère les dimensions monétaires de la pauvreté. Mais cette situation n’est pas surprenante étant donné que les réflexions au niveau de l’Organisation des Nations Unies que pour réduire significativement la pauvreté, il faut qu’un pays arrive à réaliser, et ceci de manière continue sur une période d’au moins dix ans, une croissance économique d’au moins 7% par an. Ce qui n’est pas encore le cas au Bénin dont la croissance économique tourne autour de 5%, en face d’une croissance démographique encore élevée : le dernier Recensement de la population effectué par le Bénin en 2015 a révélé une population estimée à 10 008 749 habitants, soit un taux annuel d’accroissement démographique inter censitaire de 3,5% sur la période 2002-2013, légèrement supérieur à celui obtenu durant la décennie 1992-2002 (3,25%). S’il n’y a pas eu d’augmentation significative du revenu par habitant comme je l’ai indiqué dans ma réponse à la question évoquée au début de notre entretien, cela est imputable, entre autres causes, au caractère très informel de l’économie, sa faible productivité, et à sa faible diversification de l’économie. Il importe d’avoir une économie diversifiée, capable de générer une croissance économique dynamique et inclusive.
De ce fait, pour renforcer le lien entre la croissance et la réduction de la pauvreté, il faut accroître la productivité des activités économiques, améliorer le niveau de l’investissement et promouvoir la formalisation progressive des activités productives agricoles et non agricoles car les populations les plus pauvres sont celles qui évoluent dans les secteurs agricoles et informels de faible productivité.
Je pense qu’il est possible de faire reculer l’extrême pauvreté et même de l’éradiquer au Bénin. La preuve est que dans plusieurs pays, elle a été globalement réduite de moitié ces vingt dernières années, certes, grâce à une ouverture dans ces pays des investissements de la communauté internationale, mais aussi et surtout par la construction d’un cadre favorable aux affaires et la promotion du secteur privé. En outre, il faudra travailler à la mise en place de politiques publiques intensives d’accès à la formation, aux technologies plus productives, aux crédits, à l’accompagnement de qualité, la mise en place d’informations socio-économiques et de services de base (éducation, santé) et de lutte contre les inégalités.
Peut-on conclure, au regard des données récentes sur la pauvreté, à un échec des diverses stratégies de croissance et de lutte contre la pauvreté ?
On ne peut parler d’échec puisque beaucoup d’efforts ont été menés et ont produit des résultats, perfectibles certes, mais réels. Comme en témoigne l’évolution continue de l’indicateur de développement humain, les avancées sur le plan démocratique et des libertés publiques. Sur la planète, il y a beaucoup de pays dont on ne dirait pas la même chose. Le bilan des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) a révélé que le Pays a fait d’énormes progrès dans l’atteinte des cibles fixées pour 2015 dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’eau. Au niveau de l’éducation par exemple, les indicateurs globaux de l’instruction primaire affichent une tendance dont le maintien peut conduire vraisemblablement à atteindre l’objectif d’accès universel à l’éducation de base (enseignement primaire et alphabétisation). Dans le secteur de la santé, des efforts appréciables ont été notés par rapport à l’amélioration de la santé infantile, l’assistance à la mère à l’accouchement et dans la maîtrise des grandes endémies telles que le VIH/SIDA et la tuberculose. En conséquence de ces évolutions, l'espérance de vie à la naissance s’est améliorée au Bénin, (passant de 47,3 ans en 1980 à 59,3 ans en 2013) et la durée moyenne de scolarisation a augmenté de 2,6 ans entre 1980 et 2013.
Toutefois, il y a encore du chemin à parcourir comme l’indique si bien les conclusions de l’évaluation de la stratégie de croissance pour la réduction de la pauvreté (SCRP) 2011-2015 que le gouvernement du Bénin a initié récemment. Les recommandations en termes de politique économique qui ressortent du rapport, insistent sur le renforcement des politiques de planification familiale, l’importance de fonder le développement national sur le développement local, une décentralisation et une déconcentration efficaces, le renforcement des politiques d’éducation et de formation professionnelle.
Pour relever le défi de l’éradication de la pauvreté et de la création des emplois et richesse, la stratégie d’accélération de la croissance économique à un niveau minimal de 7% est une condition sine qua non. Ceci appelle la réalisation d’infrastructures de qualité pour d’une part, accroître la productivité, et d’autre part réduire significativement les coûts des facteurs de production (transport, énergie, communication…) et réaliser des réformes audacieuses dans tous les secteurs de développement. Prioritairement, il conviendrait de renforcer la qualité de la gouvernance à tout point de vue. En matière de gouvernance administrative et institutionnelle, les principales réformes à parachever concerneraient essentiellement la fonction publique et viseront à mettre en place une administration de développement au service des populations et de la promotion du secteur privé. Par ailleurs, l’amélioration de la gestion budgétaire et l’élargissement de l’espace fiscal aussi bien au niveau central que local est un aspect essentiel pour accélérer les progrès vers les objectifs de développement. S’agissant des réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité de l’économie en général, et du corridor béninois en particulier, il sera primordial de mettre un accent particulier sur la poursuite de la réforme relative à la décentralisation, et finaliser les réformes et stabiliser la situation dans les secteurs vitaux de l’économie comme les filières agricoles, les régies financières, les infrastructures portuaires et routières. Les infrastructures socio-économiques de base capable d’offrir les services aux populations les plus démunies et pauvres devraient occuper une place de choix.
Le thème de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté est : « De l'humiliation et l'exclusion à la participation : Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes ». Comment le PNUD entrevoit-il la participation des pauvres ?
Comme je l’ai déjà mentionné, malgré un regain de croissance qui fluctue entre 3% et 5% depuis plusieurs années, le rythme de réduction de la pauvreté monétaire est lent. Les progrès en termes de réduction de la pauvreté non monétaire ne sont pas encore suffisants pour marquer une évolution forte de l’indice de développement humain ces dernières années. L'Objectif de développement durable (ODD) N°1 visant à «mettre fin à la pauvreté sous toutes ses formes» reconnaît explicitement que la pauvreté résulte pas seulement de l'absence d'une seule chose, mais de nombreux facteurs interdépendants, qui influent sur la vie des personnes vivant dans la pauvreté. Cela signifie que nous devons aller au-delà du fait de voir la pauvreté simplement comme l'absence de revenu ou de ce qui est nécessaire pour bien-être matériel - tels que la nourriture, le logement, la terre, et d'autres actifs - afin de bien comprendre la pauvreté dans ses multiples dimensions en y incluant les questions de discrimination et d'exclusion sociale, ainsi que le manque de participation à la prise de décision.
L’expérience a montré que les personnes vivant dans une pauvreté et un dénuement extrêmes sont parmi les plus vulnérables. Faire face aux vulnérabilités par le renforcement de la résilience appelle la définition de politiques qui ciblent spécifiquement les risques qui menacent d’une manière systémique les acquis de développement de nos pays. Ces revers ne sont pas inévitables. Chaque société est vulnérable aux risques, mais certaines souffrent beaucoup moins et se remettent des coups du sort plus vite que d'autres. Dès lors, des politiques appropriées sont nécessaires pour lutter contre les vulnérabilités et construire la résilience des populations pauvres et vulnérables face aux chocs (internes comme externes). Les bonnes pratiques que les Nations Unies ont expérimentées ailleurs avec succès mettent en avant les politiques qui favorisent un accès universel à des services sociaux de base, en particulier dans les domaines de la santé et de l'éducation, une protection sociale plus forte, incluant assurance chômage et retraites, et celles qui font la promotion du plein emploi. Ces politiques de protection sociale ne sont pas l’apanage des pays riches et développés. Les pays en développement africain comme le Bénin devrait les mettre en œuvre pour favoriser la participation des pauvres et renforcer leur résilience. Par ailleurs, les phénomènes naturels, comme les inondations, qui ont frappé le Bénin en 2010, sont de plus en plus récurrentes et sont à redouter. Ils sont le signe manifeste des effets du changement climatique. Ils sont aussi, malheureusement, de grands facteurs de vulnérabilités, notamment pour les populations les plus pauvres et démunies. Il est donc vital de renforcer les capacités de ces couches de la population pour faire face aux catastrophes et surmonter leurs conséquences, afin de permettre aux communautés de mieux gérer et surmonter ces types de chocs.
Au niveau mondial, les menaces telles que les crises financières, le changement climatique et les conflits sont par nature transnationaux, mais leurs effets sont ressentis au niveau local et national, et bien souvent se superposent. Ces effets ne peuvent être résolus par l'action individuelle et indépendante des pays. Une action collective plus solide ainsi qu'une meilleure coordination et un engagement plus poussé pour consolider la résilience s’impose. La communauté internationale devrait manifester encore plus de solidarité à l’égard des pays en vue de renforcer les capacités des pauvres, en réponse aux vulnérabilités qui se manifestent de plus en plus au niveau mondial quant à leur origine et leur impact.
Sur quoi doit-on agir au Bénin pour faire des Objectifs de développement durable un succès ?
Comme chacun sait, en septembre 2015, les 193 Etats membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sont parvenus à un consensus sur le nouveau programme de développements durable intitule «Transformer notre monde: Le programme de développement durable à l’horizon 2030». Ce programme contient les 17 Objectifs de développement durable et 169 cibles. A travers l’ensemble des ODD, les États membres se sont engagés à éradiquer la pauvreté sous toutes ses formes, à lutter contre les inégalités, à construire des sociétés pacifiques, inclusives et résilientes, en s’assurant de l'avenir de la planète et le bien-être des générations futures. Cet engagement des chefs d’Etat et de gouvernement de la planète a été renouvelé lors de la célébration du 71ème anniversaire de la naissance de l’Organisation des Nations Unies réunie en session annuelle en septembre 2016 à New York. Avant d’évoquer les conditions de succès des ODD, il importe de mentionner la différence fondamentale entre le nouvel agenda des ODD et les « anciens » OMD. D’abord les Objectifs de développement Durable (ODD) qui sont entrés en vigueur depuis le 1er Janvier 2016 remplacent désormais les anciens Objectifs du Millénaire pour le développement qui ont prévalu jusqu’au 31 décembre 2015. Ensuite, il faut reconnaître et souligner le caractère universel des ODD, donc acceptés par tous, et applicables à tous les pays, aussi bien développés que les pays en développement. En outre, les ODD traduisent une vision transformative de l’économie pour des modes de production et de consommation durables. Les ODD intègrent également les trois dimensions du développement durable que constituent l’économie, le social et l’environnement. Ainsi, les ODD adressent les questions cruciales comme la formation et l’emploi des jeunes, la réduction des inégalités, la préservation de l’environnement et la promotion de la bonne gouvernance par la mise en place d’institutions démocratiques fortes et efficaces. Pour un pays comme le Bénin, l’avènement des ODD offre une opportunité au Pays pour procéder aux réformes et pour renforcer ses politiques et stratégies nationales afin de bénéficier davantage du soutien de la communauté internationale.
Pour faire des ODD un succès, il faudra des actions mieux ciblées, des stratégies pertinentes de développement, des ressources adéquates et une volonté politique affirmée et une prise en charge des ODD dans le processus de planification du développement au niveau des Pays. Déjà, il faut dire que la prise en charge des ODD nécessite que l’ensemble des acteurs nationaux soit imprégné de leur contenu et de leurs enjeux. C’est pourquoi il faudra, dès maintenant et durant la période couverte, organiser des séances d’information et de sensibilisation sur les ODD avec les membres du gouvernement, les Parlementaires et les autres institutions de l’Etat. Ces séances d’information doivent aussi toucher l’ensemble des couches de la population notamment au niveau déconcentré et local, sans oublier la participation de la Société civile et du secteur privé.
L’intégration des ODD dans les politiques et stratégies publiques comprend également le traitement adéquat des questions importantes liées au financement du développement et l’efficacité de la dépense publique. En plus d’accroitre la mobilisation des ressources intérieures, les pays doivent explorer des sources de financement innovant pour le financement des ODD. Des réformes de politiques économiques sont également nécessaires pour accélérer la croissance économique et la transformation structurelle ainsi que la participation citoyenne pour un meilleur contrôle de l’action publique. C’est seulement ce changement de paradigme qui conduira au succès de l’agenda pour lequel nous nous sommes tous engagés pour que personne, absolument personne ne soit laissée pour compte. C’est aussi à cette condition que les populations ressentiront l’impact positif de nos actions sur leur quotidien.
Eu égard à ces considérations, le PNUD est disposé à mobiliser l’expertise technique et les ressources nécessaires destinées à renforcer les capacités nationales dans la formulation et la mise en œuvre des politiques de développement et d’investissement tenant compte des ODD. Ces politiques seront soutenues par un cadre macro-économique de qualité et une croissance durable basée sur un partenariat public-privé.
L’autre point qui va déterminer le succès des ODD qu’il faut mentionner est relatif au soutien que le gouvernement et le peuple béninois peuvent attendre de la communauté internationale. Comme vous le savez, le 17e ODD insiste beaucoup sur les partenariats et les moyens de mise en œuvre nécessaires pour réaliser les ODD d’ici à 2030. Comme cela est retenu, ce partenariat fonctionnera dans un esprit de solidarité mondiale, en particulier avec les Etats les plus faibles qui bénéficieront d’un traitement attentif. Ce partenariat prescrit aussi un engagement mondial et intense rassemblant les gouvernements, le secteur privé, la société civile, le Système des Nations Unies et les autres acteurs concernés et mobilisant toutes les ressources disponibles. Ainsi par exemple, la coopération Sud-sud et les Partenariats Publics-Privés devraient occuper une place de choix et les Pays sont encouragés à explorer davantage ces mécanismes qui peuvent accroître leur chance.
Le PNUD travaillera de concert avec le gouvernement et les autres partenaires techniques et financiers pour assurer le suivi, l'apprentissage, le compte-rendu et l'application des leçons apprises en matière d'ODD, en s'appuyant sur l'expérience de l'organisation avec les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD. Plusieurs modèles d’opérationnalisation des ODD sont proposés, il convient de les évaluer et d’en tirer le meilleur pour un passage à l’échelle. Fort de la volonté politique manifestée par le gouvernement du Bénin, je fonde beaucoup d’espoir sur les perspectives d’un succès dans la mise en œuvre des ODD, lequel succès dépend aussi bien du maintien de la cohésion sociale, de la paix ainsi que de l’efficacité des institutions démocratiques.
Propos reccueillis par Gnona AFANGBEDJI