La fusion annoncée de la gendarmerie et de la police est diversement appréciée. Des hauts gradés à la retraite interviewés ont livré leurs impressions sur cette décision du gouvernement. Lire des extraits de leurs propos.
Contrôleur général de la police à la retraite, Clovis Adanzounon
«La réforme est possible, mais difficile»
Nous allons spéculer, parce qu’on a dit fusion. Il y a trois sortes de fusion. On peut décider que la gendarmerie vienne à la police pour en faire un corps unique. Ou que la Police aille à la gendarmerie pour en faire un corps unique. La dernière possibilité, c’est la disparition totale des deux corps en faveur d’un corps neutre. (…) Je ne suis pas dans le secret du gouvernement. Je sais que c’est une réforme possible mais qui sera très difficile parce que la police a été créée en 1959. Et la gendarmerie en 1962. On a deux corps qui ont déjà plus de 50 ans d’existence qui ont toujours travaillé séparément.Elle (la réforme NDLR) est salutaire pour unifier la politique stratégique en matière de sécurité. Il faut mutualiser les moyens matériels et humains (…) Il faut dépassionner le débat. Il y a des conservateurs. Ces deux dernières années, ces deux corps ont été instrumentalisés par les politiciens. C’est une décision salutaire. Nous devons aller à la fusion pour régler un certain nombre de déviances que nous avons déplorées (…) Les deux corps sont séparés. Quels sont les renseignements qu’ils ont face à l’insécurité? Face à un problème, il faut approfondir les réflexions. Je félicite le gouvernement pour avoir pris décidé de remettre en cause l’ancien ordre (…) Cette réforme est très sérieuse et on ne peut la réaliser en un mois. Il faut une commission permanente directement rattachée à la présidence de la République ; une commission dont les membres doivent être sélectionnés parce que beaucoup vont vouloir prendre d’assaut la commission pour paralyser l’idée. Il faut également accompagner cette commission de grands moyens. Pour éviter les frustrations, il faut créer un corps neutre. C’est-à-dire ni gendarmes ni polices avec des attributs nouveaux. Il ne s’agira pas de remercier des gens.
Propos transcrits par A.S Source Canal3
Commissaire de police à la retraite, Marius Dadjo
« J’ai vu la chose venir et j’y avais pensé »
Cela ne m’a pas surpris puisque depuis les campagnes électorales, le président de la République a dit qu’il sera l’homme des réformes. Et l’un de ses tout premiers actes a été d’installer une commission de réformes. Ensuite sur le plan de la sécurité, il a placé la gendarmerie sous tutelle du ministère de l’Intérieur. La gendarmerie comme la police ont pour mission de sécuriser le pays. Donc la mission est commune. Mais pourquoi la gendarmerie relèverait-elle d’un autre ministère que celui de la sécurité publique ? En fait, il faut dire que la gendarmerie est une création typiquement française, et elle est de Napoléon qui avait pensé en son temps, qu’en créant la gendarmerie, il fallait un corps pour s’occuper de la sécurité dans les campagnes, dans les zones rurales. C’est ainsi que la gendarmerie a été pensée et créée par Napoléon 1er, alors que la police avait pour destination les cités urbaines. Les choses évoluant, s’il arrive que dans un pays, le politique pense que pour nécessité de rendement et d’efficacité, il fallait fusionner les deux corps, je pense que c’est une vision dans laquelle s’inscrit le pouvoir actuel (…). J’ai vu la chose venir et j’y avais pensé. D’ailleurs, laissez-moi vous dire qu’en France où cela a été créé, il a été observé que par moment, il arrive que des présidents de la République, pour travailler, s’appuient sur la police et d’autres,par contre, sur la gendarmerie. C’est leur création et même ici chez nous, il n’est pas rare de penser que la police est trop femmeletteet les actions de la gendarmerie sont plus vigoureuses. Donc, à vouloir tout mettre ensemble, on verra ce que cela va donner. Maintenant, l’autre inconnue, c’est de savoir véritablement fusionner, parce que les modes de recrutement depuis le Prpb (les années 70-80) avaient commencé par être les mêmes et dans les évolutions, les grades sont pratiquement pareils. Mais ceux qui sont déjà sur le terrain, qui va céder son poste à qui ? Qui va céder le commandement à qui ? C’est cela la problématique qui pourrait poser problème.
Et comment gérer de part et d’autre les unités spéciales (Gign, BAC, CRS…) pour avoir l’homogénéité recherchée ?
Le margouillat qui décide de se coudre un pantalon sait là où il va ranger sa queue ! Sinon en réalité, la France que nous imitons à tous les niveaux, ne s’est jamais sentie choquée pour cela. On pouvait s’arrêter à l’unicité des forces et mettre la police et la gendarmerie sous la tutelle du ministère de l’Intérieur pour l’efficacité recherchée. Mais au-delà de l’unicité de commandement qu’avait conférée au ministère de l’intérieur le régime, en regroupant maintenanttoutes les forces de sécurité sous la coupole du ministre de l’intérieur, s’aurait été plus indiqué qu’on l’expérimente sur un certain terme avant de savoir s’il faut continuer ou pas parce que conformément à la vision, j’ai peur qu’un autre régime ne vienne défaire cela .
Propos recueillis par Jacques BOCO/ Transcription : Th. A
Le Colonel à la retraite, Irénée Ogouchola
« J’attends d’abord d’avoir le contenu réel de cette fusion…»
Ce que je sais, c’est que l’idée de la suppression de la gendarmerie ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 1968 sous le régime du président Emile-Derlin Zinsou, la gendarmerie était appelée à disparaître. Pendant la période révolutionnaire, entre les années 75 et 76, au moment de la création des Forces armées populaires, le bruit a couru qu’un corps doit disparaître. La gendarmerie était encore indexée. Aujourd’hui qu’on parle de fusion, j’attends d’abord d’avoir le contenu réel de cette fusion avant de me prononcer. Ce qui est sûr, le fait de rattacher la gendarmerie au ministère de l’Intérieur, constitue déjà une très bonne chose au lieu de la mettre sous la tutelle de l’état-major général où les missions ne sont pas les mêmes. Ni en temps de paix, ni en temps de crise. C’était une hérésie de mettre la gendarmerie sous la tutelle de l’état-major général en temps de paix.
Propos transcrits par A.S Source Canal3
Le Général à la retraite, François Kouyami
« C’est de la distraction»
Par rapport à cette union, c’est-à-dire faire de la gendarmerie et de la police, une force unique pour assurer la sécurité des personnes et des biens, personnellement je pense que la fusion n’est pas nécessaire. Je vous parle d’expériences. J’ai été Directeur de la police, et Directeur de la Gendarmerie. Je connais les capacités et les compétences de chaque force. J’attends de voir ce qu’ils veulent mettre dans la nouvelle structure. D’ores et déjà, je dis que ce n’est pas bon. Ce n’est pas la peine de nous distraire. C’est une distraction. Si chaque unité a les chefs et les moyens qu’il faut, elle sera efficace sur le terrain. C’est aussi une question d’éducation, il faut les former. Les sources de renseignements doivent être diversifiées. Avoir une seule source ne marchera pas. J’étais passé par là. Et je sais de quoi je parle. Chaque corps a ses méthodes. Vous ne pouvez pas imposer à un corps la méthode de travail d’un autre corps. C’est des distractions inutiles. Le problème n’est pas compliqué. Ne devient pas chef de la sécurité, qui veut. Les policiers sont syndiqués et on leur confie la ville. Quand ils vont se mettre en grève, vous avez vu ce qui se passe en France? Vous avez entendu parler des gendarmes ? Non. La grande muette, c’est la gendarmerie.
Propos transcrits par A.S Source Canal3