Alfred Avodaho sur le partenariat public-privé dans certains hôpitaux publics : « Il faut faire en sorte que l’affermage ne soit pas une expérience douloureuse »
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La décision du Conseil des ministres du 19 octobre dernier, de mettre en affermage certains hôpitaux suscitent craintes et interrogations. Pour mieux comprendre le sujet et ses contours votre quotidien vous propose les points de vue de deux spécialistes ; Alfred Avodaho, administrateur en action sociale et Alassane Amadou Sanni, juriste conseiller technique juridique du ministre de la Santé.
La Nation : Vous êtes administrateur en action sociale. Quelles responsabilités exercez-vous au niveau du Cnhu?
Alfred Avodaho : Je suis le chef division des sections auxiliaires. Il s’agit des sections qui s’occupent de la restauration hospitalière, de la gestion des déchets hospitaliers de manière à prévenir la diffusion des germes portés par les malades. De l’autre côté, je gère la sécurité hospitalière afin de protéger tant soit peu les malades, leur offrir un minimum de sécurité pour leur guérison. Nous nous occupons également de la section buanderie, lingerie et taillerie avec le traitement des linges des médecins, des champs opératoires, pour les traiter de manière à permettre une autre utilisation. C’est ce dont je m’occupe actuellement après avoir été chef section sociale et de l’unité de communication du marketing social de l’hôpital.
Quand on parle d’affermage en milieu hospitalier, que doit-on comprendre ?
D’abord quand on part de la base, l’affermage se définit comme une mise en location d’un établissement agricole ou hospitalier à des tierces personnes qui vont gérer et payer des redevances à l’Etat. Je crois que si vous avez suivi le compte rendu du ministre d’Etat Pascal Koupaki, il a été clair. Donc, certains établissements hospitaliers publics seront confiés aux privés pour la gestion de manière à pouvoir engranger des bénéfices et payer des redevances. Donc, je pense que loin d’être une privatisation, c’est un système de gestion qui vise à coup sur la performance et la rentabilité.
En milieu hospitalier où, on sait que le social est un élément primordial, l’affermage est-il la solution ?
Je suis administrateur des affaires sociales donc beaucoup plus porté par tout ce qui touche les couches déshéritées. Le problème que l’affermage pose aujourd’hui, c’est d’abord la caractéristique de ce qu’on appelle un hôpital public. Par essence, il est à caractère social et l’Etat a l’obligation de protéger, garantir l’égal accès aux populations. Donc, l’hôpital public est l’établissement de santé indiqué pour tous les citoyens, afin d’avoir accès aux soins dans une approche d’équité et d’éthique. C’est d’abord à caractère social et son but n’est pas lucratif. De là, si on parle de l’affermage des hôpitaux publics, a priori construire sur des fonds publics pour garantir des soins de qualité aux riverains, et à voir les zones dans lesquelles ils sont construits, est-ce qu’on serait toujours en adéquation avec l’idée de base lors de la construction de ces hôpitaux ? Puisque les gens doivent payer des redevances à l’Etat, les privés à qui ces hôpitaux seront confiés, doivent pouvoir faire un investissement de manière à faire des bénéfices pour payer lesdites redevances. Si nous savons que le principal but d’un privé est de faire des profits, il va s’en dire que les coûts des prestations ne seront plus fixés par l’Etat.
Avez-vous des craintes par rapport aux prix des prestations ?
Dans le cas d’espèce, ils doivent étudier tout le système mis en place pour définir la contribution par rapport à une unité de service vendu comme une prestation. De là dites-vous, si l’Etat avait mis ça à 500 FCFA, le privé ne le pourra pas puisque lui, il veut vivre sur la base de ce qu’il a produit. Du coup, le prix des prestations va connaître une augmentation et ne sera plus accessible aux populations à qui ces hôpitaux sont destinés. A moins que le gouvernement mette en place, une commission d’étude pour mieux analyser les conditions de mise en application de cette décision de façon à pouvoir continuer à jouer son rôle de régulateur. Sans quoi, nous allons nous retrouver face à une population déshéritée qui va rester et mourir à la maison parce que n’ayant pas les moyens pour accéder aux soins de santé dans les hôpitaux. Il est vrai que le souci du gouvernement est autre mais peut être mieux géré, pour améliorer la qualité d’accueil, des soins pour que la propreté, la maintenance des appareils soient au beau fixe. Ce qui aura forcément un coût supplémentaire alors que la population à la base n’a pas des ressources nécessaires pour faire face à ces dépenses.
L’affermage des hôpitaux aujourd’hui, à voir l’idée des gouvernants, c’est d’améliorer. Mais cela pourrait avoir des conséquences et il y a des paramètres à prendre en compte afin de faire en sorte que l’Etat continue à dicter sa loi. Ce qui sera difficile dans la mesure où cette responsabilité est léguée aux privés, cela aura des revers sur la performance de notre système sanitaire et de nos indicateurs dans les années à venir.
On peut dire qu’il s’agit de privatisation ? Et si tel est le cas, que devient alors l’article 8 de la Constitution du 11 décembre 1990?
Je ne pense pas que l’Etat ait voulu faire de la privatisation mais j’imagine que c’est de pouvoir améliorer la qualité des prestations. Peut-être que tous les paramètres liés à ça, ne sont pas encore revus. Avec des remous qu’on observe déjà, je crois que la chose va être revue parce que l’Etat ne peut pas privatiser le système hospitalier public que lui-même a mis en place pour assurer l’accès aux soins de santé à ses populations. Moi j’ai travaillé sur le droit des patients en milieu hospitalier pour mon second cycle mais je puis vous dire que déjà, il y a beaucoup à dire en termes de droit de patient. Il n’y a pas la logistique nécessaire, l’accessibilité financière.
N’avez-vous aucune crainte par rapport à la zone cible de l’affermage ?
C’est justement toute la problématique en voyant l’idée qui a sous-tendu la création de tous ces hôpitaux dans ces zones. C’est pour faciliter l’accès aux soins à ces populations dont nous connaissons le train de vie. Les populations de Covè qui ont un train de vie leur permettant d’aller vers les structures privées de soins, sont tous à Cotonou. Or, le problème à résoudre, c’est de permettre à ceux qui sont sur le terrain et dont les activités génératrices de revenus sont comme nous le savons tous, d’avoir quand même accès aux soins de santé de qualité et à moindre coût.
Selon vous, quelles seraient alors les conséquences d’une telle décision ?
La première chose c’est la réduction du taux de fréquentation par les populations concernées, parce que les moyens n’existent pas. Deuxièmement, le nombre d’accouchement à domicile va flamber. Ce qui va conduire à un taux plus élevé de décès infantiles et maternels. Parce que n’ayant plus les moyens qu’il faut, les populations vont se limiter aux dispensaires d’à côté. Vous savez, à partir du moment où il y a l’affermage dans ces hôpitaux, les dispositions qui sont déjà en cours comme le fonds sanitaire des indigents, la gratuité de la césarienne, la prise en charge du paludisme ne seront plus prises en compte puisqu’au finish, ils doivent payer des redevances à l’Etat. C’est le cas et comme nous le savons tous, le Bénin est un pays sous-développé. Nous aurons des zones d’endémies palustres qui constituent des causes de mortalité enfantine. Je crois que cette décision est à revoir ou à mûrir davantage quoi qu’elle est bonne pour la création d’un plateau technique performant, permettant aux citoyens de bénéficier des soins de qualité. Mais le volet de l’accessibilité financière va se poser et si l’on n’arrive pas à régler cela, l’objectif de faire du social et de réduire le taux de mortalité lié à une certaine pathologie sera augmenté. L’idée est bonne mais les gouvernants doivent prendre en compte l’avis des acteurs sociaux pour les mesures de faisabilité. Ça ne doit pas être seulement une mesure au sommet de l’Etat. C’est une mesure qui va prendre en compte le volet santé nationale.
L’article 8 de la Constitution rend l’Etat responsable de la santé de ses citoyens. Il doit tout faire pour garantir les soins de qualité aux populations. De même, je suis convaincu qu’il y a des cadres compétents qui renseignent le président Patrice Talon et ils pourront assez l’orienter. Il faut aussi reconnaitre que la gouvernance hospitalière dans notre pays est à revoir.
Ne pensez-vous pas que c’est une manière pour l’Etat de prendre ses responsabilités face aux acteurs de la santé qui en font de trop?
Vous savez moi je m’abstiens souvent d’aborder le volet grève. C’est vrai que cela est écrit dans la Constitution. Bref, si c’est de cette manière que le gouvernement entend prendre ses responsabilités, je crois que ce n’est pas la meilleure façon. Il faut créer et améliorer les conditions, créer le cadre et mettre en place les moyens logistiques nécessaires aux travailleurs à l’exercice professionnel dans les différents domaines de compétences. Aujourd’hui, dans l’hôpital public, il faut savoir que l’Etat à la responsabilité de rehausser le plateau technique pour un équipement à la base. Mais honnêtement, je puis vous dire qu’on ne peut pas privatiser le système sanitaire public. Puisque le privé ne peut pas payer, les meilleurs spécialistes en santé se retrouvent encore dans le public. On a beau parler du Cnhu, il demeure aujourd’hui un hôpital de référence. Ce qui reste, c’est de renforcer le plateau technique en mettant les moyens sophistiqués nécessaires. La ressource humaine ne manque pas, mais il faut une certaine performance dans les prestations. C’est une expérience qu’on veut faire mais on doit pouvoir porter des gangs pour qu’elle ne soit douloureuse?
Propos recueillis par Josué F. MEHOUENOU, Sabin LOUMEDJINON et Ronie Floride AGAMMA (Stag)