L’affaire défraie la chronique, fait grand bruit et suscite tous les commentaires. Le fait est grave et gravissime. Mais n’étonnerait pas certains. Pour moi, au-delà de mettre cela sous le coût d’une prouesse douanière et du courage de ses agents, on trouverait le bouc émissaire idéal. La politique. Elle supporte tout et permet de justifier voire de comprendre tout. La découverte de la cocaïne dans des conteneurs destinés à la société de celui que les médias appellent ironiquement ‘’le roi de la volaille’’, ne peut passer inaperçue. S’il n’était qu’un simple opérateur économique, président du patronat, qui plus est, la deuxième fortune nationale après le magnat du coton qui nous dirige, je ne m’y intéresserais pas outre mesure. Mais il s’agit d’un allié politique de premier choix, celui qui est venu troisième au premier tour de la présidentielle de Mars dernier et dont le report de voix a été déterminant pour la victoire de l’équipe de la rupture.
C’est un Ajavon Sébastien secoué, sonné, presqu’au bout des larmes et ému qui dénonce un coup politique que les médias passent en boucle ces jours-ci. Cette image relance la guerre des chefs au Bénin. Interpelé puis entendu après cette conférence de presse, il a passé sa deuxième nuit dans une brigade de gendarmerie de Cotonou. Anticipé et sonné l’alerte, si c’était son but, il aura réussi. Car tout Cotonou s’agite. Qui se sent morveux se mouche qualifierait certains. Contrairement à un Talon qui, en son temps, a préféré prendre la fuite, lui, il est resté et crie à qui veut l’entendre qu’il fait confiance à la justice, seule rempart contre l’injustice. Si je salue son courage et son patriotisme, je ne peux m’empêcher de faire mon analyse. A cet effet, je me contenterai lucidement de voir l’affaire sous trois angles. Complot politique pour anéantir un prétentieux si je m’en tiens à la ligne de défense du principal mis en cause. Dans un second ordre, je risquerai d’évoquer l’hypothèse d’un règlement de compte entre concurrents et en dernier ressort d’une diversion pour faire passer des décisions?
Trop c’est trop ! S’est exclamé Ajavon. Et il poursuit : il parait que quand on rentre en politique on reçoit beaucoup de coups. Rien d’étonnant jusque là. Il le savait. Il s’y est préparé, je suppose. Car l’homme, adepte du double langage nous avait faire croire qu’il ne ferait pas la politique, qu’on y mentait trop et que lui n’était pas prêt à cela. Il n’a pas fallu 6 mois pour qu’il se découvre un talent de présidentiable. Dans ce pays de talents, il trouva des intellectuels et des politiques chevronnés pour lui concocter un projet de société. Avec cela, il traversa le pays pour défendre ses ambitions. A l’arrivée, l’auteur du néologisme ‘’dénorme’’ se hissa à la 3ème place. Aujourd’hui, il peut se targuer d’être après Talon de ceux dont les voix comptent dans le pays. Avec cette affaire, il doit bien se poser des questions. A-t-il bien choisi ses associés. En 10 ans de règne, Yayi l’a persécuté mais à la loyale avoue t-il ? Le fisc n’est pas une méthode de ‘’gestapo’’ comme il le dit lui-même.
Mais à mettre de la drogue dans ses marchandises ? La méthode est digne d’un Etat voyou si les faits s’avéraient. Sous le régime passé, il ne s’était pas entendu avec les gouvernants mais on n’a pas franchi cette étape. Est-ce l’Etat voyou dont Talon nous abreuvait, il y a peu, qui se déploie et se met en marche ? Rien n’est moins sûr. En politique, on le sait, tout pouvoir durable et stable, anéanti tous ceux qui l’ont permis d’accéder au sommet. Et si c’est le cas, il faut s’attendre au pire comme Ajavon nous le promet. Ou ce sont les yayistes qui sont à la manœuvre pour faire payer à Ajavon sa préférence pour Talon au lieu de Zinsou, on ne peut l’exclure. Dans l’un ou l’autre, la question n’honore aucun camp. Les faits surviennent à un moment où, Talon veut faire passer sa réforme constitutionnelle et obligé de passer par le parlement où il n’aurait pas la majorité qualifiée. Cette action peut être une stratégie pour inquiéter Ajavon et le contraindre à financer les députés réticents pour soutenir l’initiative. Une autre hypothèse pourrait impliquer les politiques, le camp Yayi qui n’a pas encore dit son dernier mot dans la douche froide subit par le refus de Ajavon de s’allier à eux pour faire échec aux ambitions de Talon.
La seconde hypothèse, la moins plausible mais non moins pertinente est la résultante de la concurrence entre opérateur économique. Depuis quelques temps, les griefs contre le roi de volaille se sont exacerbés. Mais ce ne sont que des menus fretins. La grande bataille se livre par personnes interposées. Ici, Talon n’est-il pas en train de vouloir anéantir ses concurrents ? J’irai très loin pour voir déjà 2021. Si Ajavon maintient sa puissance financière et accroit sa fortune, ne ferait t-il pas ombrage à son dauphin, si lui ne songe qu’à faire un seul mandat ? De plus, nous annonce t-il la lutte contre la fraude ou la corruption ?
Sur le dernier point, la diversion, je pense que quelque chose de grave se prépare. En réalité, le gouvernement nous annonce après 7 mois de gestion sa feuille de route. Mais avant, il est précieux de s’arrêter pour voir que la tension sociale commence par grandir et les partenaires sociaux annoncent des jours sombres.
Sur ces faits, je déplore la tournure que cette affaire risque de prendre. S’achemine t-on vers une répétition du conflit Yayi-Talon ? Mais cette fois-ci entre Talon et Ajavon ? Bien malin qui pourra le dire. Mais au finish, c’est le peuple et notre économie qui en perdent. Surtout que cela survient à la veille d’une rencontre où Cotonou se veut le carrefour des innovations maritimes et portuaires.
BATCHO D. Lucien