La Loi N°2016-24 portant cadre juridique du Partenariat Public-Privé (PPP) en République du Bénin comporte de graves insuffisances. Pour le Comité des Ministres de l’ancien Régime, pour le secteur public, les failles de la loi pourraient nuire à la recherche d’efficacité de l’investissement public et d’optimisation de la dépense publique. S’agissant du secteur privé, le Comité estime que les investisseurs risqueraient d’être freinés par la faiblesse du processus de préparation des projets avant le lancement de la procédure de passation et par l’insécurité juridique liée à certaines incohérences et imprécisions du texte. «La loi crée une confusion dans l’esprit de ses lecteurs en retenant simultanément les conceptions francophones et anglo-saxonnes des PPP : il est difficile de comprendre précisément ce qu’est un PPP», font observer les anciens ministres réunis au sein de ce Comité pour apporter leur contribution au développement du pays.
Face à cette situation, le Comité recommande une seconde lecture de la proposition de loi sur le PPP, afin d’y intégrer ces observations pertinentes.
Observations sur la LoiN°2016-24 cadre juridique du PPP en République du Bénin
La loi n°2016-24 définit un nouveau cadre juridique et institutionnel des PPP. L’analyse du texte révèle de nombreuses et graves insuffisances.
Pour le secteur public, les failles de la loi pourraient nuire à la recherche d’efficacité de l’investissement public et d’optimisation de la dépense publique.
Pour le secteur privé, les investisseurs risqueraient d’être freinés (i) par la faiblesse du processus de préparation des projets avant le lancement de la procédure de passation et (ii) par l’insécurité juridique liée à certaines incohérences et imprécisions du texte.
La loi crée une confusion dans l’esprit de ses lecteurs en retenant simultanément les conceptions francophones et anglo-saxonnes des PPP : il est difficile de comprendre précisément ce qu’est un PPP.
Rappel de la distinction entre les conceptions francophones et anglo-saxonnes.
En théorie, il n’existe pas de définition universellement reconnue du concept de PPP. En pratique, deux conceptions peuvent être distinguées.
D’une part, la conception francophonequi distingue deux familles de PPP, dont le critère de différenciation principal est le mode de rémunération du partenaire privé : les PPP à paiement par les usagers (traditionnellement appelés «concession») et les PPP à paiement public (souvent appelés «contrats de partenariat»).
D’autre part, la conception anglo-saxonne qui distingue les formes contractuelles de PPP par référence aux missions confiées au partenaire privé. Par exemple, le contrat de construction - exploitation - transfert.
Les conceptions francophones et anglo-saxonnes des PPP recouvrent, en réalité, les mêmes contrats.
Les conceptions francophones et anglo-saxonnes coexistent dans la loi, ce qui nuit à la cohérence et à la compréhension de la définition des PPP.
En effet, à l’article 1er relatif aux définitions, les formes contractuelles francophones sont définies, sans toutefois mentionner explicitement qu’elles constituent des PPP (voir, par exemple, la définition de la concession, de l’affermage, des délégations de service public).Cette imprécision nuit à la lisibilité de la loi et constitue une source d’insécurité juridique.
De même, l’article 4 relatif aux formes contractuelles de PPP prévoit explicitement que les PPP peuvent revêtir les formes contractuelles anglo-saxonnes (par exemple, le contrat de conception, exploitation, transfert).
Il sera donc difficile de choisir la dénomination du contrat : par exemple, concession ou construction, exploitation, transfert ? Contrat de PPP à paiement public ou conception, construction, financement, exploitation ?
En résumé, les deux conceptions ne devraient pas coexister dans la loi car elles rendent illisibles et incompréhensibles la définition du concept de PPP : un arbitrage aurait dû être opéré.
La définition du concept de PPP n’est pas conforme aux standards internationaux
En limitant la conclusion des PPP aux ouvrages, équipements et biens immatériels «nécessaires» ou «concourant» au service public, la loi ne couvrira pas l’ensemble des activités d’intérêt général des personnes publiques. Cette restriction ne reflète pas la conception moderne et internationalement admise du PPP selon laquelle il peut porter sur un serviced’intérêt général autre que de service public.
Les modalités de rémunération du partenaire privé semblent viser uniquement les PPP à paiement public
L’article 51 portant sur la rémunération du partenaire privé ne semble envisager que l’hypothèse d’une rémunération par l’Etat. D’une part, cet article ne fait pas référence à la rémunération du partenaire privé par les usagers qui caractérise la concession et les délégations de service public visées à l’article 1er. D’autre part, en ne visant que l’Etat, iln’évoque pas l’hypothèse des PPP à paiement public conclus par les collectivités territoriales, les sociétés d’Etat et les établissements publics.
La loi opère une confusion grossière entre la notion de personne publique et celle de personne morale de droit public
L’articler 1erdéfinit la notion de personne publique comme «personne morale de droit public». L’article 10 liste, parmi les personnes publiques, les sociétés d’Etat et les sociétés d’économie mixte, alors que conformément au droit OHADA, elles sont des sociétés commerciales, et donc des personnes morales de droit privé.
Le processus PPP est insuffisamment développé et pourrait nuire à l’efficience économique des projets pour les secteurs publics et privés
La loi traduit une évidente absence de maîtrise du processus PPPpar ses rédacteurs. Selon les standards internationaux, le processus PPP se décompose en plusieurs phases :
la phase d’identification des besoins, par la réalisation d’une étude de définition des besoins;
la phase de priorisation/sélection des projets, par la réalisation d’une étude socio-économique;
la phased’évaluation préalable des projets qui doit confirmer que le mode de réalisation du projet en PPP est le plus pertinent.
Or, dans la loi, et plus précisément à l’article 12, les trois phases du processus PPP n’apparaissent pas. De plus, la chronologie et l’articulation des études sont difficilement compréhensibles.
Les rédacteurs ne semblent pas avoir saisi l’enjeu des phases préparatoires des projets. Ainsi, en prévoyant un processus incomplet et peu exigeant, l’impréparation des projets favorisera la conclusion de PPP voués à l’échec.
Plus grave encore, les études préalables des projets issus d’une offre spontanée sont réalisées par l’opérateur économique, sans qu’une contre expertise indépendante soitàminimaexigée. De plus, les personnes publiques ne sont pas contraintes de vérifier la pertinence des offres spontanées en réalisant les études socio-économiques et en s’assurant à travers une évaluation préalable et une étude de soutenabilité budgétaire que le mode de réalisation en PPP est le plus pertinent.
Les modalités de résiliation du contrat méconnaissent les principes généraux du droit administratif
L’article 72 relatif à la résiliation du contrat méconnaît certains principes généraux du droit administratif. Il prévoit, par exemple, que la résiliation pour motif d’intérêt général ou pour faute grave du partenaire privé doit être prononcée par un juge. Or les personnes publiques disposent d’un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général et en cas de faute grave du partenaire sans qu’il soit nécessaire de recourir à un juge.
Certaines modalités du contrôle de l’exécution du PPP sont dépourvues d’effectivité
Par exemple, le contrôle des obligations notamment de performance du partenaire à travers le rapport annuel a été vidé de sa portée dès lors que son contenu n’est ni précisé ni imposé (article 67). Selon les termes de la loi, ce rapport contient en phase de conception-construction «les points essentiels de la réalisation», et en phase d’exploitation «les éléments essentiel du service». L’absence de précision rend le dispositif inopérant.
Certaines règles de logistique ont été ignorées
Par exemple, l’abrogation du Titre IV «De la délégation de service public» du code des marchés publics et des délégations de service public n’a pas été prévue alors que les délégations de service public semblent relever du champ d’application de la loi.
Comité Anciens Ministres sur le Bilan des actions du Régime sortant
Ozvague DANCHEON