En tournée dans le Septentrion, le Chef de l’Etat a lâché le morceau. Il accuse ouvertement l’homme d’affaires Sébastien Ajavon dans l’affaire des cocaïnes retrouvées dans l’un de ses conteneurs, au port de Cotonou. Patrice Talon n’est pas allé par quatre chemins pour qualifier de «péché» à ne pas couvrir la découverte de cette qualité de drogue, appelant «la communauté» à le «sanctionner».
«J’ai du mal à parler de lutter contre l’impunité mais je vais me permettre de parler publiquement de quelque chose, sans le dire, qui m’interpelle et que je voudrais bien, qu’elle vous interpelle aussi. Est-ce que nous sommes prêts à lutter contre l’impunité ? Non ! Je n’ai pas l’impression parce qui il y a eu des évènements qui se sont passés il y a pas longtemps, il y a quelque jours, j’ai vu combien j’ai reçu la pression de mes concitoyens. De beaucoup d’autorités politiques, morales, de grandes personnalités pour consacrer ce qui n’est pas admis», affirme Patrice Talon. «En fait, ceux qui sont concernés par le péché, ce ne sont pas les nigérians, les burkinabé, les togolais ni les Ghanéens. Ce sont les béninois. C’est nous qui vivons dans ce pays en grande majorité. Les pécheurs, ce ne sont pas les chinois, ce ne sont pas les américains, c’est nous les béninois et nous sommes tous pécheurs. Nous faisons tous des bêtises d’une manière ou d’une autre. Parfois, çà passe inaperçu, parfois çà se voit. Quand çà passe inaperçu, il n’y a que Dieu pour le sanctionner. Mais quand çà se voit dans la cité, la communauté globalement doit sanctionner. C’est le seul moyen de préserver la paix, l’unité, l’équité et le progrès social. Si publiquement, les péchés deviennent des actions de gloire, je pèse mes mots, si chaque fois que quelqu’un doit faire un péché et ne sera pas capable d’apprécier que c’est un péché et que c’est au contraire une action de gloire, c’est dangereux pour le pays. Il est important pour nous, que publiquement, nous ayons au moins la mesure, le courage, de ne pas faire l’apologie du péché parce que après, il n’y a plus de repère», a-t-il expliqué. «Je voudrais inviter mes concitoyens, les uns les autres, à être conscient de cela sans qu’on ne se rejette les uns les autres. Il ne s’agira jamais de rejeter quelqu’un parce qu’il a commis une erreur mais il est important, je le répète pour la cité, que publiquement, on ne fasse pas, on ne glorifie pas ce qui n’est pas admis», a-t-il souligné.
De graves accusations
Patrice Talon fait ainsi allusion directement à son partenaire politique, celui-là qui lui a accordé ses voix pour qu’il devienne Président de la République, le patron des patrons béninois, Sébastien Ajavon. On retient de son discours, qu’il n’est pas satisfait du verdict de la justice. Pourquoi parler de «péché» à «punir» alors que la justice a libéré l’intéressé au bénéfice du doute pour insuffisance de preuve ? Pourquoi parle-t-il d’«erreur» commise à ne pas «glorifier» alors que le procureur de la République et ses enquêteurs n’ont pas été en mesure d’apporter les éléments de preuves irréfutables ? Le Chef de l’Etat détient-il les preuves recherchées par la justice ? Difficile de répondre. Tel qu’il a parlé, c’est comme s’il est sûr que Comon Sa est dans la drogue et que la justice n’a pas bien fait son travail. De quoi se mêle-t-il, en réalité ? Connait-il la «main invisible» dont parle Rachidi Gbadamassi, Nicéphore Soglo et consorts ? «Lorsque l'autre a voulu le déposer en prison (à tort ou à raison), c'est les mêmes interventions (hautement politiques) qui l'ont sauvé. En son temps, il ne s'en était pas plaint», lui a répondu Patrick Adjamonsi sur sa page facebook.
Pour Cyprien Koboudé qui avait soutenu Patrice Talon au second tour, «c'est l'hôpital qui se moque de la charité». Il n’a pas porté de gants pour dire ses quatre vérités au Président de la République. «Que l'on se fasse aujourd'hui le chevalier de la lutte contre l'impunité, c'est excellent. Mais alors, les impunis d'hier qui sont-ils? Cherchez l'erreur. Il fait croire que la justice béninoise est impartiale lorsqu'elle dit le droit pour certains et qu'elle devient subitement partiale quand il s'agit d'autres personnes. À quoi juge-t-on l'impartialité de la justice béninoise, lorsqu'elle dit le droit? À la tête du client? La justice béninoise, hier elle était bonne pour certains?! Aujourd'hui on estime qu'elle n'est pas prête à lutter contre l'impunité? Il faut croire que nous n'en avons pas fini avec les canulars. Sommes-nous prêts à abandonner la "méthode canular" et travailler sérieusement au développement de ce pays? Pour qui prend-on nos juges? Décrier la partialité de la justice aujourd'hui, c'est un peu admettre sa propre culpabilité dans une affaire jugée grotesque hier... On ne parle aussi bien que de ce que l'on connaît. Heureusement que nous avons encore une justice qui dit le droit et non La politique», renchérit-il.
Rouvrir le dossier pour identifier la «main invisible»
Cette grave déclaration du Chef de l’Eta ne restera pas sans suite. Tous les Béninois demandent aujourd’hui à la justice de rouvrir le dossier pour identifier les vrais coupables. «Cela fait une semaine maintenant que nous n'avons toujours aucune réponse à cette interrogation. La justice du Bénin ainsi que la compagnie de gendarmerie maritime de Cotonou avec la clé la direction des renseignements (puisque c'est elle qui a donné l'information sur la drogue selon le Capitaine Tchilao) ne disent rien et refusent de nous informer. On ne peut passer cela en perte et profit! 18 kg de "cocaïne pure" qui soient sans propriétaire ça me pose un problème. Nous n'allons pas accepter encore cette amnésie à laquelle nous sommes conviés. Ceci est inadmissible!», estime Fiacre Vidjingninou sur sa page facebook.
Patrice Talon détient peut-être des informations. Il pourra les mettre à la disposition de la justice dans le cadre de la manifestation de la vérité. De toute façon, en attendant, Sébastien Ajavon vaque à ses occupations professionnelles en France, loin des odeurs des «cocaïnes pures».
Réactions de quelques Béninois sur les réseaux sociaux
«Après 7 mois, au lieu de nous dire ce que l'on a déjà ou ce que l'on veut faire dans l'immédiat, on continue d'abreuver le peuple de promesse mielleuse comme on était toujours en campagne électorale. Cela prouve à suffisance qu'on ne s'était pas préparé pour gouverner.»
Max Gaspard Adjamonsi, journaliste
«Le cœur de l'Homme est malade et compliqué. Quand il s'agit de nous appliquer la dureté de la loi, nous en appelons à sa complaisance. Pour les autres...ils peuvent subir et même en mourir cela ne nous regarde pas. C'est bien cela l'égoïsme. Dieu nous vienne en aide et nous arme de constance!»
Fiacre Vidjingninou, journaliste
«J'aime cette fois-ci cette rhétorique qui démontre l'impossibilité à réaliser le miracle promis. J'aime maintenant cette rhétorique à justifier l'inaction par l'argument grotesque du passé. J'aime aussi cette rhétorique qui sombre dans la grandiloquence sans tenir compte des incertitudes d'une gouvernance. J'aime même cette rhétorique à oublier que seule l'humilité précède la gloire. J'aime fortement cette rhétorique qui témoigne de l'incapacité à agir. J'aime cette fameuse rhétorique contre l'impunité pendant que soi même, on a été acteur à une époque récente. Mais à quelque chose malheur, est bon. Une sagesse populaire à laquelle Nietzsche répond, dans Le Crépuscule des idoles, par son fameux "ce qui ne me tue pas me rend plus fort", locution qui renvoie, elle, à la fonction même du vaccin (inoculer le mal pour en protéger).»
Modeste Toffohossou, journaliste Canal 3
«Surgir, Agir, Disparaître. Seule la diversion permet d'exécuter ce mode opératoire. Et c'est ce que font ces gars. Ils font de la diversion pour endormir le peuple. Au lieu de nous dire qu'on va directement en contact du coton pour s'assurer de la qualité de la production, on nous fait croire que l'étape de Sèmèrè est pour soutenir les familles éplorées dans le cadre de la crise de succession à la mosquée. Tori-Avamé est pourtant tout près et le bilan, beaucoup plus lourd.»
Moussa Mahamoud