Le chef de l’Etat, Patrice Talon était ce vendredi 11 novembre à Parakou pour sa première visite dans le septentrion. Dans le chef lieu du département du Borgou, le Président de la République a eu une séance de travail avec le conseil municipal de la 3ème ville à statut particulier. Occasion pour le maire de Parakou, Charles Toko de peindre la situation catastrophique de la ville et les nombreux défis qui restent à relever. (Lire ci-dessous l’intégralité de son discours).
C’est un insigne honneur pour les populations de Parakou de vous accueillir ce jour, vendredi 11 novembre 2016 pour votre toute première visite de travail dans le septentrion. Cet honneur est d’autant plus rehaussé que vous avez tenu, coûte que coûte, alors que vous êtes en route pour Sèmèrè, à vous adresser à ce magnifique peuple de Parakou qui ne cesse de marquer chaque jour son attachement aux idéaux que vous incarnez et surtout à la vision de développement que vous portez. Soyez donc les bienvenus dans l’hospitalière cité des KOBOUROU ; vous-même, Monsieur le Président de la République et à toute la délégation qui vous accompagne.
Monsieur le Président de la République,
Parakou vous attendait non pas pour sa délivrance après toutes ces années de violences verbales et parfois même physiques, de violation de tous les droits civiques et de la tentative d’isolation de la cité de KOBOUROU du reste du monde, contrairement même à son étymologie qui signifie « rassemblement ». Non, Monsieur le Président, il ne s’agit pas d’un appel à la délivrance ; il s’agit d’un cri de détresse.
Monsieur le Président de la République,
Parakou se meurt et cette agonie a commencé depuis très longtemps. Pouvez-vous imaginez Monsieur le Président, que depuis une dizaine d’années il n’y a pas eu un seul pavé de poser dans la ville de Parakou?
Depuis 1960, Parakou apparait comme cette jeune fille à qui tout le monde fait une cour assidue. Mais une fois qu’elle a cédé et qu’ils l’ont possédée, ils lui tournent dos. Ils ne la reconnaissent plus. Elle devient cette prostituée de Joncket, vieillie, avachie, ridée….abandonnée de tous ; sans passé et avec un avenir douteux.
Parakou, à l’envers de l’image de grande et bienheureuse ville qu’on projette d’elle ici et là, est malheureusement réduite à ce gros village totalement abandonné depuis plus d’une décennie. On ne retient d’elle, aujourd’hui, que les qualificatifs de 3ème ville à statut particulier et de 1ère ville de la partie septentrionale du pays que la loi et la nature ont bien voulu lui accorder.
Monsieur le Président de la République,
Au-delà de ces deux déterminants, il ne reste à Parakou, disais-je, que sa population hospitalière et sa culture.
Elle est, en effet, éloignée du sud, éloignée des autres villes à statut particulier, éloignée des programmes spéciaux de développement dont bénéficient Cotonou et Porto-Novo. Je me garde, exprès d’aborder tous les problèmes de Parakou car des jours et des nuits n’auraient pas suffi pour en parler et je cours, d’ailleurs, le risque de ne pas être exhaustif.
En revanche je ne pourrai résister à l’appel de quelques défis majeurs de développement et de la situation critique qui caractérise certains projets actuellement.
Que ce soit dans les domaines de l’urbanisation, de l’assainissement, de la voirie que de l’éducation et de la santé, les indicateurs sont au rouge.
Le plan directeur de l’urbanisme pourtant régulièrement adopté par toutes les autorités compétentes est très peu respecté à ce jour. Avec une superficie de 456 km2, la commune de Parakou est naturellement créditée de 37 km de cours d’eau et de 297 hectares de bas-fonds. Malgré ce potentiel, la ville n’a jamais bénéficié d’importants programmes de retenue d’eau, encore moins, des multiples chantiers agricoles d’aménagement de bas-fonds pour les cultures maraîchères.
Par rapport à la question de l’assainissement et de la voirie, il est affligeant de constater que depuis dix ans, aucun programme d’envergure n’a été mis œuvre, malgré tout ce que l’on aurait pu croire. Ceux qui sont en cours ont été montés dans une précipitation telle qu’ils créent aujourd’hui, à la fois des problèmes techniques, sociaux, économiques et environnementaux. La situation des entreprises SINOHYDRO et EBOMAF que vous connaissez très bien en dit long.
L’Entreprise chinoise a pratiquement abandonné les travaux avec comme conséquences l’abondance de la poussière dans la ville, le ralentissement des activités économiques et les perturbations de la circulation. Cette situation est principalement provoquée par le non-paiement, par la partie béninoise, des décomptes évalués à près de 3 milliards de nos francs. Accessoirement, il y a aussi, le non dédommagement des sinistrés desdits travaux. Ces derniers travaux sont pratiquement à l’arrêt.
Sur tout un autre plan, il existe, en plein cœur de la ville, une forêt et un musé, lesquels joyaux, une fois aménagés, auraient été d’importants pôles d’attraction pour les touristes visitant la partie septentrionale du pays. A ce propos, la coopération décentralisée entre Parakou et Orléans est une véritable opportunité pour la valorisation de ces sites. Mais encore faudrait-il que les structures nationales, notamment le Ministère en charge du cadre de vie et celui de la culture autorisent l’exploitation de ces emplacements. Nous aimerions Monsieur le Président, que ces deux ministères nous confient la gestion de ce patrimoine à travers un contrat d’affermage.
Il en est de même de ces logements sociaux réalisés à coup de milliards et aujourd’hui pris d’assaut par les bandits ; faute de quelqu’un qui s’en occupe. Parakou voudrait que ce patrimoine lui soit confié en gestion. On en fera une belle cité capable d’accueillir des hôtes de marque comme vous.
L’adressage de la ville, par parcelles, domaines et immeubles est inexistant. Cet instrument indispensable à la maîtrise de la taxe foncière et de la mobilisation des ressources locales n’existe pas. Comment pouvez-vous imposer une personne et ses activités alors même que vous ne savez pas là où elle vit ? On comprend dès lors pourquoi l’on assiste à une importante évasion fiscale qui rend la trésorerie de la Mairie très tendue aujourd’hui.
Dans le domaine de l’éducation, notre préoccupation principale concerne l’insuffisance en quantité et en qualité des salles de classes, du mobilier, des enseignants et du matériel didactique. Les efforts de la mairie et de l’Etat central à travers les ressources du FADEC ne parviennent pas encore à juguler la forte demande de ce secteur.
C’est dans le domaine de la santé que tout reste à faire. Un homme politique parlait récemment de la prospérité partagée. Parakou n’a eu droit qu’à la mort partagée. Le Centre Hospitalier universitaire départemental du Borgou est un probatoire pour le cimetière.
Prenons l’unité de dialyse. Elle date de 2003. En 2015, tous les appareils étaient hors circuit. Des Béninois expatriés, de très bons samaritains nous ont envoyés 7 générateurs d’occasion. Ceux-ci totalisaient 80.000 heures au compteur déjà en 2015. Ils étaient déjà totalement amortis avant même de fouler le sol Parakois. Mais un don reste un don et nous les remercions très sincèrement. Aujourd’hui, sur les 07 générateurs, seulement deux sont fonctionnels. Et ces deux ne peuvent soigner que 10 malades par semaine. Ce qui veut dire que lorsqu’on a 300 malades et que vous avez la malchance d’arriver en dernier au CHUD du Borgou, vous ne pourrez être soigné que 8 mois après à l’unité de dialyse. C’est-à-dire que vous serez déjà mort et enterré avant que votre tour n’arrive.
Or Monsieur le Président, l’unité de dialyse de Parakou est prévue pour couvrir le Zou, les Collines, la Donga, l’Atacora, l’Alibori et le Borgou…six département* *Monsieur le président pour deux générateurs. Ces six départements avoisinent 5.000.000 d’habitants déjà en 2013 ; soit la moitié de la population du Bénin. Ce qui donne donc environ 2.500.000 personnes pour un générateur. C’est un record mondial Monsieur le Président qui mérite de figurer dans le livre Guiness des records. Voilà pourquoi nous parlons de mort partagée.
Par ailleurs, voici un centre universitaire qui ne dispose presque de rien et qui a fini par attirer la compassion de la ville d’Orléans, notre ville jumelle en France. Le Conseil municipal de cette ville a décidé de nous transférer un matériel de pointe estimé à plusieurs milliards. Il s’agit d’un scanner de 64 barrettes, de matériels informatiques…etc.…
Le Gouvernement Béninois a décidé très officiellement et médiatiquement en 2015 de débloquer une contrepartie d’environ 450 millions de FCFA. Et c’est fini. Plus rien jusqu’à ce jour. Ce matériel haut de gamme attend toujours à Orléans. Parakou n’ayant jamais vu la couleur des 450 millions promis par le régime défunt.
Voici pourquoi je disais plus haut que Parakou vous attendait. On vous a même beaucoup attendu. Bonne arrivée Monsieur le président. Bienvenue dans la ville des contradictions.
Fo Nakayo
Monsieur le Président de la République,
Les problèmes ne sont pas finis. Le bitumage des routes Parakou-Pérèrè, Parakou-Frontière Nigéria vous attendent ; sans oublier la construction d’un Palais des congrès, d’un marché de classe international, d’un marché à bétail, d’un stade omnisport.
Je finirai par une préoccupation d’ordre interne. Mon équipe et moi avons hérité d’une situation inédite à la mairie de Parakou. A ce jour et ce, depuis ma prise de service, la mairie est caractérisée par deux extrêmes. D’un côté, la rareté des cadres de conception et, de l’autre, la situation, fort lamentable, de la trésorerie. Sous réserve de paraître brut ou vulgaire, j’allais dire que la mairie est complètement, « par terre ». Comme vous l’aviez si bien remarqué au sujet de la situation nationale, je dirai que le désert de compétence même, c’est la mairie de Parakou. Les agents d’exécution avoisinent les 90% de l’effectif total. La mairie n’a pas les moyens de se doter de hauts cadres.
Au désert de compétences donc, se greffe ici, un autre désert, celui des finances. En effet la commune traîne, depuis mon installation, un solde négatif de plus de 500 millions. Dans ces conditions, il est évident que toute politique novatrice est vouée à l’échec.
Sur toutes ces questions, fort heureusement, Monsieur le Président de la République, à cœur vaillant, rien d’impossible a-t-on l’habitude de dire. L’équipe municipale que j’ai l’honneur de diriger et qui mise beaucoup sur votre soutien n’est pas du tout fataliste. Elle est convaincue que c’est de l’audace, de la détermination et de la conjugaison des efforts que les résultats les plus probants sortiront. Notre ambition est de jeter, sous votre mandat, les bases d’une ville effectivement durable, qui reflète sa glorieuse histoire d’hospitalité, où chacun se sent concerné aussi bien par les efforts à fournir que par la redistribution des fruits de ces efforts. Voilà pourquoi notre action est de plus en plus orientée vers la mobilisation des cadres et des responsables à divers niveaux, traditionnel et républicain autour des questions essentielles de développement. Notre première rencontre organisée dans ce cadre a débouché sur un programme de « Parakou, ville durable » à travers lequel nous envisageons de signer en premier « le contrat de performance » que votre gouvernement proposera aux communes. Nous vous sommes déjà reconnaissant pour la haute appréciation que vous avez de cette initiative et, surtout, pour les perspectives nouvelles qui s’ouvrent à notre ville sous votre leadership. Nous sommes convaincus de l’intérêt que vous portez à Parakou, ville stratégique pour le développement économique et géopolitique du Bénin tout entier. A travers ses responsables élus aux niveaux local, communal et national, ses autorités traditionnelles, ses organisations de la société civile et l’ensemble de la population, vous pouvez vous assurer, Monsieur le Président de la République, du soutien de Parakou par rapport aux réformes que vous engagez et au style de gouvernance que vous développez.
Nous restons convaincus que cette visite marquera un tournant décisif non seulement pour le développement de Parakou mais également pour l’ensemble des populations du septentrion et du Bénin tout entier.
Une fois encore, je vous souhaite un bon séjour parmi nous, dans votre ville, Parakou.
Vive Parakou !
Vive le Bénin !
Je vous remercie.