Le commerce du poisson fumé assure la visibilité de Djeffa. Le rayonnement de cette activité va de pair avec le dynamisme des vendeuses qui plaident pour la construction d’infrastructures dignes du nom en vue de booster davantage le secteur.
Autoroute Cotonou-Porto-Novo à hauteur de Djeffa, commune de Sèmè-Podji, l’ambiance à ce lieu s’apparente à un tohu-bohu digne d’un marché qui ne laisse aucun usager indifférent. La commercialisation du poisson fumé est la principale activité ici. Véritable industrie, elle fait d’ailleurs la réputation des femmes de la localité. Une quarantaine de vendeuses anime le marché avec leurs enfants qu’elles considèrent d’emblée comme la relève. Aux vrombissements des motos et voitures des usagers, s’ajoute le cri de ralliement de ces bonnes dames. «Garez !», «Garez !», exhortent-elles, accourant vers les véhicules en déplacement ou qui stationnent.
Au milieu des tas de poissons disposés sur des étalages, les vendeuses s’affairent toute la journée dans cette ambiance, empreinte parfois de gaieté, de petites discussions, de blagues, mais aussi de rivalité entre concurrentes. Les différents hangars de fortune installés à cet effet, portent des plaques afin de faciliter leur identification. C’est un train-train quotidien qui se passe pratiquement sans répit, tant que la circulation est animée.
Chacune y va selon sa méthode et sa logique. Mais elles partagent l’éloquence et l’habileté, comme points communs. Pour écouler le stock préparé, il suffit d’avoir des talents de bon commerçant, d’être habile et d’avoir l’art de convaincre le client. Les techniques de vente sont à la limite séduisantes. On taquine le client, on le convainc de la nécessité d’acheter, on ajuste les tas de poisson pour le persuader de la qualité et de la quantité. Acheteurs et vendeurs se bousculent et discutent longuement du prix avant la vente.
A Djeffa, le commerce du poisson représente l’une des principales sources de revenu des ménages. Les femmes en assurent la préparation et la vente pour faire face aux charges familiales. La commercialisation de ce produit halieutique assure de la visibilité à la localité, tant le poisson fumé est prisé aussi bien par les ressortissants de la localité que des gens d’autres localités environnantes.
Un dynamisme qui porte ses fruits
Kokou Soulé fait partie des fidèles abonnés. Selon lui, il y a une différence entre ces poissons et les autres. «Je viens me ravitailler souvent chez ces dames parce que ma famille ne peut pas manger sans le poisson. Et ce que j’achète est très nutritif», explique-t-il.
Bien souvent, le dynamisme des vendeuses porte ses fruits. «En deux jours au maximum, nous avons fini de vendre le stock préparé», sourit Chantal Kouton. Cette dame, la quarantaine, a déjà réuni une douzaine d’années dans le métier. Les expériences lui assurent une certaine réputation au point qu’elle ne semble pas prête à l’abandonner. D’ailleurs, c’est avec les bénéfices engrangés qu’elle assure pratiquement l’éducation de ses huit enfants. «Mon mari est conducteur de taxi. A peine rentre-t-il à la maison une fois par semaine. La popote qu’il dépose ne suffit pas à faire grand-chose», confie-t-elle.
Mais il y a autant d’expérimentées que Chantal. C’est à l’âge de 14 ans que Thérèse Toudonou a investi le domaine. Depuis, elle y a pris goût. Elle totalise aujourd’hui plus de 30 ans d’expérience. Si elle était fonctionnaire, on parlerait de retraite. Mais pour l’heure, Thérèse ne pense même pas à se reposer. Elle tient encore correctement le coup et associe sa cadette au rayonnement de son business. Chez elle le commerce du poisson fumé est une affaire de famille. «J’ai hérité de ce commerce de ma mère», développe-t-elle. «Je m’inscris dans la même dynamique pour laisser la main à mes filles», souligne-t-elle.
Un commerce rentable
Le commerce du poisson nourrit visiblement "sa femme".
A en croire Chantal Kouton, «c’est uniquement avec les revenus de cette activité qu’elle entretient ses enfants». Son chiffre d’affaires journalier avoisine 40 000 F CFA en temps de mévente.
Avec le développement des affaires sur le site, on s’inquiète peu pour la famille. Les petits plaisirs qu’on puisse s’offrir, passe également en dernier ressort, tant le ‘’job’’ a pris le dessus. Pendant que les vendeuses assurent le marché, leurs grands enfants et leurs maris s’occupent de la cuisine à la maison et du soin à apporter aux petits enfants.
Si le commerce du poisson fumé est des plus intéressants et rentables, les tenancières ne manquent pas de connaître des périodes de vache maigre. Toutefois, les vendeuses savent comment s’y prendre pour ne pas faire de la mévente lorsque c’est le cas. Elles ont institué une politique de vente qui permet à chacune de tirer son épingle du jeu. «Nous nous sommes éclatées en deux groupes pour permettre à toutes de participer au marché. Le premier groupe arrive les premiers jours de la semaine et le second les autres jours. Nous sommes toutes absentes les lundis, mais nous nous retrouvons toutes ici les vendredis», explique Chantal.
Mieux, elles arrivent à compenser les périodes de soudure avec de petites épargnes.
Cadre inapproprié
Si les vendeuses arrivent quotidiennement à tirer leur épingle du jeu, il n’en demeure pas moins qu’elles courent également d’énormes risques en s’installant en plein carrefour. Le manque d’un cadre approprié pour ce type de commerce est un réel souci. Les vendeuses doivent composer avec le soleil, la pluie et autres intempéries pour s’assurer leur pitance au quotidien.
«Pendant la saison pluvieuse, se désole Chantal, nous couvrons nos marchandises avec des sachets plastiques».
Aux dires des vendeuses, la mairie de Sèmè-Podji percevait jusqu’à l’année dernière, 1500 F CFA par vendeuse comme frais de patente. Mais elles ont fini par boycotter cette taxe, la municipalité n’ayant fait aucune action à leur endroit.
La diligence des pouvoirs publics à réaménager cet espace participerait de la prospérité des affaires. En attendant, les vendeuses s’en remettent à la providence divine pour leur sécurité. «Nous demandons régulièrement des messes d’actions de grâce pour implorer la protection divine et fidéliser notre clientèle», sourit Chantal.
Mieux, avec la précipitation qui encadre la vente, il arrive qu’elles empochent de faux billets la nuit ou donnent par excès des reliquats sans réaliser sur-le-champ.
«Les difficultés que nous rencontrons ici sont inhérentes à tout métier», se résigne Thérèse Toudonou. «Nous essayons de nous adapter aux intempéries étant donné que nous n’avons pas de hangars dignes où nous abriter», souligne-t-elle.
Aussi le marché est-il envahi aujourd’hui de sorte qu’il requiert plus d’efforts qu’il y a quinze ans. «Nous sommes tenues de rester au marché de 9 h jusqu’à 21 heures parfois pour épuiser le stock préparé la veille», explique-t-elle.
Etant en contact permanent avec le feu et la fumée lors de la phase de préparation du poisson fumé, les vendeuses doivent également composer avec certaines maladies, telles que le paludisme, la toux, les maux de tête….
C’est pourquoi, elles plaident surtout pour un bon emplacement afin de pérenniser l’activité. La mise à disposition des foyers modernes au profit de ces femmes pour la cuisson du poisson fumé sera également sans doute un coup de pouce à leur activité génératrice de revenus en vue de son renforcement.
Comment prépare-t-on le poisson ?
La préparation du poisson fumé est un travail fastidieux, même si cela relève de la routine pour les habituées. Après l’achat du poisson au port de pêche de Cotonou et au niveau des centrales de distribution de la place et au Nigeria, les femmes procèdent à l’écaillage et au lavage. S’ensuit alors la phase où l’on enroule les poissons achetés, de sorte à livrer un produit fini pour la vente. Mais avant, on fait passer le poisson au feu doux pour la cuisson, en y ajoutant de l’huile d’arachide et d’autres condiments. « Nous suivons ces différentes étapes afin d’extraire toute la matière grasse du poisson », souligne Chantal Kouton.
La préparation dure en moyenne quarante-cinq min à deux heures en fonction du type de poisson, explique Thérèse Toudonou. Qui précise qu’il peut arriver que, dans une seule journée, l’on prépare deux à trois fois le poisson pour la commercialisation. Le développement de l’activité est tel que les vendeuses recrutent de la main-d’œuvre pour les aider à la tâche. Cette dernière est payée hebdomadairement entre 5000 et 7000 F CFA et mensuellement selon les convenances.
Maryse ASSOGBADJO