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Pr Roch A. Houngnihin, coordonnateur du PNPMT: « La médecine traditionnelle se porte relativement bien au Bénin »
Publié le mardi 22 novembre 2016  |  La Nation
Plantes
© aCotonou.com par DR
Plantes médicinales






En dépit des progrès de la science et particulièrement de la médecine conventionnelle, 80% de la population béninoise continue d’avoir recours à la médecine et à la pharmacopée traditionnelles pour venir à bout de diverses affections. En décidant de mettre en place dans un proche avenir un laboratoire de recherche et d’innovation de référence pour les médicaments à base de plantes, le gouvernement veut donner un coup de pouce à ce sous-secteur et mieux protéger la santé des populations. C’est ce que nous confirme le professeur Roch A. Houngnihin, coordonnateur du Programme national de la pharmacopée et de la médecine traditionnelles au ministère de la Santé.

La Nation : Monsieur le coordonnateur, comment se porte aujourd’hui le sous-secteur de la médecine traditionnelle et de la pharmacopée au Bénin ?

Prof Roch A. Houngnihin : Rappelons tout d’abord que la médecine traditionnelle se rapporte à l’ensemble des connaissances, des produits et des pratiques médicinales utilisés pour diagnostiquer, traiter ou prévenir un déséquilibre physique, mental ou social et qui reposent sur les expériences antérieures et des observations transmises oralement de génération en génération, mais aujourd’hui, de plus en plus par écrit.
La médecine traditionnelle béninoise fait partie des plus riches du continent africain. D'une part, parce que le peuple béninois a su protéger jalousement ses pratiques ancestrales de guérison, transmises par ses sages respectés de tous. Ces pratiques constituent aujourd'hui un véritable patrimoine culturel et scientifique qui fait la spécificité de notre pays. D'autre part, du fait de la vivacité de ces pratiques, beaucoup de nos forêts sont restées intactes, en raison des divinités qu’elles abritent. Ces forêts renferment une grande diversité d'espèces végétales, animales ou minérales, et sont une source d'approvisionnement extrêmement importante pour de nombreux praticiens de la médecine traditionnelle.
Aujourd’hui, plus de 10500 tradipraticiens délivrent une grande partie des services de santé à 80% de la population. En appui au système de santé, ils font face à un accroissement des maladies chroniques (diabète, hypertension, cancers, etc.) concomitamment avec les maladies infectieuses et parasitaires persistantes (paludisme, tuberculose, Sida, etc.).
On peut donc dire que la médecine traditionnelle se porte relativement bien au Bénin. Cependant, de nombreux défis restent à relever, notamment en ce qui concerne la protection des propriétés intellectuelles et des connaissances, la collaboration avec les professionnels de la médecine conventionnelle, la prolifération des charlatans et la documentation des pratiques, que ce soit les pratiques en matière de médecine traditionnelle générale, de santé mentale, d’accouchement traditionnel, de traitement des fractures, de soins curatifs et préventifs, etc.

Le Conseil des ministres a décidé, en sa session du 04 novembre dernier, de mettre sur pied un comité chargé de l’élaboration du document de projet d’installation au Bénin d’un laboratoire de recherche et d’innovation de référence pour les médicaments à base de plantes. Quelles appréciations faites-vous de cette initiative ?

En réalité, il ne me revient pas de parler en détail de ce dossier, même si je le maîtrise dans une certaine mesure. Les voix les plus autorisées l’évoqueront certainement au moment opportun, en ce qui concerne ses articulations et les modalités de mise en œuvre. Cependant, en ma qualité de coordonnateur du Programme national de la pharmacopée et de la médecine traditionnelles (au ministère de la Santé), le gouvernement béninois m’a fait l’honneur de m’associer en tant que membre du Comité chargé de l’élaboration du projet d’installation d’un laboratoire de recherche et d’innovation de référence pour les médicaments à base de plantes au Bénin. Je profite de l’occasion que vous m’offrez pour dire qu’effectivement, un groupe restreint de travail multidisciplinaire a été commis par le président de la République, le président Patrice Talon dans le cadre de la mise en œuvre de son projet de société.
Qu’il vous souvienne qu’au cours de la campagne électorale, le candidat Talon avait promis un laboratoire de référence en médecine traditionnelle au peuple béninois : c’est la concrétisation de cet engagement pris.
Une telle initiative se justifie par le fait que notre système de santé est confronté à la forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur en matière d’approvisionnement en médicaments essentiels, alors qu’il doit faire face aux maladies émergentes (diabète, hypertension, cancers, etc.) concomitamment avec les maladies « traditionnelles » (paludisme, tuberculose, sida, etc). Il est nécessaire d’examiner les possibilités offertes par la médecine traditionnelle qui demeure un secteur potentiellement riche et peu exploité, pour répondre à l’ampleur des besoins en matière de soins et de prévention, alors qu’aujourd’hui, on dispose de peu d’informations sur l’innocuité, l’efficacité et la qualité des remèdes à base de plantes. Les défis restent entiers pour rendre disponibles des traitements utiles et sans danger. Dans ce contexte, les risques associés aux recours à la médecine traditionnelle sont évidents ; ils se rapportent à une utilisation de produits de qualité non convenable ou médiocre et ayant des effets secondaires ou interactions thérapeutiques indésirables.
Conscient de cette situation, le président de la République a mis en place un comité coordonné par le ministre de la Santé, Dr Alassane Séidou et le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le professeur Marie-Odile Attanasso chargé de l’élaboration du projet d’installation d’un laboratoire de recherche. Il est composé d’experts de différents profils : botanistes, microbiologistes, pharmaciens, médecins, anthropologues, chimistes et pharmacologues.
Ce laboratoire ambitionne de favoriser un usage correct des produits de qualité certifiée afin de réduire les risques associés aux médicaments à base de plantes, d’accompagner scientifiquement les acteurs de la médecine traditionnelle à mieux valoriser leurs connaissances et leurs produits et de faire de la pharmacopée béninoise un facteur de croissance économique et de bien-être social. J’insiste particulièrement sur le dernier objectif qui devra permettre aux tradipraticiens de vivre de leur métier.

La plupart des Béninois font recours aux produits de la pharmacopée pour traiter diverses maladies pourtant, ce sous-secteur ne semble pas occuper une place importante dans le système sanitaire béninois. Qu’est-ce qui justifie, selon vous, le peu d’intérêt que les pouvoirs publics ont accordé à la pharmacopée dans notre pays ?

Les pouvoirs publics ont toujours manifesté de l’intérêt pour la pharmacopée. En témoignent la mise en place d’un programme de la médecine traditionnelle et d’un budget annuel. Cet intérêt se trouve renforcé avec l’engagement du gouvernement actuel, à travers le projet de construction d’un laboratoire de référence.
Les interventions publiques couvrent plusieurs domaines dont la recherche, avec la mise en place de protocoles d'évaluation clinique, la mobilisation des ressources nationales (laboratoires, etc.) pour effectuer les analyses d'efficacité/innocuité/qualité des médicaments traditionnels, (ii) le renforcement des capacités des acteurs au travers des formations, (iii) la promotion des médicaments à base de plantes et leur contribution renforcée dans la lutte contre les maladies, grâce au développement des jardins de plantes médicinales, la création de centres pratiques de la médecine traditionnelle, la mise en place d'un système de surveillance épidémiologique au niveau des praticiens de la médecine traditionnelle, etc., (iv) l'amélioration du cadre juridique et réglementaire de la médecine traditionnelle et la protection des droits de propriété intellectuelle, etc.
Au Bénin, les efforts du ministère de la Santé ont permis d’organiser les acteurs au sein de l’Association nationale des praticiens de la médecine traditionnelle du Bénin (Anaprametrab), de mettre en place un cadre réglementaire pour la pratique de la médecine traditionnelle, d’élaborer un code de déontologie et des modules de formation à l’intention des praticiens, d’institutionnaliser un colloque annuel, de renforcer les capacités.
Aujourd’hui, la médecine traditionnelle marque son retour, en raison d’une combinaison de facteurs socioculturels, économiques et psychologiques. La pérennité de cette médecine réside dans ses caractéristiques spécifiques à savoir : son accessibilité, sa proximité géographique et culturelle, son caractère holistique, sa bonne couverture sanitaire, etc.

Bientôt la fin de la rivalité entre médecine moderne et médecine traditionnelle au Bénin ?

Il n’y a jamais eu de la rivalité entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle au Bénin. Il y a juste eu un déficit de communication et de collaboration. Cette situation se justifie par la faible connaissance du mode de fonctionnement des uns par les autres. En effet, la médecine conventionnelle et la médecine traditionnelle n'ont rien à voir en commun en ce qui concerne la perception de la maladie et de la guérison. Les méthodes qu'elles utilisent sont différentes. On ne peut donc pas chercher à comparer ces deux approches, et encore moins à vouloir que l'une prenne modèle sur l'autre. Elles doivent plutôt collaborer. On a déjà observé que face au développement de la médecine moderne ces dernières décennies, la médecine traditionnelle a su garder toute sa vivacité, et ses utilisateurs sont restés nombreux.
Ensuite, il faut rappeler que la médecine traditionnelle s'occupe également de problèmes de santé qui sortent du cadre des maladies purement physiques. Son champ d'action couvre des domaines que la médecine moderne n’aborde pas.
Dans ce sens, depuis quelques années, nous avons développé des formations qui ont renforcé la collaboration. Aujourd’hui, de nombreux médicaments à base de plantes se retrouvent dans toutes les officines de pharmacies du Bénin. La réglementation concernant la protection de la propriété intellectuelle et des connaissances locales sur les pratiques et produits traditionnels a été améliorée, de sorte que les praticiens acceptent de mieux en mieux de partager leurs savoirs en la matière.
Le ministère de la Santé poursuivra donc ses efforts pour mettre en application le cadre réglementaire de la médecine traditionnelle et élaborer une base de données informatisée de la pharmacopée traditionnelle béninoise. C'est pourquoi, je ne me fais pas de souci quant au devenir de la médecine béninoise dont l’importance s'accroît, aujourd’hui?

Propos recueillis par Reine AZIFAN
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