Les établissements scolaires ont procédé, il y a quelques semaines, à l’exclusion des redoublants. Ce ras de marrée fait suite à une décision ministérielle dont les textes existaient depuis plusieurs années. Face à la situation, élèves et parents d’élève ne savent à quel saint se vouer. Ils dénoncent le caractère trop brusque de la mise application de ladite décision, surtout en cette période où les poches sont vides.
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Élève en Tle, Aristide, à A 22 ans, ne verra plus jamais les portes de son école. Ses chances de se présenter à l’examen du baccalauréat sont du coup très réduites. Faute de moyens, il ne pourra pas s’inscrire dans un collège privé. Il ainsi livré à l’oisiveté. Ses parents impuissants devant la situation ont maintes fois mené des démarches vers l’administration scolaire, mais en vain. Joël, quant à lui, s’est inscrit dans un collège privé après avoir été exclus du Ceg de Godomey. Mais après plus d’un mois de cours, Joël sera interrompu. Il doit solder la première tranche de la scolarité avant de voir la nouvelle école lui ouvrir à nouveau ses portes. Pour lui, l’avenir n’inspire rien de bon. « Je me sens vraiment inutile quand je suis à la maison. Ça me fait encore plus mal quand je vois mes camarades aller au cours…Je vais tout de même faire l’essentiel pour m’en sortir… », dit-il, les larmes presque aux yeux. A la maison, Joël sollicite encore les cahiers de ses camarades pour s’imprégner des nouvelles notions.
A l’image de Aristide et de Joël, des milliers d’apprenants ont été renvoyés pour avoir échoué deux fois au baccalauréat. Cette ras de marrée découle d’une décision gouvernementale qui, aussitôt prise, a été mise en application. Ces apprenants exclus ne seront plus acceptés dans aucun autre établissement public, sauf les collèges privés. Selon le gouvernement, cette décision vient mettre fin à la médiocrité en milieu scolaire et oblige les acteurs concernés à prendre la question au sérieux. En plus sous le régime du changement le redoublement était autorisé et il n’était pas question d’encourager les apprenants à la délinquance. Avec la rupture, plus rien ne se sera comme avant. A cet effet, les établissements secondaires ont été filtrés des « brebis galeuses ne font que dégrader le rendement scolaire ». Du coup, les enseignants honoraires se sont retrouvés sans classe, donc, sans emploi. Ils ont été remerciés. « Chez nous au Ceg Nokoué, plus d’une vingtaine d’enseignants vacataires ont été remerciés, y compris moi-même », confie Bernardin, professeur d’Anglais.
Même les apprenants apprécient !
Aussi surprenant que cela puisse paraitre, certains apprenants apprécient la décision du gouvernement. Chitou, élève en 2nde n’y trouvent aucun inconvénient à exclure les élèves redoublants, car « ce sont eux qui abandonnent les cours comme ils veulent. Ils passent leur journée entière dans les cybercafés. Après, on les retrouve dans des véhicules haut de gamme…. Depuis que mon frère a été exclu, il a trouvé refuge dans les cybercafés ». Pour Arnaud, on retrouve ces apprenants dans les boites de nuits, dans les salles de jeux ou même dans des cultes Oro et ‘’Kluito’’ (revenants). « En les voyant agir de cette manière, on se demande s’ils ont pour ambition de réussir leur examen de baccalauréat », ajoute-t-il. Mariette, élève en 1ère, précise que leur comportement en classe ne présage rien de sérieux. « Pendant qu’on suit assidument le cours, ils sont là à nous distraire. Or cette menace plane encore sur moi, parce que j’ai échoué déjà une fois… », argue-t-elle.
Une mesure ressuscitée !
A en croire Flore Emma Mongbo, Directrice exécutive de l’Ong Sin-do, cette mesure n’est pas nouvelle. Selon elle, la mesure existait avant l’avènement du régime du changement. « Avant, quand vous échouez deux fois la même classe ou vous avez moins de 6 comme moyenne, on vous renvoie. Et pour se réinscrire, c’était impossible. A la rigueur, on vous exige de payer 3 paquets de ciments, un table-banc et autres… Lorsque j’étais sur les bancs, il était fortement interdit de redoubler deux fois dans le même cycle. Autrement, on vous exclut. Mais, la décision a été plus large, en ce sens qu’on peut redoubler deux fois la même classe. Je trouve que c’est salutaire », indique-t-elle. A en croire le Président national de l’Association des parents d’élèves du Bénin, Epiphane Azon, le décret existe depuis 2012 et « prévoit que l’enfant qui quitte le système scolaire soit admis dans les centres de formation… Un enfant mal orienté peu faire la même classe plusieurs fois, mais ne réussira. Un problème d’orientation se pose ». Mieux, le Secrétaire général du syndicat national des professeurs des lycées et collèges, Thomas Kossi Kakpo, a compris quant à lui, la logique du Gouvernement qui veut finir avec la médiocrité dans les établissements scolaires dans le pays. « Si un élève de la 6ème échoue deux ou trois fois la même, il se trouve que ses camarades sont en 4ème. Pendant ce temps, il gonfle l’effectif et c’est une charge non seulement pour les enseignants, mais aussi pour l’établissement….Quant l’effectif des apprenants dépasse déjà 30, c’est un problème. Or, les effectifs pléthoriques dans nos écoles sont un casse-tête pour les acteurs à divers niveaux….C’est donc pour résorber ce problème que la décision a été prise », explique-t-il.
Quel avenir pour les exclus ?
« En tant qu’enseignant, je suis vraiment soucieux de l’avenir de ses enfants mais le problème ne se trouve pas à ce niveau ». Tel est le doute soulevé par Calixte Adandé, enseignant au Ceg le Nokoué, qui apprécie tout de même la démarche du Gouvernement. La première vague d’apprenants exclus se cherche encore, certains qui déambulent dans les rues, d’autres, inquiets, prient pour reprendre les cours, peut-être, dans les établissements privés. A ce sujet, le Secrétaire général du syndicat national des professeurs des lycées et collèges, Thomas Kossi Kakpo dissipe les inquiétudes. « Le Gouvernement a demandé que toutes les communes construisent les centres de formation professionnelle afin d’accueillir les apprenants exclus », lâche-t-il. Malgré cette mesure Epiphane Azon trouve que le Gouvernement a péché. « Pour mettre en application un texte pareil, le gouvernement doit pouvoir avertir les parents un an à l’avance », pense-t-il, étant donné que certaines régions du Bénin ne disposent pas de collèges privés où les apprenants désireux de continuer les études pourront s’inscrire.
Patrice SOKEGBE