Implantée à Cotonou et plus précisément au quartier Xwlacodji Plage depuis 1970, l’usine de Ciment « Le Bouclier » ne contribue pas seulement à l’essor économique du Bénin mais reste également une sérieuse menace pour le bien-être des populations environnantes. Au regard de la toxicité de la poussière du ciment, l’inhalation expose les riverains à de graves maladies pulmonaires qui, selon les projections de l’Organisation mondiale de la santé, seront la troisième cause de mortalité dans le monde. Depuis 46 ans donc, les populations de Xwlacodji Plage se meurent dans une indifférence totale et le Chef quartier semble être condamné à voir, impuissant, son peuple périr en silence d’une mort lente et certaine…
Un sachet de “médicaments de rue“ en main, le visage visiblement ébouriffé de poussière de ciment, Félicienne Kounou est vendeuse de riz juste en face de la cimenterie « Le Bouclier » de Xwlacodji. Consciente des risques auxquels elle s’expose au quotidien, cette jeune commerçante avale de nombreux comprimés après la vente. « La poussière de ciment est nuisible à notre santé et nous le savons. Donc chaque fois, quand nous finissons de vendre, nous prenons des médicaments et du lait Peak pour nous protéger » nous a-t-elle confié sans détour. D’ailleurs, elle venait d’en prendre une dose quand nous arrivions sur les lieux. Comme elle, la quasi-totalité des populations environnantes est consciente du danger. « Sur le plan sanitaire, c’est tout le monde qui se plaint », va renchérir le Chef quartier de Xwlacodji Plage, Agbessi Anani. Selon les spécialistes de la santé, la poussière des ciments peut être à l’origine d’atteintes respiratoires, oculaires ou cutanées. Ceux-ci contiennent notamment, à des niveaux variables, du chrome VI, une substance allergène… et cancérogène.La conjonctivite, la blépharoconiose sont autant d’irritations oculaires liées à la poussière de ciment. Le cancer cutané, eczéma de contact au chrome VI restent également des menaces de santé.
Comment la santé des populations de Xwlacodji est menacée…
En effet, l’inhalation intense et/ou fréquente et/ou prolongée de poussières de silice cristalline qui est un constituant du ciment, entraîne une inflammation pulmonaire chronique et une fibrose pulmonaire progressive (silicose) pouvant conduire à une grave insuffisance respiratoire et cardiaque et prédisposer à des complications notamment tuberculeuses et cancéreuses. Les populations sont constamment donc exposées à des risques élevés à Xwlacodji, et ceci peut perdurer plusieurs années après l’exposition. Chose inquiétante, il n’y a pas de traitement médical pour guérir la silicose ni de médicaments pour en arrêter la progression. Dans ce cas, seul l’éloignement ou la suppression de l’exposition, la prévention est d’une importance critique. Ce qui n’est malheureusement pas priorisé par les responsables de l’Usine de ciment « Le Bouclier » implanté à Xwlacodji. « Environ 46 ans déjà qu’on est victime de ces poussières nuisibles à notre santé. Nous le savons tous puisque quand la poussière entre dans le poumon, cela entraine la tuberculose, des maladies pulmonaires et cancérigènes. Et tout ceci sans aucune mesure d’accompagnement. En 2014, nous avions pris conscience du danger et nous sommes partis nous plaindre auprès de la direction de l’Usine. Pour nous apaiser, on nous donnait chaque fin d’année de 2014 à 2015, l’étrenne de 10 tonnes de ciment et c’est tout comme mesure de soulagement », se désole le Chef quartier Agbessi Anani. Une fois dans les locaux de l’Usine, nous avions été tournés en dérision et conduits de bureau en bureau sans pouvoir soutirer une part de vérité aux membres de l’administration. Ceci pour dire qu’ils ont préféré garder leur bec dans l’eau que de chercher à se défendre. A qui alors la faute si ces populations meurent à petits feux dans une indifférence totale ? « C’est la faute à l’Etat. L’Usine en question fait partie du plan Ganhi dont nous faisons également partie pour le déguerpissement. On devrait déguerpir le mal mais on préfère laisser et c’est l’homme que nous déguerpissons», accuse le Chef quartier.
Les ouvriers également exposés : des témoignages…
« La poussière ne nous fait guère du bien et cela assèche même nos narines, fosses nasales. Il m’arrive de faire la diarrhée et je maigris sérieusement quand mon ventre est complètement sale. Et je sais automatiquement que c’est la poussière et je fais recours aux médicaments pour me soigner. On ne nous donne rien pour cela au boulot. Certains cadres bénéficient des mesures d’accompagnement et sont régulièrement suivis médicalement mais nous, personne ne nous regarde. Beaucoup tombent malades parmi nous et meurent sans qu’on ne leur apporte aucun appui ou assistance. La dernière personne qui en est récemment morte est un chauffeur souffrant mais qui continuait de travailler donc il était allé livrer des ciments dans un dépôt et c’est là qu’il est décédé », nous a relaté Tchibozo Alexandre, un agent de la cimenterie. Ils ont pratiquement tous reconnu le mal qui les guette dans ce métier.
La production du ciment dans les cimenteries expose les cimentiers à des pathologies cutanées et respiratoires, dont certaines d’origine allergique, liées à la structure de poudre fine alcaline et irritante qui se répand dans l’air ambiant sous forme de poussières, et qui se dépose sur tous les sols et supports divers. Par ailleurs, la nature même des procédés de calcination dans des fours expose évidemment les cimentiers à de hautes températures ambiantes, et aux niveaux élevés du bruit des broyeurs. De plus, il faut prendre en compte les risques professionnels non spécifiques à la cimenterie, liés aux manutentions, aux chutes de plain-pied.
Bénéficient-ils de mesures de prévention collective appropriées ? L’Usine a-t-elle pris des mesures subséquentes pour réduire toutes ces expositions et diminuer fortement les risques professionnels ? Aucune formation aux mesures de prévention adéquates, aucun suivi médical renforcé aucune traçabilité de leur exposition professionnelle. C’est ce qui ressort des différentes interventions des agents rencontrés. « Ce métier, pour le faire, il faut être prêt pour prendre des mesures de précaution pour ne pas devenir une simple perte aux parents. Des maladies auxquelles nous nous exposons ici sont énormes en inhalant la poussière de ciment. Moi je prends du citron, lait Peak pour désintoxiquer l’organisme. Beaucoup d’amis souffrent des maladies pulmonaires, des maux de reins ici », confie Frédérick Minéroukon. Et à Théodore Ahoton d’ajouter « Lorsque nous percevons, nous achetons du lait Peak chaque soir et que nous prenons pour garantir notre bien-être. Nous quittons loin pour venir travailler ici et c’est ce lait qui nous sauve. »
Un impact considérable sur l’environnement…
Brice Gérard Massessi est ingénieur de conception environnementaliste, consultant indépendant en Environnement et enseignant à l’Université Polytechnique Internationale OBIANG N’GUEMA M’BASOGO. Pour lui, l’exploitation des gisements de matières premières et la fabrication du ciment sont des opérations industrielles de grande envergure qui ont un impact considérable sur l’environnement. « Je commence par la pollution atmosphérique occasionnée par les poussières formées au cours de la production et de la transformation du ciment qui est un mélange de calcaire, d’argile et de gypse. Nous avons ensuite les émissions gazeuses constituées de dioxyde de carbone, d’oxyde d’azote en quantité importante entrainée par l’oxydation de l’azote de l’air due à la température des flammes dans les fours à ciment pouvant atteindre 1800°Celsius. Ces émissions gazeuses peuvent être constituées aussi de monoxyde de carbone et d’autres effluents gazeux provenant des combustibles utilisés pour la cuisson du ciment. Vous convenez donc avec moi que ces émissions gazeuses non seulement polluent l’environnement mais contribuent lourdement au renforcement de l’effet de serre » explique-t-il.
Délocaliser l’usine, la solution ?
Selon le candidat à la Présidentielle 2016, Issa Badarou Soulé, les usines de ciment ne devraient pas être implantées à Cotonou mais plutôt dans les localités les plus reculées et où on trouve des ressources entrant dans la fabrication du ciment. Un avis partagé par le Chef quartier qui précise qu’un plan de déguerpissement prévoyait la délocalisation de l’usine mais il déplore le silence radio qui perdure. L’ingénieur en conception environnementaliste soutient également. « En principe, toute grande usine devrait être implantée dans une localité reculée. Pour en venir au cas particulier des usines de ciment, elles doivent règlementairement respecter un éloignement de 500 mètres minimum des zones habitées afin de limiter les nuisances. Aussi est-il à ajouter que l’idéal serait que ces usines soient implantées dans des zones où l’accès aux ressources naturelles sera beaucoup plus facile et donc beaucoup plus proche des carrières d’exploitation. J’irai même plus loin pour vous dire qu’on ne choisit pas n’importe comment le site d’implantation d’une usine de ciment. On le fait en tenant compte d’un certain nombre de critères qui doivent conditionner ce choix. Je peux déjà vous citer comme critères les aspects écologiques en général, la situation géologique, hydrogéologique et pédologique, la situation météorologique et d’hygiène atmosphérique, les vibrations, la pollution par le bruit, les réserves naturelles et exploitation de ressources naturelles, les infrastructures d’évacuation des eaux usées et d’éliminations des déchets, le volume de transport pour ne citer que ceux-là », explique Brice Massessi. La délocalisation de l’usine serait-elle donc la seule solution pour garantir le bien-être des populations de Xwlacodji ? « Cette mesure n’étant peut-être pas envisageable de sitôt, je propose qu’à défaut, des dispositions soient prises pour limiter les nuisances. On peut déjà chercher à améliorer les techniques d’exploitation afin de réduire de manière considérable les bruits et les vibrations. C’est bien possible. Il est aussi possible d’équiper les cheminées de fours et les broyeurs de filtres performants pour réduire au maximum les particules de poussières et arroser de manière systématique les voies d’accès » propose ce dernier.
Face à cette situation, il faut reconnaitre que les usines, nous en avons besoin pour notre économie et notre développement mais la santé des populations est prioritaire de même que la qualité de notre cadre de vie. Les autorités doivent donc sortir de leur « silence coupable » et faire bénéficier les concernés de prestations de services de soins médicaux en attendant de réfléchir aux solutions pour pallier progressivement et définitivement ces problèmes. Les populations de Xwlacodji ont également le droit à la vie et on ne peut les sacrifier sur l’autel des taxes ou encore des impôts d’une quelconque usine. « Nous avons espoir que du jour au lendemain, l’Usine pensera au bien-être des populations », plaide le Chef quartier.
Aziz BADAROU