Depuis l’avènement du nouveau régime dit de « la rupture » au Bénin, de profonds changements sont annoncés dans tous les secteurs. C’est à ce titre que des audits ont été commandités afin de recenser les prévarications de l’ancien régime et d’engager une lutte contre la corruption. Mais à la surprise générale le ministre de la justice a annoncé le 08 novembre 2016 le refus du gouvernement de publier les résultats d’audits commandités dans les Sociétés et offices d’Etat.
Le motif est de vouloir protéger les probables innocents, et au profit de leur transmission à la Justice aux fins d’en tirer les conséquences idoines et en faire l’exploitation la plus judicieuse. Cette décision est-elle vraiment judicieuse pour un nouveau régime dans un pays classé corrompu ?
Au vu des nombreux scandales financiers ayant éclaboussé le Bénin ces dernières années avec des dizaines de milliards de manque à gagner, commanditer des audits pour les sociétés d’Etat était la meilleure démarche que pouvait lancer le nouveau Gouvernement. Mais cette démarche n’est pas nouvelle car les anciens gouvernements ont souvent lancé des audits sporadiques après que des organisations de la société civile aient tiré sur la sonnette d’alarme. La décision de ne pas publier les résultats des audits fait partie des prérogatives de l’Etat mais comporte cependant certains risques qui sommes toutes ne feraient qu’aggraver l’état de la gouvernance dans la République du Bénin.
En effets, selon le rapport de Transparency International 2015, le Bénin a reculé de 3 places entre 2014 et 2015. Cet état de choses relève directement d’une situation d’impunité des crimes économiques dans laquelle végète le pays. Suite à l’implication des politiciens dans des crimes économiques, les sanctions se résument souvent au limogeage, si ce dernier est au gouvernement, comme nous avons pu l’observer dans l’affaire dite Cen-sad (2 milliards de surfacturation) ; et dans le meilleur des cas à une demande fantoche de levée d’immunité, si le concerné est député comme ce fut le cas dans l’Affaire PPEAII aux 8 Milliards évaporés. La lutte contre l’impunité est donc une nécessité absolue pour la République. Mais, elle ne doit plus prendre la forme de certaines procédures qui ont des allures de règlement de compte comme nous avons pu l’observer avec le gouvernement précédent pour l’affaire de PVI-NG dans laquelle le Bénin avait été finalement condamné à verser 142 milliards à l’opérateur économique d’alors, Patrice TALON.
Mais cette lutte ne peut se faire dans l’opacité au motif de vouloir assurer la présomption d’innocence ; car un audit n’est ni une décision de justice ni systématiquement suivi d’une procédure judiciaire. La culpabilité de l’individu indexé n’est donc pas encore établie tant qu’il n’est pas reconnu comme tel par une décision de justice. Partant des constats ci-dessus, il serait légitime de craindre un semblant de justice et l’avènement d’une gestion opaque des affaires publiques, faisant ainsi le nid à toujours plus de corruption et toujours moins d’investisseurs. Autrement dit, au nom du respect la présomption d’innocence, on risque de voir s’étouffer des affaires, puisque personne ne saura réellement ce qui s’est passé.
De même la décision de ne pas publier les résultats des audits est un prétexte pour mettre à l’écart la société civile et échapper à sa pression. Empêchées de jouer leur rôle de veille citoyenne, certaines organisations de la société civile n’ont d’ailleurs pas hésité à se faire entendre. Le président de l’ONG Association de Lutte Contre la Corruption, le Racisme, l’Ethnocentrisme et le Régionalisme (ALCRER), Martin Assogba, est d’ailleurs monté au créneau par un communiqué et a exigé la publication des résultats qui selon lui « …met le Bénin en porte-à-faux avec ses engagements internationaux notamment à travers la Déclaration de Mexico qui recommande aux Etats d’œuvrer à la publication et à la diffusion des résultats des audits. »
La crédibilité d’un appareil judiciaire provient de son degré de transparence. Au Bénin, l’arrestation des politiques pour des procédures donne souvent lieu à des manifestions et des appels à libération. Des événements récents ont montré que les populations béninoises n’ont pas confiance en leur justice. On n’en veut pour preuve les cas de vindictes populaires, et les cas de manifestations publiques entravant les procédures judiciaires comme dans le cas de l’interpellation récente du Président du Patronat béninois, Sébastien Ajavon, dans une affaire de trafic de drogue. Dans ce climat de méfiance, la décision annoncée par le ministre de la justice tout en ayant un motif non négligeable, ne pèse pas dans la balance face à la nécessité de transparence dans la gestion des affaires publiques.
Quant à la nécessité de préserver les probables innocents elle peut être garantie si la déontologie des métiers de presse est respectée de façon à ce que les médias ne fassent pas du sensationnel et ne dégradent pas l’image de certaines personnes indexées qui peuvent s’avérer être des innocents. C’est donc à l’endroit des médias et des populations que doit se mener une campagne de sensibilisation. Mais plus que la sensibilisation, il faudrait revenir sur le code déontologique et inscrire de nouvelles règles avec effet de sanction sans bien sûr menacer la liberté de presse.
En définitive, il faut reconnaître que cette façon de gérer les affaires publiques emboîte le pas à celle observée dans plusieurs pays africains où l’impunité règne. Malgré cela, le gouvernement de la rupture gagnerait à aller au bout des promesses de campagne du Président Patrice Talon qui a promis montrer une nouvelle façon de faire efficace et éthique. Vivement donc que la transparence intègre cette nouvelle façon de faire pour une relation de confiance entre les gouvernants et les gouvernés.