Un autre dossier de coups mortels était à l’affiche vendredi 9 décembre dernier, lors de l’examen de la 14e affaire inscrite au rôle de la cour d’assises de la cour d’appel de Cotonou, où le ministère public était opposé à Jacques Binoï. L’accusé recouvre sa liberté après six ans de détention préventive suite à son acquittement pur et simple. Ainsi en a décidé la cour.
Jacques Binoï a porté des coups mortels à Adamou Kpognon. La suite a été fatale à ce dernier. Pendant que le ministère public, Mariot Mètonou requérait dix ans de travaux forcés, la défense invoquant la légitime défense, a eu gain de cause puisque la cour a acquitté purement et simplement Jacques Binoï.
Les faits se sont déroulés à Cotonou. Courant septembre 2010, la poule de dame Marcelline Hounsa a déféqué sur le lit de Jacques Binoï et ses porcs ont mangé son repas. Avisé par sa femme, ce dernier est allé faire part de son mécontentement à dame Marcelline Hounsa qui l’a mal reçu. Une altercation s’en est suivie et Jacques Binoï est retourné dans sa chambre. Quelque temps après, un groupe de sept personnes dont le nommé Adamou Kpognon se sont introduits chez Jacques Binoï. Une bagarre éclata et ce dernier poignarda Adamou Kpognon qui rendit l’âme sur le champ. Interpellé et inculpé, Jacques Binoï a reconnu les faits à toutes les étapes de la procédure, tout en soutenant qu’il se défendait contre les assaillants et n’avait pas l’intention de donner la mort à Adamou Kpognon.
Le bulletin n°1 de son casier judiciaire ne porte mention d’aucune condamnation. Le rapport d’expertise médico-psychologique et psychiatrique révèle qu’il n’était pas en état de démence au moment des faits et qu’il est donc accessible à la sanction pénale.
A la barre, il a déclaré savoir la raison pour laquelle il est devant la cour. Tôt le matin au réveil, raconte Jacques Binoï, ma femme faisant la lessive est venue m’informer de ce que le cochon du voisin a sali notre maison. Je suis allé me plaindre aux voisins. Plus tard, ils sont venus casser des choses chez moi et m’agresser. J’ai saisi un couteau que j’ai porté sur l’un d’entre eux, Adamou Kpognon.
Le premier témoin, sœur de la victime, dame Marcelline Hounsa, a expliqué que son frère victime est nerveux ; elle a déclaré n’avoir pas assisté à la bagarre. Elle a reconnu que l’accusé était allé se plaindre à elle par-dessus le mur de clôture ; par la suite, poursuit-elle, mes enfants, la victime et moi-même nous nous sommes portés vers le propriétaire de l’accusé. A cette étape, expose Marcelline Hounsa, ils ont informé le propriétaire du différend. Il y a eu compréhension et les gens se sont séparés, relève-t-elle avant d’ajouter : « Je n’ai pas compris comment ça a dégénéré pour que mort s’ensuive ».
Le 2e témoin est le grand frère de l’accusé; il a déclaré que son frère n’est pas belliqueux ; il aurait été blessé lors de l’incident malheureux et il l’a porté jusqu’au commissariat.
L’irréparable est fait
Moïse Agbassou, grand frère de la victime, partie civile pense que l’irréparable est fait ; plus rien ne peut ramener le défunt à la vie.
Le président fait également lire les dépositions de Natacha Lanwin, femme de l’accusé à l’enquête préliminaire. Dépositions selon lesquelles les poulets du voisin ont déféqué sur leur lit, et que par ailleurs, le cochon est venu se servir du riz dans sa marmite. Une portion qui devait être servie au père de la famille; des déclarations confirmées devant le magistrat instructeur.
Les déclarations de Samuel Zoyia, à l’enquête préliminaire, propriétaire de la maison où le drame a eu lieu, ont été également portées à la connaissance de l’assistance. Assis devant sa porte, le propriétaire a déclaré avoir entendu des lamentations et certifié que les agresseurs de son locataire auraient pris par derrière pour défoncer sa porte.
Prenant ses réquisitions, Mariot Mètonou, a reconnu que la violence a plané sur le 14e dossier. Il a rappelé les faits et soutenu que la constitution des coups mortels est établie. Un crime qui a son siège dans le code pénal à l’article 309 al 4. Pour lui, l’élément matériel de l’infraction est l’acte positif, le coup qui a été porté et le lien entre le coup et la mort.
S’agissant de l’élément psychologique, il indique qu’il porte sur la conscience que l’auteur avait porté des coups à la victime mais pas dans l'intention de tuer. L’accusé n’avait pas l’intention de donner la mort à la victime, fait observer le représentant du ministère public. Au regard des circonstances de la commission de l’infraction, soutient Mariot Mètonou, on peut être tenté d’évoquer la légitime défense; mais la défense ne saurait l’invoquer, assure-t-il, car il faut des conditions cumulatives au danger et à la riposte.Le danger, indique-t-il, doit être réel, immédiat et personnel. La riposte doit être proportionnelle à l’attaque.
La légitime défense est inconciliable avec la conscience qu’avait l’agent qu’il ne voulait pas attenter à la vie de la victime ; car à aucun moment, rappelle le ministère public, il n’a voulu la mort de la victime. « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie, rien ne vaut la vie de la victime ; la famille d’Adamou Kpognon réclame justice ; vous devez extirper de notre société cette forme de violence gratuite », clame Mariot Mètonou. L’accusé est pénalement responsable, indique-t-il. «Je requiers de répondre par l’affirmative, lorsqu’il s’agira de dire s’il est coupable ou pas ; répondre par la négative qu’il n’avait pas l’intention de donner la mort et de le condamner à dix ans de travaux forcés », a requis Mariot Mètonou.
Ce que la défense représentée par Me Victoire Agbanrin Elisha réfute en bloc, car les définitions du ministère public l’ont un peu laissée sur sa faim. Elle replace les faits dans leur contexte. Le propriétaire, rappelle-t-elle, a déclaré qu’il les a calmés en vain ; l’accusé tiré par sa femme, poursuit-elle, l’amie de cette dernière et le bébé s’étaient enfermés dans la chambre. « Les voisins ont pris par derrière la concession, ont défoncé la porte; l’accusé s’est défendu; oui il y a eu coups mortels, je ne reviens pas sur les éléments constitutifs; il voulait se défendre ; mais la loi a prévu des faits justificatifs», insiste-telle. L’excuse absolutoire laisse subsister l'infraction et la responsabilité mais efface la peine, soutient Me Victoire Agbanrin Elisha. Donc il y a légitime défense, conclut-elle avant d’en énumérer les éléments constitutifs. Selon l’article 328 du code pénal, si les coups étaient commandés par la légitime défense, il doit avoir eu agression ; elle doit être réelle et actuelle ; peu importe le nombre de personnes qui sont venues agresser et la riposte doit être nécessaire et actuelle. Jacques Binoï s’est défendu, argumente-t-elle. La loi veut que la riposte soit proportionnelle à l’agression.
La violation de domicile
« Je retiens comme premier acte, la violation de domicile », justifie la défense, car c’est dans sa chambre qu’il a été agressé ; sa femme les a empêchés de rentrer en fermant la porte mais ils sont passés par l’arrière-cour. « Ses assaillants étaient armés ; vous avez vu la photo de la victime torse nu, en culotte jean et armé ; il est allé en bagarreur ; ils se sont introduits dans sa chambre, lui en tenue de lutte, coupe-coupe et briques. Il y a eu bagarre ; violation de domicile, l’acte d’agression réside dans la violation de domicile ; vous me l’enseignerez, il y a eu violences et voies de faits ». Et sa femme a expliqué avoir pris son bébé : « Je suis sorti, le temps d’aller le confier au voisin, le temps de venir, j’ai entendu des lamentations ; j’ai cru que c’était mon mari qui a été tué ».
L’expertise a fait état des cicatrices, rappelle la défense, réitérant qu’il y a eu violences et voies de fait sur la femme. Jacques a fait usage d’un couteau quand il s’est senti menacé, justifie-t-elle. « Kpognon Adanmou, c’est son nom en fon ; allez-y comprendre. Pour se défendre et sortir de ce pétrin, il lui a lancé le couteau ; il n’a pu dire là où le couteau l’a atteint», a déclaré Me Victoire Agbanrin Elisha. Où est le certificat?, interroge la défense pour qui la riposte est proportionnelle à l’attaque dont Jacques a été victime. « Messieurs et mesdames de la cour, il vous appartient d’apprécier la riposte », plaide-t-elle. « Vous allez apprécier souverainement, car les textes de loi vous donnent le droit de le faire ; c’est la juridiction de jugement qui apprécie. A vous les jurés c’est la question qui vous sera posée. Dieu était avec Jacques, sinon c’est lui qui aurait succombé », apprécie-t-elle.
La légitime défense
Pour la défense, la sœur de la victime aurait pu calmer le jeu. Pourquoi le propriétaire s’est- il tu?, Interroge-t-elle encore. « Voilà la légitime défense l’argument est de droit. Il a perdu six ans de sa vie ; rendez Jacques à sa fille et à sa famille. Vous ne pourrez pas parler d’homicide involontaire », insiste-telle.
Mariot Mètonou n’a pu se taire face à cette plaidoirie. Dans ses répliques, « Nous sommes dans le monde du rationnel, il ne serait pas juste d’aller sur le terrain de la légitime défense et il ne s’agit pas de ressenti ; dans l’élément moral, le résultat qu’est la mort n’est pas recherché », réagit-il.
La défense répliquant, pense que l’intention est sur le coup porté. « Dans votre sagesse, vous retiendrez la légitime défense », réitère-t-elle.
Après délibérations, la cour a retenu que Jacques Binoï n’est pas coupable sur la base des articles 360 à 363. Il a agi en légitime défense, argumente-t-elle; d'où son acquittement pur et simple. La cour ordonne sa mise en liberté s’il n’est pas condamné pour d’autres infractions.
Faustin Anagonou a présidé la cour avec comme assesseurs, Eliane Noutaïs Guézo.Pour le jury de jugement, ce sont les jurés Yves Landry Akuesson, Hortense Tossou, Antoine Hossou, Jonas Montcho,inscrits sur la liste B qui ont accompagné les juges professionnels.