La Constitution béninoise a eu 26 ans, dimanche 11 décembre dernier. Sur le plan national, aucune manifestation officielle n’a été organisée ; mais la loi fondamentale fait toujours objet de vives polémiques au sujet de sa révision. Interrogé sur ses faiblesses, le professeur de droit, constitutionnaliste et ancien garde des sceaux, Victor Prudent Topanou, estime qu’elle est non seulement d’actualité mais « presque parfaite » et qu’il faille attendre des années encore avant de procéder à son toilettage. Il nous éclaire également sur les trois formes de révision constitutionnelle.
La Nation : Monsieur le professeur, la Constitution du Bénin a désormais 26 ans. Pensez-vous qu’elle est toujours d’actualité ?
Victor Topanou : C'est une question plutôt curieuse, parce que la Constitution américaine a plus de 200 ans, mais elle est toujours d'actualité. Non, vingt-six ans, c'est trop peu d'ailleurs pour apprécier la qualité d'une Constitution. Pour savoir si une Constitution traverse le temps, il faut l’éprouver au moins cinquante ans. Nous, on est qu'à 26 ans et il y a comme une ‘’constitutionnite’’ qui a envahi le pays au point où l'âge jeune de notre Constitution devient même un motif pour la réviser. Les gens vont jusqu'à dire «Elle a quand-même 26 ans, on peut la réviser ». Non, on ne révise pas une Constitution parce qu'elle a 26 ans. On révise une Constitution d'abord et avant tout parce qu'il y a une insuffisance constatée, qui créé une crise précise. C'est pour cela qu'à titre personnel, je rappelle toujours qu'il y trois types de révision constitutionnelle. La révision opportuniste qui est celle observée partout en Afrique en général. C'est le cas du Rwanda, du Congo-Brazzaville, du Togo, du Gabon et autres que nous devons condamner, parce-que le seul objectif est le maintien au pouvoir d'un régime et des siens. Je pense qu'à partir de ce moment, il faut la combattre et la dénoncer. Mais à côté de la révision opportuniste, il y a les révisions de crise. Les révisons de crise pour moi, ce sont celles qui s'imposent. On ne peut pas ne pas réviser. C'est le cas par exemple de ce qui s'est passé en Côte-d'Ivoire. A la suite de la rébellion, quand les acteurs politiques sont partis en négociation à Ouagadougou ou ailleurs, c'est quand ils sont arrivés à Pretoria que le président Thabo Mbeki a dû demander au président Laurent Gbagbo à l'époque, de tout faire pour modifier l'article 35 qui empêchait Alassane Ouattara d'être candidat; parce qu’il fallait être Ivoirien de père et de mère; eux-mêmes Ivoiriens. Dans ce cas précis, nous sommes dans une crise béante et il fallait absolument la réviser. Donc, Laurent Gbagbo a fait ce qu'il fallait faire ; peu importe la technique par laquelle il y est parvenu. En tout cas, il a modifié et cela a permis à Ouattara d'être candidat. Nous sommes dans ce cas, dans une révision de crise. Il en est de même au Mali, où il y a eu une grosse rébellion au terme de laquelle les rebelles ont exigé un certain nombre de choses, compte-tenu des accords d'Alger qui nécessitent au préalable une révision de la Constitution. C'est la même chose en Centrafrique où après la rébellion, il fallait nécessairement une nouvelle Constitution parce que l'ancienne n'a pas permis d'éviter la guerre. Dans ces cas, les révisions de crise s'imposent.
Et la troisième catégorie ?
La troisième catégorie est ce que j'appelle les révisons de confort. C'est-à-dire, voilà une Constitution qui ne vous a rien fait, il n'y a pas eu une seule crise politique majeure que la Constitution n'ait été capable ou incapable de régler. Il faut d'ailleurs ajouter les jurisprudences de la Cour constitutionnelle qui viennent souvent permettre de sortir de crise et pourtant, depuis vingt-six ans, les Béninois courent derrière la révision de la Constitution comme si dans leur esprit, il y aurait quelque part une Constitution presque parfaite ou parfaite. En réalité, c'est là le risque des révisons de confort. Elles prétendent créer de nouveaux droits, elles prétendent améliorer les rapports entre les différents pouvoirs, mais en règle générale, ce changement créé des déséquilibres nouveaux que l'on ne perçoit pas au moment où on les propose et que ce n'est qu'à l'application qu'on se retrouve face aux réalités. Pour bien évaluer une Constitution il faut presque 50 ans. Donc, à mon sens la Constitution actuelle n'a quasiment aucune faiblesse; elle est presque parfaite. Je dis presque, parce que la perfection n'est pas de ce monde.
Quel message avez-vous à l'endroit de ceux qui veulent réviser la Constitution ?
Je dis à ceux qui veulent la réviser qu'ils n'ont aucune garantie de la perfection et que juste après leur révision, il se trouvera encore des gens pour estimer qu'il y a des choses imparfaites et qu'en conséquence, aussi longtemps qu'il n'y a pas eu de crise politique, ni démocratique majeure, la Constitution n'ait été incapable de régler, pourquoi alors la modifier ? Les révisions de confort sont des révisions de caprice, car potentiellement crisogènes. A vouloir impérativement modifier, vous cristallisez les oppositions. Ce qui est grave, personne ne sait en quoi débouchent ces oppositions cristallisées et violentes qui finissent nécessairement par exploser. Mais sous forme?
Votre conclusion
Je demande à tout le monde d'avoir un peu de sagesse, que la Constitution est une œuvre humaine et donc, elle est nécessairement imparfaite. On éprouve le besoin de la modifier que, lorsqu'on se retrouve devant une crise. Aujourd'hui, on n’a aucune crise majeure. En conséquence, il vaut mieux continuer de l'éprouver. Je pense d'ailleurs qu'il y a encore des lois d'application de cette Constitution qui ne sont pas prises depuis 26 ans. Ce qui veut dire, que la Constitution n'a même pas fini de donner la plénitude de ses capacités que déjà on veut la modifier. Donc, on recommencera par zéro. Parce-que la modification remet toujours le compteur à zéro; on repart à zéro. On est sans arrêt dans l'éternel départ ou ‘’redépart’’. Je pense qu'à un certain moment, il faut faire preuve de sagesse et ne pas toucher ce qui n'a créé aucun problème ?
Pérez LEKOTAN (Stag)