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Le politicien décrypté par Apollinaire Aïvodji, Orden Alladatin et Didier Samson
Publié le mardi 20 decembre 2016  |  Fraternité




Un métier, une vocation et quelles aptitudes avant d’y aller ? Embrasser la politique selon que l’on est en Afrique ou en occident est, au fil des années, diversement apprécié. Au Bénin et au regard de ce qui se passe sur le plan politique depuis le renouveau démocratique, trois personnalités ont essayé de décrypter cette activité. Devrait-elle être considérée comme un métier ou non ? Pour mieux comprendre et discerner cette notion, le Professeur Apollinaire Aïvodji, Directeur des Études et de la Scolarité et Professeur de cinématographie à l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel (Isma), le Secrétaire du parti Alternative Citoyenne, l’Honorable Orden Alladatin et le journaliste de Rfi, Didier Samson ont, sans langue de bois, donné leurs avis.

« Ceux qui veulent faire de la politique doivent se spécialiser et tout faire pour maîtriser cet art… », dixit Apollinaire Aïvodji
M. Aïvodji, pour vous, comment peut-on définir la politique ?
A. A : En premier lieu, selon les professeurs d’université, c’est-à-dire ceux qui ont fait des recherches et qui maîtrisent ce domaine, c’est l’art de gérer la cité, les hommes, de conduire la population vers le développement attendu.

Pouvez-vous nous dire ce qu’est un métier et si la politique en est un ?
On vous dira que vous avez un métier, que vous l’exercez, suite à une formation. Vous recevez cette formation à l’école ou dans un institut et à la fin de votre formation, vous avez un métier que vous exercez pour gagner un salaire. Vous comprenez donc que la politique est loin d’être un métier. Pour faire de la politique, il faut être d’un mouvement politique, d’un parti politique. La politique a ses principes que seuls les hommes qui ont appris à faire la politique exercent. Ce sont des philosophes qui gèrent les affaires de la cité. La politique n’est pas un métier ; ce n’est qu’un outil, une échelle pour accéder aux fonctions publiques.

La politique n’est peut-être pas un métier. Mais, raisonnablement, est-ce qu’il y a un cursus scolaire ou universitaire à faire avant de prétendre être un homme politique ?
En Afrique, les gens veulent faire de la politique. Et pour se faire, il faut suivre les chefs des partis politiques, il faut être dans les mouvements de jeunes de ce parti, faire des regroupements, faire des meetings, supporter.
Dans les pays développés, ceux qui vont en politique, ce sont ceux qui font une école spécialisée en sciences politiques. Ceux qui veulent faire de la politique doivent donc se spécialiser et tout faire pour maîtriser cet art. L’art de faire de la politique, l’art de convaincre, de drainer la foule, il faut savoir combattre les idées de l’autre, chercher à se positionner pour être le meilleur ; le savoir-parler doit être aussi de rigueur. Tous ces critères rentrent dans l’art de la politique. Mais, en Afrique, c’est la politique du ventre oui ! Tout simplement parce qu’on veut gagner et avoir un poste, on soutient aveuglément quelqu’un et on défend des opinions biscornues. Un constat, vous verrez que souvent en Afrique, les chefs de partis sont des gens qui n’ont généralement fait aucune école, qui sont des gens riches. Même si les autres font de la politique, il suffit de leur distribuer des billets de banque et ils vous suivront sans réflexion. Ces chefs de partis peuvent agir de la sorte, car disposant des moyens financiers.

Quelles sont donc les qualités que doit avoir un politicien ?
La politique, c’est de l’art. Le potier sait que pour fabriquer une jarre ou un pot, qu’il faut mélanger l’argile. De même, il y a des techniques de moulage. Donc, le politicien doit savoir maîtriser les arts, les démarches et les philosophies utilisés en politique. Et il faut avoir les compétences qu’il faut. Ce ne sont pas forcément des gens riches, parce que si le parti est riche, ce n’est pas forcément le plus nanti qui est président. Non ! C’est celui-là qui maîtrise, qui sait parler, qui sait convaincre, drainer et convaincre la foule et qui a des expériences dans le parti. Parce que pour être membre du parti, on grandi petitement, on gravit les échelons. Et lorsqu’on voit que celui-là a les capacités qu’il faut, l’art qu’il faut, on le positionne comme Président ou Secrétaire général du parti et après, il peut être représentant du parti aux élections...Donc, en principe, il faut avoir fait une école, maîtriser les outils et savoir drainer la foule.

Et comment se fait-il que des amateurs en politique, alors qu’il y a des élections régulières, finissent par prendre le pouvoir ?
C’est seulement en Afrique que ce constat est récurrent. Souvent, les illettrés sont cossus, ils passent par leurs moyens, des voies plus ou moins lucides pour avoir de l’argent. Ceci fait, ils peuvent donc drainer la foule. Car, que veut le peuple ? Les populations africaines sont dans la pauvreté et dans la misère. L’essentiel est que l’on gère leurs problèmes quotidiens. Même l’Américain qui a fait de la science politique, s’il vit en Afrique, il ne peut rien faire. Il est obligé de s’appuyer sur ces acteurs économiques pour aller plus loin. Mais, il faut de même leur garantir et leur promettre des choses pour que ces derniers voient leur intérêt en jeu. Par conséquent, celui qui a fait les études, s’il est dépourvu de la monnaie, il ne pourra rien faire.

N’y a-t-il donc pas d’issue ?
C’est un constat réel. On voit des gens qui n’ont aucune conviction politique, aucune conviction d’ailleurs ! Car, ce sont des personnes proches de gens nantis, qui s’engagent à défendre aveuglément ce dernier pour avoir accès à un poste... Évidemment, le poste politique est lié à un salaire, à savoir celui d’un ministre, des députés, du président de la République.

Comme vous le dites si bien, en quoi la rétribution d’un homme politique diffère-t-elle de celle d’un simple citoyen ?
Ce ne sont pas des salaires qui sont dans la grille salariale de la fonction publique. Non ! C’est purement politique. Ces rétributions sont décidées par des ordonnances, des arrêtés ou des décrets ; et celui-là qui se retrouvait chômeur, par la voie politique, peut accéder à un poste juteux !

« La politique, c’est un virus, une vocation qui naît…il faut l’assurer et on peut y faire carrière », dixit Orden Alladatin

La politique, c’est quoi pour vous ?
O. A. : La politique est l’art de gérer la cité en tant que communauté de personnes ; c’est de savoir comment faire évoluer la vie commune en cité.

Alors, dites-nous He Alladatin faire, de la politique, est-ce un métier ?
Oui et non…

Est-ce que vous pouvez être plus clair ?
Non, d’abord parce que, même si nous avons à notre disposition les écoles de sciences politiques et autres, la politique ne s’apprend pas, nécessairement du point de vue de l’exercice de la gestion des affaires de la cité. Ce n’est pas une affaire d’écoles, de quatre murs. C’est vrai qu’il faut parfois des aptitudes, puisque cela fait désormais, l’objet de science. Mais, on n’a pas besoin des écoles pour s’investir. Quand vous êtes ancrés dans les affaires de chez vous, pas nécessairement au sommet de l’État, même dans votre quartier, vous deviez vous soucier de comment faire évoluer le quartier en matière d’assainissement, d’infrastructures, de code de bonne conduite entre vous, dans la cité, afin que la liberté des uns s’arrête vraiment là où commence celle des autres ; il faut s’intéresser au devenir collectif et comment faire pour que dans le quartier, dans l’arrondissement, dans la commune, dans le pays, la population ait accès à l’eau potable par exemple... Nous ne sommes plus à l’ère de la démocratie athénienne où tout le monde peut venir sous une montagne pour décider des questions de la cité, d’où le principe de la représentation, où l’on brigue les mandats pour représenter la population et prendre des décisions en son nom. Quand vous êtes dans ce domaine, vous êtes donc obligé d’apprendre à travers votre vécu et le savoir-faire. Et vous pouvez aussi y apprendre des notions à travers des livres... Cela prend tellement de temps qu’en principe, on n’a pas le temps de faire autre chose...

Comment cela s’explique-t-il ?
Et oui ! Parce que de ce point de vue, vous y êtes et vous y restez. Et donc, on peut en faire un vrai métier. On ne peut régler les affaires de la cité en temps perdu, parce que cela n’attend pas, c’est un processus continu...Et c’est un virus, une vocation qui naît ; et quand ça naît, il faut l’assurer et on peut donc y faire carrière.

Qu’en est-il de celui qui aimerait faire de la politique mais n’a pas la capacité de convaincre ? Vers quelle école doit-il se tourner ?
Il lui faut entrer dans l’école de la vie... Mais il y a aussi des écoles qui s’occupent de certains aspects particuliers de la gestion de la cité. Parce que, quand on est leader et que l’on s’intéresse aux affaires de sa cité, il faut des aptitudes. Pour quelqu’un qui sollicite un mandat électif par exemple, il doit pouvoir connaître les problèmes de sa communauté, de ses concitoyens pour pouvoir s’adresser à eux. De ce point de vue, comment construire un argumentaire, peut s’acquérir à l’école...

Justement en parlant d’école, est-ce que le Bénin dispose d’une école particulière en dehors de la faculté des sciences politiques ?
Cela n’englobe pas tout... On connaît l’histoire politique des pays dont on s’inspire...Mais il y a plein de domaines de la vie. Par exemple, vous êtes dans une formation ordinaire de la gestion des ressources humaines et donc pour gérer des hommes, vous en aurez besoin. Vous pouvez donc aller prendre des notions de stratégies, d’économie, de comptabilité et tout ça, c’est la vie. Vous en apprenez dans votre parcours personnel, dans votre processus... Et pour mieux faire, on peut prendre des cours en art oratoire pour se perfectionner ; mais tout cela ne fait pas de ce dernier un bon politique, il faut qu’il soit atteint du virus et qu’il prenne le temps de structurer et de se renforcer. Car, ce n’est pas parce que vous êtes le meilleur en sciences politiques que vous serez le meilleur dirigeant de votre pays, d’où il faut s’intéresser aux problèmes de son pays.

La rétribution du politicien diffère de celle d’un simple contribuable, pourquoi cela ?
Le politique n’a pas un salaire particulier. Son salaire est la conquête et l’exercice du pouvoir. Il travaille parce qu’il a une certaine vision de sa société. Et pour faire passer cette vision, il se bat. Quand il se bat, il est payé par rapport au résultat qu’il atteint. Moi, je me suis battu dans le pays pour que le système qui était en cours avant 2016 ne perdure pas. Et la plus grande satisfaction pour moi est que le régime est parti. Et en dehors de cela, il y a des fonctions politiques que l’on peut assumer et par rapport auxquelles l’on est rétribué. Ce n’est donc point du simple fait de votre action politique que vous méritez un salaire. Et au-delà de cela, il faudrait aussi que les partis politiques aient un financement pris en compte dans les projets de société et les visions pour le pays.

Pour beaucoup de Béninois, la politique est la porte de sortie de la misère. Votre avis
Cela dépend. Puisque pour sortir les hommes de la misère, vous êtes obligé d’agir sur leur destin. Oui, c’est par la politique qu’on peut sortir les populations de la misère. En temps normal, ce ne devrait pas être le devenir personnel, qui devrait pousser à la politique. Mais malheureusement, c’est le constat. Moi, par contre, je suis dans l’action citoyenne, qui est même publique, depuis 30 ans. Et quelles sont mes motivations ? Il s’agit d’asseoir la démocratie, de travailler à ce que chez moi, autour de moi, il y ait davantage, du bien-être collectif, et c’est pour cela que je me bats. Et je pense que ceux qui entrent en politique devraient avoir ce genre de motivation. Et si, in fine, la politique vous apporte quelques facilités, c’est l’ordre normal des choses. Mais cela ne devrait pas être le but ultime. A supposer que dans l’exercice même des choses, vous ayez des intérêts qui soient contraires aux intérêts du collectif, vous devrez reculer chaque fois que votre intérêt est en conflit avec celui du plus grand nombre. L’idéal est qu’en privilégiant l’intérêt du plus grand nombre, vous trouviez votre salut individuel. Il faut donc aller vers les centres de décisions. Le chemin est long mais il ne faut pas dévier.

Et que dites-vous du rôle de l’argent dans le processus électoral ?
Vous soulevez là le problème de la vénalité politique. L’argent a occupé toutes les sphères de la politique et a donc tout dévoyé. Le président de la République dit que nous devons travailler collectivement à faire reculer le rôle de l’argent en politique chez nous. À l’occasion des récentes élections, j’ai constaté que nous ne parlons pas beaucoup aux populations, surtout aux jeunes.

L’occasion fait le larron. Un conseil à l’endroit de ces jeunes désireux de faire de la politique ?
Je leur dirai de s’engager, c’est-à-dire, vous êtes au collège, au lycée, intéressez-vous aux problèmes de votre collège, de votre lycée, de votre université, c’est déjà ça. J’ai toujours dit aux jeunes de ne pas être des élèves et étudiants quelconque, parce que si aujourd’hui vous l’êtes, demain vous serez des cadres quelconque. Tout le monde n’a pas besoin d’être ministre, mais intéressez-vous à votre destin, c’est de cela qu’il est question. On ne peut pas prendre des décisions qui engagent votre vie et la postérité sans que vous n’ayez votre mot à dire. Quelle que soit la place que vous souhaiteriez occuper, il faut s’engager. Parce que si vous ne vous engagez pas, vous n’avez pas la possibilité de vous indigner et quand vous ne vous indignez pas, la dictature s’impose.

« On ne va pas à l’école pour devenir politicien, mais pour prendre des formations qui prédisposent à cela… », dixit Didier Samson
M. Samson, dites-nous c’est quoi la politique et qui est le politicien ?
D. S. : S’occuper des affaires de la cité, en général est ce qu’on appelle la politique. Faire de la politique est synonyme de sacrifice. Pour cela, il faut être dans un parti politique, le faire évoluer et défendre les idées au service du grand nombre. Cela tient parfois à des comportements narcissiques. C’est-à-dire vouloir se mettre à la tête et porter loin les idées de la population. Il y a des gens qui naissent comme cela, des leaders nés et ils ont besoin qu’il y ait les projecteurs sur eux. Mais, en même temps, il faut qu’ils servent.

Dans quelle mesure peut-on dire que la politique est un métier ?
Il est possible que la politique devienne un métier, si l’on ne fait que ça. Mais, il faut savoir qu’au départ, ce n’était point un métier. La politique est aussi le fait de s’assembler dans des associations à but non lucratif comme les partis politiques. C’est aussi quand l’on se bat pour le social… Il faut retenir que l’on ne va pas à l’école pour devenir politicien mais en revanche pour prendre des formations qui prédisposent à cela. Quand on étudie les sciences politiques ou les relations internationales, l’on est prédisposé à porter des idées. Pour cela, je dois donc connaître l’histoire nationale de mon pays, sa géographie économique…Dans les pays normaux, les députés reçoivent une formation de trois mois pour remettre à niveau leurs connaissances. En somme, de nos jours, la politique devient une activité non marchande. Elle se professionnalise de plus en plus mais sachons qu’au départ, ce n’était qu’une vocation.

Propos recueillis par Rebecca ADJINAKOU (Coll)
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