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Déguerpissement des artères publiques avant le 31 décembre : La fin de la vente de l’essence Kpayo ?
Publié le mardi 27 decembre 2016  |  La Nation
Essence
© Autre presse par DR
Essence frelatée





Le 1er janvier 2017, les grandes villes du Bénin, notamment Cotonou devraient présenter un nouveau visage. On y verrait selon le souhait du gouvernement, des artères dégarnies, libre de tout encombrement. Pour l’heure, aspect social oblige, les attentions se focalisent sur les boutiques et autres espaces de vente sans que personne ne se préoccupe des vendeurs d’essence de contrebande Kpayo. Lesquels représentent pourtant un pourcentage non négligeable et un phénomène social tout aussi préoccupant.

Comme tous les matins, dame Diane Tossou, la cinquantaine révolue a pris ce mardi matin ses quartiers aux abords du tronçon Etoile rouge-Carrefour Cica Toyota. Visage ridé, un vieux foulard sur la tête, démarche courbée, elle fait des allers-retours pour servir les automobilistes qui s’immobilisent devant son étalage pour remplir leurs réservoirs. Depuis plus de 20 ans, cette mère de famille, s’adonne à ce commerce qu’elle n’est pas prête de laisser. Sur ce tronçon, elle fait office de doyenne, s’étant installée avant tous les jeunes qui aujourd’hui occupent comme elle le même trajet pour proposer l’essence communément appelée Kpayo aux populations.

Mais à compter du 1er janvier 2017, dame Diane devra tout au moins se trouver un autre emplacement. La mesure de dégagement des espaces publiques l’obligerait à quitter cet emplacement qu’elle occupe depuis plusieurs années. Comment entrevoie-t-elle alors son relogement? Où va-t-elle s’installer? A cette interrogation, l’air ailleurs, elle répond que «des endroits pour vendre l’essence ne peuvent manquer dans Cotonou». Il existe, pense-t-elle, «tout au moins une ruelle ou un espace disponible pour çà». A-t-elle déjà identifié ce nouvel espace ? Visiblement non. Et elle ne semble d’ailleurs pas s’en soucier. A vrai dire, cette vendeuse d’essence Kpayo croit dur comme fer que « cette mesure ne prendra pas effet ». Le tollé des populations suffira pour faire revenir le gouvernement sur sa décision, soutient-elle. Tous les jours, selon le témoignage d’un de ces garçons qui par moment vient l’aider à contenir l’affluence des matins, elle s’accroche à son poste radio, espérant un message ou une information visant à accorder une grâce. C’est ainsi par exemple, poursuit Jean-Christian son garçon, qu’elle était « ivre de joie » lorsqu’elle apprît que le maire de Cotonou aurait fait un plaidoyer relatif à cette mesure de déguerpissement. Selon ses confidences, ses frères et lui auraient fait l’essentiel pour obliger «la vieille» à renoncer à ce commerce sans que rien n’y fît. Ils comptent donc sur la mise en œuvre de cette mesure de déguerpissement pour l’obliger, à défaut de se reposer enfin, à se reconvertir à une autre activité en lien avec son âge et sa santé.

Vers la fin du Kpayo ?

Mais combien seront-ils, parmi les milliers de gens qui opèrent dans le secteur informel de la vente de l’essence de contrebande à trouver une si belle corde à leur arc ? Grosse interrogation, qui dans le rang des responsables des vendeurs, est au cœur de mille et une attentions. Les magnats de l’or noir de contrebande entrevoient à travers cette mesure du gouvernement, une menace certaine pour leur activité. A peine sortis d’une réunion où la question a été largement abordée, Mahugnon Noukpétin et Augustin Aïzannon, deux responsables d’associations de vendeurs de la ville de Cotonou n’accordent pas leurs violons. Pour le premier, « il est préférable de chercher de nouveaux sites pour les vendeurs qui se trouvent aux abords des voies afin que personne ne soit surpris par le déguerpissement » qui, pense-t-il, « se fera contre vents et marrées ». Selon lui, il ne sert à rien de s’obstiner et d’espérer une éventuelle remise en cause de cette décision ou même une dérogation pour ce commerce. Un commerce qui, insiste-t-il, pourrait connaître une mort naturelle avec ce déguerpissement annoncé. En tout cas, celui-ci dit prendre déjà des mesures pour ses étalages. A l’opposé, Augustin Aïzannon est plein d’espoirs. De la réunion d’où ils sortaient, il aurait même été l’un des ardents défenseurs de la thèse selon laquelle les vendeurs de Kpayo ne doivent pas céder à la panique. Dans un français approximatif, il essaie de rassurer qui veut l’entendre que « le gouvernement même est conscient de l’importance du Kpayo qui vient en renfort aux stations-services » dans la livraison des produits pétroliers, l’essence et le gasoil notamment aux populations. L’autre élément sur lequel Augustin Aïzannon fonde son espoir, c’est l’intérêt des populations pour l’essence de contrebande qui d’ailleurs est actuellement à bon prix. Avec les derniers travaux en date de la Commission d’ajustement des prix des produits pétroliers pour le compte du mois de décembre, le Conseil des ministres du 30 novembre dernier a fixé les prix des produits pétroliers pour compter du 1er décembre dernier à 455 F Cfa le litre d’essence, soit presque le double du prix aux abords des voies actuellement fixé à 250F.
’’Aux temps forts de la lutte contre notre produit sous le président Boni Yayi’’, se souvient-il, «les populations venaient jusque dans nos maisons se faire servir». Il n’est pas exclu, argue-t-il de plus bel, que face à cette nouvelle situation, de nouveaux moyens d’approvisionnement apparaissent. De son récit, se dégage une certitude sans arguments comme quoi, «on ne peut rien contre le Kpayo ». Les vendeurs de Kpayo eux ne semblent pas afficher la même assurance. «Une chose est certaine, le commerce prendra un coup avec cette mesure», estime Damienne Adda, une autre vendeuse croisée dans les encablures du stade de l’Amitié Mathieu Kérékou. Les cinq étalages qu’elle tenait ont été réduits à deux en attendant le 31 décembre. Les trois autres, elle dit les avoir fait déplacer dans une ruelle non loin de son domicile. « On sait au moins que le déguerpissement ne viendra pas dans les Vons », assure-t-elle.

Un destin de chauve-souris ?

«L’occupation anarchique de nos voies et artères cause d’énormes désagréments à la circulation et au réseau routier. (…). En exécution de la décision gouvernementale de libérer les emprises du domaine public, le ministre du Cadre de vie et du Développement durable a établi une feuille de route pour définir la méthode d’organisation efficace et une mise en œuvre apaisée de cette décision. Conformément aux actions inscrites à cette feuille de route, il a été identifié une première série de villes et centres urbains devant faire l’objet de la première phase de cette opération de développement urbain. Il s’agit des villes de Cotonou, Porto-Novo, Parakou, Abomey-Calavi, Ouidah, Bohicon, Abomey et Sème Kpodji. La poursuite de la mise en œuvre de cette opération se fera en deux phases. La première consistera en la libération stricte des emprises des trottoirs et terres pleins centraux des principaux axes stratégiques identifiés dans les villes. Cette phase prend fin le 31 décembre 2016 », lit-on dans le compte rendu du Conseil des ministres du 30 novembre dernier.
Officiellement, l’essence Kpayo n’est pas dans le viseur des meneurs de l’opération de déguerpissement des espaces publics et artères. Mais il n’est pas à exclure que l’exécution de ladite mesure lui porte un coup dur. Depuis de nombreuses années, il a été envisagé une série de mesures contre ce commerce sans qu’aucune d’elle ne porte véritablement ses fruits. Bien au contraire ! A vouloir le combattre, il s’enracine de plus beau avec de nouvelles ramifications. Mais à y voir de près, le déguerpissement tel qu’il est envisagé aussi bien au niveau de sa première phase que de la deuxième s’apparente à une mort lente du trafic d’essence. Une mort d’autant plus évidente que la lutte pour le dégagement des voies est échelonné pour partir des centres urbains et finir en zones périurbaines.
L’option des mini-bac et autres minis stations envisagée, il y a peu pour faire partir les bouteilles d’essence des abords des voies pourrait s’avérer bénéfique pour les vendeurs si tant est que ces derniers tiennent à leur commerce. Mais les vendeurs ne semblent pas être dans cette logique. Séraphin Folly par exemple se voit trop à l’étroit pour envisager une telle solution. De l’emplacement restreint qu’il emprunte non loin de l’entrée de la cité Houéyiho pour son commerce, il pose une double interrogation. Primo, il se demande de quel espace il pourra disposer dans ce cadre pour envisager l’installation d’un tank. Secundo, et cela lui semble le plus important, où trouver les moyens pour envisager une telle installation. Augustin Aïzannon semble d’ailleurs lui donner raison. Pour ce responsable d’association de vendeurs, «ceux qui s’adonnent à ce commerce sont pour la plupart de petites bourses sans soutien qui s’en sortent avec des moyens de bord». Il leur est difficile de faire un tel investissement, objecte-t-il, insistant par ailleurs sur les facilités à servir les clients qu’offrent les bouteilles pré-remplies qui se déversent facilement dans les réservoirs. Mahugnon Noukpétin, un autre responsable amplifie cet exposé par le fait que la plupart des personnes concernées ne savent ni lire, ni compter pour se mettre à cette tâche.
Pendant ce temps, l’opération de déguerpissement suit son cours dans la ville de Cotonou. Les rares personnes qui lèvent le ton pour en appeler à un dégel ou à des mesures sociales ne semblent pas préoccupées par le sort des vendeurs d’essence de contrebande, tout comme leurs responsables d’ailleurs. In fine, la situation de ces vendeurs, face à ce déguerpissement s’apparente au sort de la chauve-souris qui, dans les combats entre ovipares et vivipares, se retrouve au milieu, rejetée par les généraux de chaque camp.

Josué F. MEHOUENOU
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