En dehors des problèmes d’ordre structurel dont souffre le système éducatif béninois, on y déplore aussi des cas de troubles de comportement et de conduite de la part de certains apprenants. Dans le cadre de ses études doctorales au département de Psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université d’Abomey-Calavi, Bernardin M. Dossa s’est intéressé à la question. Sa thèse soutenue récemment intitulée « Troubles du comportement chez les enfants de 6 à 12 ans : pratiques de diagnostic et accompagnement psychologique dans les écoles primaires au sud du Bénin » met exclusivement l’accent sur les troubles émotionnels et les troubles de conduite comportementale. Dans cet entretien, il livre les motivations de son travail, les constats faits sur le terrain sans oublier ses recommandations aussi bien aux enseignants qu’aux parents afin de réduire ces troubles à défaut de les éradiquer.
La Nation : Qu'est-ce qui a motivé le choix d'un sujet sur les troubles du comportement chez les enfants pour votre thèse ?
Bernardin Dossa : Les comportements difficiles des élèves constituent une préoccupation quotidienne pour les enseignants, que ce soit à l’école primaire ou dans le secondaire. En effet, que faire face à un élève qui, très souvent, porte des coups à ses camarades, à un élève qui présente de l'hyperactivité avec d'importants problèmes d'attention, un élève qui fait la pagaille au cours en interrompant continuellement l'enseignant, ou cet élève qui est indiscipliné et reste imperméable aux efforts du maître pour le raisonner ? Ces préoccupations capitales pour la maîtrise de la classe par l’enseignant et la préservation du climat de quiétude pour une action éducative plus réussie et une stabilité psychologique des élèves n’ont pourtant pas de chances d’avoir des solutions correctes et efficaces. La majorité des acteurs de l'éducation n'a pas reçu une formation leur permettant d'intervenir efficacement auprès des élèves qui manifestent des comportements difficiles à l'école ou qui souffrent de troubles du comportement. Ce constat est valable aussi bien pour les enseignants que pour les directeurs d'école et leurs équipes. Malgré cet état de choses, ils ont la responsabilité de décider de la conduite à adopter face à ces élèves difficiles ou en difficulté.
L’école, non seulement, forme mais modèle également le comportement de ces enfants avec comme souci majeur leur réussite dans tous les domaines. La responsabilité incombe aux enseignants d’éduquer, d’instruire et d’orienter ces jeunes, de leur permettre d'effectuer les apprentissages nécessaires à leurs réussites scolaire et sociale. Face à une responsabilité aussi importante de ces enseignants, nous nous sommes intéressé à la façon dont ces derniers arrivent à identifier et à prendre en compte leurs apprenants souffrant de troubles de comportement.
Quelles sont les conclusions auxquelles vous êtes parvenus au terme de vos recherches ?
Les enseignants restent ignorants, dans la grande majorité, des notions de troubles du comportement chez les apprenants. Ils sont irrités, perturbés et frustrés par les troubles du comportement, ce qui fausse la qualité des interrelations et la pertinence des actions de ces derniers en réponse à ces troubles du comportement. Or, les troubles du comportement constituent des difficultés psychologiques dont l’expression dans certains cas par des comportements extériorisés.
Ils révèlent des difficultés d’adaptation ou de croissance-maturation et peuvent parfois être révélateurs de souffrances psychiques chez ces derniers, bien au-delà du sens premier qu’ils pourraient revêtir. Ces difficultés nécessitent le recours à des actions conjuguées de l’école et de la famille et à un accompagnement personnalisé en vue de garantir un développement stable des enfants sur les plans psychologiques, pédagogiques et relationnels, ce qui n’est nullement le cas dans ces écoles parcourues.
Plus de la moitié des enseignants considère les troubles du comportement des apprenants comme des comportements qui bafouent leur autorité. Une analyse de cette considération traduite par la majorité ne met malheureusement pas l’apprenant au premier plan de protection dans le système en ce qui concerne les effets que pourraient produire ces comportements.
Or, comme l’on peut le noter des interventions des spécialistes que nous avons enquêtés, ces difficultés de comportement aux troubles du comportement constituent des anomalies dans la manière d'agir et de réagir de ces enfants. Les troubles de conduites et du comportement désignent des difficultés psychologiques dont l’expression part des comportements extériorisés ou non, et qui perturbent gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages aux enfants qui en souffrent et les pairs. Ces difficultés nécessitent le recours à des actions conjuguées entre autres de l’école, de famille et un accompagnement personnalisé en vue de garantir un développement stable aux plans psychologiques, pédagogiques et relationnels.
En clair, une prise en compte psychopédagogique adéquate dans le contexte de l’école est indispensable, mais tel n’est pas le cas.
De la compréhension des problèmes que vivent les apprenants aux pratiques, se laissent transparaître une cacophonie qui ne dit pas son nom. En effet, l’évolution psychologique et la maturation du caractère des enfants amènent à assister à des difficultés de caractère et de comportements anormaux et perturbateurs chez ces derniers. Ces différentes difficultés et les éléments d’identification ne sont d’ailleurs pas retracés comme cela se doit dans les différents programmes de formation de ces enseignants. Ils se retrouvent donc en difficultés évidentes en ce qui concerne la différenciation à établir entre ces différents comportements-problèmes qui apparaissent chez leurs apprenants et les aggravations subséquentes dans les faits, les sens et les significations à leur apporter.
Ces enseignants donc n’ont aucune idée d’à partir de quelle fréquence d’apparition, des comportements-problèmes chez un enfant peuvent donner lieu à une inquiétude de situation de troubles du comportement.
Ils n’arrivent pas à situer dans leur contexte réel les troubles du comportement, ce qui fausse la qualité, la pertinence et l’opportunité de leurs actes. Il est vrai que certains troubles du comportement qui, dans leur expression, se traduisent par l’agitation, l’agressivité, l’inhibition, les obsessions compulsives, les phobies, l'hyperactivité, peuvent être le signe d'une maladie psychosomatique, ou faire suite à l’utilisation de médicaments ou constituent la manifestation d’effets secondaires, mais ce sont, le cas échéant, des constatations isolées.
Ces troubles dans leurs formes d’expression sont parfois relégués au plan du surnaturel ou du spirituel. L’hypothèse de l’existence d’une cause à effet entre ces comportements troublés et ces dimensions n’est pas a priori rejetée ici, mais l’inexistence de critères sérieux et acceptés de tous visant à faire une distinction évidente conduit parfois les parents et les acteurs du système éducatif à passer malheureusement à côté dans la recherche de soulagement au profit de ces enfants.
Les enseignants sont très perturbés par ces comportements. Ils avouent être généralement déconcentrés par ce fait. Ensuite, l’effet « retard dans l’atteinte des objectifs pédagogiques » vient en deuxième position comme effet négatif ressenti de la manifestation de ces troubles du comportement. Pour d’autres enseignants, ces comportements entraînent une perte de temps dans la gestion du chronogramme des activités académiques.
Quels types de troubles sont fréquents chez les enfants ?
Chez l’enfant et l’adolescent, on distingue deux grandes catégories de troubles du comportement. Il y a la catégorie rassemblant les troubles du développement psychologique comme la dyslexie ou l’autisme et celle qui rassemble les troubles du comportement et les troubles émotionnels comme l’hyperactivité avec/sans un déficit de l’attention (les troubles hyperkinétiques) ou les troubles de conduite comportementale. Notre recherche a pris exclusivement en compte les troubles émotionnels et les troubles de conduite comportementale. Ces troubles sont multiples et multiformes, mais de façon globale, ils sont sériés en deux groupes selon les manifestations.
Il y a les comportements internalisés et les comportements externalisés.
Pour les comportements internalisés, les enfants atteints communiquent peu avec leur entourage, n’expriment pas leurs sentiments, se tiennent à l’écart, manifestent de la crainte. De même, ils ne se mêlent pas spontanément aux conversations et aux discussions surtout envers ce qui est nouveau ou inhabituel. Ils sont souvent anxieux, se soumettent facilement aux exigences dans certains cas, font trop attention à ce qui se passe en eux-mêmes; manquent de confiance en eux-mêmes, sont portés à se plaindre de malaises physiques, etc. Ces comportements de passivité laissent croire, dans certains cas, à une faiblesse qui n’en est pas une. En effet, être faible est une notion aussi agressive que l’attaque du fort vis-à-vis du faible. Le faible est tout aussi agressif. Il n’est donc pas complètement étranger aux conduites agressives que le fort va déployer. En conséquence, le calme apparent de certains enfants ne signifie en rien un calme dans leur for intérieur.
Quant aux comportements externalisés, il faut retenir qu’ils sont plus évidents. Les enfants qui en sont atteints manifestent, se querellent sans raison, refusent d’obéir aux adultes, aux enseignants et à toute personne qui incarne l’autorité. Ils enfreignent les règles établies, perturbent les enseignements dans le déroulement des activités scolaires. Il arrive qu’ils manifestent bruyamment leur désaccord, agressent verbalement ou physiquement les pairs, mentent ou trompent leurs camarades et font preuve de domination sur les autres, etc. Mais pour une compréhension plus judicieuse, ces comportements précédemment énumérés ont fait l’objet d’une description précise.
Nous avons relevé cette catégorie de comportements agressifs : l’enfant donne des coups, menace, agresse verbalement ou physiquement, etc. Il y a aussi les comportements perturbateurs où l’enfant touche à son voisin ou à ses objets, fait du bruit avec sa bouche, ses crayons, fait des remarques inadéquates, parle durant les moments interdits (lors d’une évaluation ou durant des explications, etc.).
On a également les comportements de paresse qui font que l’enfant commence son travail après les autres, ne le termine pas dans le temps imparti, remet des devoirs incomplets ou même ne fait pas ses devoirs, etc. On retrouve aussi des cas où l’enfant joue ou travaille à l’écart des autres, ne parle pas ou parle peu aux autres, regarde ailleurs quand on lui parle, etc. Ce sont les comportements inhibés. On distingue, par ailleurs, les comportements hyperactifs où l’enfant se lève plusieurs fois par période en moyenne, parle, bouge sur sa chaise, et les comportements de démotivation poussant l’enfant à remettre des travaux bâclés, à ne pas participer aux activités, car il semble absent.
Sans accompagnement, les conséquences seront alors dramatiques sur le devenir de l'enfant...
A défaut de trouver des solutions adéquates à ces problèmes, la société n’aura qu’à faire face dans le futur à de la déviance sous toutes ses formes, des désordres et écarts comportementaux, des obsessions, de la dépression, des inhibitions et troubles connexes, etc. Le processus de déchéance psychologique et morale peut être rompu tant qu’il est encore temps.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Cette recherche révèle à la communauté scientifique et aux autorités politico- administratives la nécessité de pourvoir, dans l’immédiat, toutes les écoles primaires de psychologues pour prendre en charge les problèmes d’ordre psychologique des apprenants et en particulier les troubles du comportement qui contrarient à plus d’un titre les enseignants. Les ressources humaines qualifiées à cet effet sont disponibles, mais malheureusement les décideurs béninois ne sont pas assez informés et ne prennent pas la mesure de la nécessité et de l’importance cruciale d’un psychologue dans le processus de croissance-maturation des enfants. Sur ce plan, nous pouvons affirmer que le Bénin est très en retard. Car sous d’autres cieux, ces préoccupations sont naturellement prises en compte. Avec toute la compétence, la qualité et la volonté du monde, les enseignants ne peuvent produire de bons résultats lorsque les apprenants ne sont pas dans des conditions psychologiques propices à l’apprentissage. Il se fait que la manifestation de comportements difficiles fait partie du processus de développement. Mais l’incompréhension et l’ignorance n’entraînent que des complications dans ces périodes de perturbations sans oublier la complexification naturelle que peuvent connaître certains apprenants.
Que faire face aux troubles du comportement chez l’enfant ?
Les troubles du comportement peuvent être, au-delà d’un problème relationnel, considérés comme révélateurs d’un dysfonctionnement au-delà de la personne du sujet en situation. Ils peuvent donc être le résultat d’un dysfonctionnement systémique intégrant des problèmes familiaux ou la nature de la relation enseignant-apprenant notamment une mauvaise projection relationnelle et psychologique de l’enseignant. À ce titre, parents et enseignants devraient faire beaucoup plus attention aux enfants dans leurs diverses interrelations. Mais sur un autre plan, comment demander à un adulte déjà perturbé de pouvoir traiter sans répercussions négatives convenablement les relations qu’il est amené à établir avec les enfants ? Il y a non seulement lieu de former les enseignants reconnaître les signes avant-coureurs, mais aussi de les prendre eux-mêmes en charge psychologiquement en cas de nécessité.
Dans certains cas, les troubles du comportement constituent une conséquence de la conjonction de comportements d’apprenants en réponse aux différentes perturbations liées à l’environnement de l’école.
Là, la formation et le recyclage des enseignants à la connaissance des diverses caractéristiques psychologiques des enfants s’avèrent très importants. Puisque, face à une situation de troubles du comportement, il convient de faire la part de ce qui est de l’ordre du développemental et/ou de l’adaptatif de ce qui est pathologique. Les critères de distinction doivent être connus des enseignants.
Toutefois, les interventions devraient être opérées par les professionnels. Et il ne faudrait pas que les parents attendent les complications avant une recherche de solution. En effet, les troubles n’existent pas quand l’agitation, l’agressivité, la colère ou le mutisme de l’enfant sont des comportements isolés, transitoires ou en réaction à un événement donné puisque ces difficultés de comportement peuvent aussi faire partie de la phase normale de maturation de l’enfant?
Alain ALLABI