Le mariage des enfants brise les espoirs des filles et de leurs communautés. Yvette Dayé Lalèyè, coordonnatrice du Projet ‘’Institut des filles de Marie-Auxiliatrice (Ifma)’’, projet de l’Unicef piloté par les sœurs Salésiennes de Don Bosco, en garde un goût très amer. Pour elle, la lutte contre le phénomène suppose nécessairement l’implication de tous les acteurs de la chaîne de protection des enfants.
La Nation : Qu’est-ce qui explique l’intérêt de l’Institut des filles de Marie-Auxiliatrice (Ifma) pour la lutte contre le mariage des enfants au Bénin?
Yvette Dahé Lalèyè : Il est vrai que nous intervenons dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux enfants depuis des années. Mais depuis l’année dernière, nous avons commencé à mettre un accent sur la lutte contre les violences faites aux filles en particulier les violences sexuelles et les mariages des enfants.
Notre zone d’intervention, ce sont les marchés et les quartiers périurbains, tels que Dji-djè, Hindé, Ladji… Ces quartiers sont généralement dominés par le peuple Toffin (lacustre). Nous remarquons que beaucoup de filles quittent les villages pour venir vendre au marché Dantokpa de Cotonou et dans d’autres marchés de la ville. Parce qu’elles n’avaient pas d’endroits où passer la nuit, les Sœurs salésiennes de Don Bosco ont ouvert des dortoirs à la Maison de l’espérance de Hindé, dans le souci de combler ce manque. Ce foyer leur assurait également des formations qualifiantes, à coût très réduit. Il arrive que les filles retournent dans leurs familles de façon saisonnière. Mais il se trouve qu’avant leur retour au foyer, un bon nombre d’entre elles disparaît, lorsqu’elles sont victimes de mariages, soit de leur propre gré ou soit les parents les y ont contraintes. Dans d’autres cas, c’est l’Unicef ou la Brigade de protection des mineurs qui nous informe de ces situations. Il y a beaucoup de cas qui nous interpellent énormément. Or, les parents ont tendance à banaliser les conséquences psychologiques, morales et sanitaires de ce phénomène sur leurs filles.
C’est fort de ces paramètres que nous avons décidé de mettre un accent particulier sur le phénomène du mariage précoce et forcé afin d’offrir dans le même temps la possibilité aux victimes de se faire prendre en charge.
A partir du partenariat avec l’Unicef ou d’autres partenaires, nous ne cessons de mettre l’accent sur la sensibilisation.
Pour réussir le challenge, nous avons ouvert quatre points d’écoute en collaboration avec l’Unicef. On les retrouve dans les Centres de promotion sociale (CPS) de Sô-Ava et de Ste Cécile à Cotonou, au foyer Laura Vicunia chez les Sœurs salésiennes de Don Bosco à Cotonou, et à la Maison de l’espérance à Hindé. Nous avons pris cette initiative afin de permettre aux filles victimes de violences et d’abus de se faire écouter et de bénéficier d’une prise en charge psycho-sociale. Les victimes sont accueillies par une équipe composée de juristes, de psychologues et d’assistants sociaux. Nous les accompagnons également dans la poursuite des procédures contre les auteurs, car elles sont aussi libres de tenter des actions dans ce sens. Elles reçoivent des conseils sur les volets juridique et judiciaire en collaboration avec l’Association des femmes avocates du Bénin (Afab).
Pensez-vous qu’avec les efforts de l’Ifma couplés avec ceux des autres acteurs de la chaîne de protection des enfants, on arrivera à bout du phénomène ?
Je crois qu’il y a une possibilité de réduire considérablement le phénomène. Nous ne sommes pas partout et il y a toujours des récidivistes. Pour y arriver, j’estime qu’il doit avoir une synergie des actions. Les acteurs doivent fédérer leurs énergies pour gagner le pari. Notre volonté seule reste insuffisante à la lutte. Si dans notre pays, la mise en application des lois n’est pas encore effective, le problème va demeurer. Lorsque je prends le cas de Sô-Ava par exemple, les populations de certaines zones font bloc derrière les auteurs de violences. Elles sortent parfois avec des gourdins et coupe-coupe et brandissent des menaces contre les plaignants et autres agents de protection des enfants. Je suis souvent choquée qu’un chef de village serve d’intermédiaire pour le mariage précoce ou forcé d’une fille ou qu’un chef d’arrondissement couvre ses populations sous prétexte qu’elles sont ses électeurs. Si certains acteurs se mettent dans le coup, où se trouve l’intérêt de notre lutte ? Il faudra que les gens arrêtent d’être solidaires dans le mal. Aussi, plaidons-nous pour une tolérance zéro à tous les niveaux. Que les officiers de police judiciaire cessent de se faire corrompre ou de prendre parti. Que les juges appliquent correctement les lois et que les élus locaux jouent convenablement leurs rôles. Autrement, notre engagement restera une lettre morte.
Allons-nous peut-être envisager la création d’une école des parents pour les rééduquer et les mettre devant leur responsabilité ? L’éducation familiale n’a plus sa place au sein de notre société aujourd’hui. La base est ratée, les foyers sont mal composés et les enfants sont mal éduqués.
Avez-vous satisfaction des cas que vous prenez en charge ?
Tantôt nous avons satisfaction, tantôt nous n’en avons pas. Tout le monde ne joue pas encore correctement son rôle. Comment comprendre qu’au niveau des commissariats ou des brigades, les affaires relevant du mariage d’enfants soient étouffées, ou que des acteurs banalisent l’affaire ? Tant qu’il en sera ainsi, les auteurs ne verront pas la gravité de leurs actes. J’ai l’impression qu’il n’y a plus de filles à marier en dehors des mineures dans le pays. La fille qui a besoin qu’on s’occupe d’elle, comment peut-on lui demander de s’occuper d’un enfant et d’un adulte qui se fait passer pour son mari ? Et de surcroît, la maltraite, abuse d’elle et ne s’en occupe pas !
Quel avenir pour notre nation si les filles ne peuvent pas avoir une bonne formation et devenir des responsables dignes ?
Comment l’institut compte relever le défi ? L’adolescence n’est pas toujours facile et tous les enfants ne la gèrent pas de la même manière. Les parents doivent surtout apprendre à canaliser leurs enfants pendant cette période. Il est temps pour eux de changer de mentalité et qu’ils fassent passer l’intérêt supérieur des enfants au-dessus de tout. Il est inadmissible de donner une fille en mariage sans son consentement. Quelle vie de couple épanouie peut-elle mener dans ces conditions ? Quelle éducation peut-elle assurer à ses enfants si elle-même n’est pas heureuse ?
Nous espérons qu’avec l’installation des comités de veille dans les villages et hameaux de Sô-Ava et de Ladji à Cotonou, les résultats seront encourageants. Nous allons poursuivre les plaidoyers l’année prochaine et joindre nos forces à celles d’autres partenaires en vue d’une riposte efficace contre le fléau.
Maryse ASSOGBADJO