Le déguerpissement forcé a démarré dans la matinée du mercredi 4 janvier sur la route Houéyiho-Fidjrossè. Plusieurs bulldozers ont transformé en ruines en l’espace de quelques heures les boutiques, ateliers et autres magasins situés aux abords de la route qui longe les rails dans le quartier Fidjrossè. Les cris de détresse régulièrement lancés par la foule n’y ont rien fait. Récit d’une journée mouvementée.
Dénis Kindjiho a été réveillé brutalement très tôt ce mercredi 4 janvier par sa femme qui l’informe que des équipes du ministère du Cadre de vie, de la préfecture et de la mairie sont déjà sur le terrain en train de casser son atelier de menuiserie où il a entreposé beaucoup de ses meubles et matériels. Il saute de son lit et sans avoir le temps de faire la toilette matinale, il se porte en urgence sur le terrain dans l’espoir de récupérer quelques objets. C’était trop tard. A son arrivée, une partie de son lieu de travail était déjà transformée en champ de ruine. Il regarde de très loin le bulldozer achever sa besogne sans pouvoir l’approcher. « Je n’ai pas pu retirer quelque chose sauf une seule table laissée au dehors que le préfet m’a permis de prendre. Je n’ai pas enlevé mes objets parce que je ne savais pas qu’ils allaient vraiment casser les boutiques », se lamente-t-il.
L’endroit où les engins lourds étaient en train de travailler, était bien encerclé par des dizaines de policiers, gendarmes, sapeurs pompiers et autres agents de sécurité. Cette horde de forces de l’ordre est dirigée par le préfet Modeste Toboula du Littoral. Ils ont bloqué la voie pour éviter que les curieux ne s’approchent de très près des engins en manœuvre. Plusieurs centaines de curieux sont massés le long de la route où se déroule l’opération de destruction. Quelques minutes après le passage des machines, des dizaines de curieux ont déjà investi les lieux. Hommes, femmes et enfants retournent les gravats, à la recherche de quelques objets qui pourraient être encore utiles. « Je ramasse les fers dans les décombres que je vais revendre plus tard, je n’ai pas de boutique ici mais comme ils ont tout gâté, on va profiter des petits objets », affirme Grégoire Hounsa, apprenti mécanicien. Sur ces ruines, des femmes et des enfants ramassent du sable pour remblayer leurs maisons. Ils sont chassés par les forces de l’ordre qui les obligent à fuir dans tous les sens, mais ils reviennent à la charge. Ils jouent à plusieurs reprises au jeu de cache-cache avec les hommes en uniformes qui sont décidés à tenir tout le monde en respect. « Je vous en prie : n’insistez pas ! Je risque de ne pas vous plaire », lance un agent de sécurité à Gisèle Attou qui vient chercher quelques objets dans les débris de son atelier qui vient d’être rasé. « Vous avez tout détruit et vous voulez nous empêcher encore de récupérer nos petits objets, vous travaillez vraiment pour nous ou bien vous travaillez pour vous-mêmes ? », demande-t-elle avec la peur de voir l’agent bondir sur elle. Celui-ci est déjà préoccupé par une autre situation. Celle d’un tuyau de canalisation de la Soneb qui a été rompu par la machine qui broyait tout sur son passage. En quelques minutes, une partie des décombres est inondée.
Affolement et désolation
Dès que le bulldozer fonce sur une nouvelle boutique, la foule réagit et scande le nom du préfet du Littoral pour l’encourager à continuer. Des propriétaires assistent impuissants à la destruction de leurs boutiques, magasins, ateliers et autres baraques construits illégalement sur le domaine public et qui n’ont pas été enlevés après l’expiration du délai accordé par le Gouvernement. Certains sont tristes, pleurent et appellent le président de la République au secours. « Ça, c’est du gaspillage, ils détruisent tout, même des choses qui ne dérangent pas les passagers. Le conducteur de l’engin est fou, il n’est même pas sensible à nos cris de détresse, on dirait qu’il s’est drogué avant de monter au volant », lance une propriétaire de boutique avec colère. A peine finit-elle de parler que la machine fonce dans sa direction pour continuer son travail. Elle court sur plusieurs mètres et crie. « Tu as rasé ma boutique, ça ne te suffit pas, tu me cherches aussi ? Si jamais… ». Elle n’aura pas le temps de terminer sa phrase, elle soulève la tête et aperçoit une demi-douzaine de policiers qui courent vers elle, non pas pour s’occuper d’elle, mais pour aller régulariser la circulation qui semble bloquée du fait du contournement imposé aux usagers par leur dispositif.
Non loin de là, à l’ombre d’un arbre, se trouvent assises cinq femmes dont la plus jeune porte au dos un bébé. Les ménagères discutent avec peine du sujet et sont toutes angoissées par le ravage qui se fait sous leurs yeux. Chacun dessine dans sa tête l’image qui va rester de sa devanture après le passage du client particulier de la journée qui les visitera incessamment. Ceci ne saurait tarder car l’engin est déjà à quelques mètres de la porte de leur voisine. L’ambiance est désagréable à vivre. Le ronronnement assourdissant des machines, le bruit des camions chargés de transporter les gravats et qui se relaient au ramassage, les cris de détresse des populations, rendent insoutenables la scène. Pourtant, les engins foncent et travaillent comme s’ils ont une seule journée pour terminer le déguerpissement.
A l’approche de ces machines, c’est l’affolement et la panique totale. Car personne ne sait vraiment à l’avance ce qui sera détruit et ce qui sera laissé. « Oh, j’ai eu trop peur pour la porte en vitre de ma boutique car l’engin ne fait pas attention aux objets environnants, mais il est passé sans dégât, je suis contente », se réjouit Elvire Dovonon, propriétaire d’une boutique à Aïbatin dont la façade a été détruite par la machine. Cependant, elle dit être contente de ce travail entrepris par le Gouvernement dont elle apprécie le bien-fondé. « Il faut que le Gouvernement achève le travail commencé, la route est bien dégagée, et on voit maintenant plus loin, ce travail va transformer la ville de Cotonou », estime-t-elle.
Une bonne initiative mais...
Yvonne Adékambi, sa voisine immédiate, salue également l’initiative et demande que l’Etat s’occupe du problème social que cette libération des espaces publics va engendrer. « Ceux qui ont été délogés de force et qui n’ont pas où aller, il faut que le Gouvernement leur trouve une solution, pour le reste, je suis d’accord qu’on libère les espaces illégalement occupés », explique-t-elle. C’est également le sentiment de Sébastien Agbota, ancien journaliste à ‘’La Nation’’ à la retraite. Selon lui, « Tout le monde aspire avoir une ville propre « c’est une question de discipline, ils ont été prévenus, il y a eu un battage, les propriétaires les plus disciplinés ont procédé eux-mêmes à leur destruction, ce sont les autres qui ne se sont pas exécutés qu’on est en train de casser aujourd’hui ». « C’est un problème social qui se pose, où doivent se mener désormais les activités commerçantes pour les gens délogés, il faudrait qu’on revoit ça avec eux mais dans la discipline toujours, l’intérêt général doit être le plus important », ajoute-t-il.
Une femme dont la véranda est en train d’être rasée, lance dans la foule : « On n’a plus droit à la véranda maintenant ? ». « On t’a laissé la maison et tu parles encore de la véranda alors que tu occupes illégalement le domaine public », lui répond un inconnu dans la foule. Au milieu de cette foule, des voix s’élèvent pour saluer le courage du gouvernement du président Patrice Talon.
Le préfet Modeste Toboula qui dirige en personne les équipes, a été sollicité à plusieurs reprises pour décanter certaines situations. C’est le cas à Aïbatin où le bulldozer s’apprêtait à raser une maison légalement installée, et il est intervenu pour jouer son rôle. La pelle de l’engin était déjà en l’air pour commencer la destruction. La foule remplie de curieux s’est mise à crier au secours. Le préfet rentre dans la maison et demande le propriétaire. « Cette maison par son aspect ne ressemble pas à une maison légalement construite, où est le propriétaire ?», lance l’autorité. Une jeune femme se présente et dit être la fille de la propriétaire décédée, il y a six mois. Le préfet demande les papiers de la maison. Antoinette Hessou, la fille de la propriétaire explique brièvement à l’autorité comment le domaine est devenu une propriété privée. Elle n’a pas encore fini son exposé quand un des collaborateurs de Modeste Toboula vient lui chuchoter à l’oreille que la maison a un titre foncier dont le numéro est inscrit sur un panneau placardé au mur à l’entrée de la maison. Le préfet réagit. « Ah bon ! Ils ont un titre foncier ». Il approche de l’inscription et lit « Adjignon Françoise épouse Hessou Aïbatin C/1659 titre foncier n°7634 ». Aussitôt, il calme ses ardeurs et lance aux enfants de la propriétaire « Je veux voir tous les papiers de la maison avec le titre foncier à la préfecture », dit-il avec un ton d’autorité. Il ordonne au conducteur du bulldozer d’abandonner d’abord cette maison et de continuer le travail ailleurs. Ce genre de scène a été répété tout le long du trajet. Après le passage des machines, de vastes espaces se sont dégagés et changent déjà l’aspect des quartiers parcourus. Les usagers saluent déjà la force de l’Etat central?