Ouidah (Bénin) (AFP) - Chaque année en janvier, des milliers d'initiés béninois du culte vaudou, des centaines de touristes et des dizaines de descendants d'esclaves remontent la grande piste de sable qui mène à la plage de Ouidah. Une sorte de pèlerinage en mémoire des esclaves d'autrefois.
Caché dans les broussailles, un écriteau peint à la main prévient le visiteur: "la Porte du non-retour, un défi à l'histoire".
Pendant près de six siècles -quatre officiellement-, des millions d'esclaves ont emprunté cette route, qui traverse la lagune. Cinq millions, selon certains. Dix millions, affirment les autres. Personne ne sait véritablement.
Une chose est sûre, c'est que la petite ville de Ouidah, dans le sud du Bénin, était le point de rassemblement de la traite négrière de la côte sud de l'Afrique de l'Ouest.
Une procession de voitures et motos double des femmes aux visages scarifiés, vêtues de pagnes. Tous se dirigent vers la Porte du non-retour, monument érigé en 1992 face à l'océan, en mémoire du ballet incessant des bateaux qui partaient pour le Nouveau Monde.
Le vaudou, originaire du royaume de Dahomey (actuels Togo et Bénin), n'est pas précisément né à Ouidah. Mais c'est de là que ce culte de l'invisible et des esprits de la nature s'est exporté en Louisiane, au Brésil, en Haïti, pour compter aujourd'hui 50 millions de membres à travers le monde.
En 1993, au lendemain de la chute du régime communiste béninois, le président Nicéphore Soglo a institué la fête du vaudou, célébrée début janvier durant une semaine dans le pays. Depuis, la petite ville de Ouidah est devenue l'un des lieux de pèlerinage les plus célèbres, en raison de son histoire particulière liée à la traite négrière.
- 'Faire la paix avec le passé' -
"Ouidah, c'est un devoir de mémoire", explique à l'AFP Erol Josué, prêtre vaudou et directeur du bureau national d'ethnologie à Haïti. L'homme est venu de Port-au-Prince avec sept autres personnes pour "faire la paix avec le passé".
Le visage fin, les yeux soulignés de khôl, il est habillé d'une toge immaculée et porte une lourde bague de l'ethnie dogon, offerte lors d'un précédent voyage au Mali.
"C'est important de revenir sur la terre ancestrale pour s'accepter en tant que Caribéen", poursuit l'ethnologue. "Pour comprendre le comportement du peuple haïtien, il faut remonter à sa source".
Il s'interrompt pour prendre une vidéo sur son smartphone: un homme escalade à mains nues une simple tige de bambou de près de 15 mètres de haut.
La foule exulte. Un peu plus loin des hommes recouverts d'un mélange de terre ocre dansent en transe au rythme des djembés et font des offrandes aux fétiches.
- Trouver son 'Fa' intérieur -
"Le vaudou est une manière de vivre", confie Gizirbtah, jeune femme noire américaine, qui change de nom lorsqu'elle "revient" sur la terre de ses ancêtres. Employée d'une compagnie aérienne aux Etats-Unis, elle parcourt l'Afrique de l'Ouest pendant deux mois avec une douzaine d'adeptes, venus de Londres ou de Chicago.
"Chaque jour, je fais des ablutions, des purifications et des prières. Mais pratiquer le vaudou est mal vu aux Etats-Unis", dit-elle.
Elle s'est tournée vers cette croyance il y a six ans, lorsqu'elle a commencé sa "quête interne", raconte-t-elle. "Toute ma vie, l'histoire de mes ancêtres a résonné en moi".
La vaudou n'est pas à proprement parler un culte des ancêtres. Mais il est "la représentation palpable de ce que l'on ne peut pas voir", tente,d'expliquer Vincent Harisdo, chorégraphe franco-béninois-togolais qui prépare un projet artistique sur le sujet.
"Tout être humain a son 'Fa' intérieur (divinité vaudoue), son autre soi. Et nous sommes tous à la recherche de notre autre moi. On appelle ça vaudou ici, ou psychologie en Europe!", plaisante-t-il.
Gail Hardison, Américaine de 57 ans, a choisi la science plutôt que la spiritualité pour connaître ses origines. Il y a quelques années, elle a fait un test ADN qui a révélé que ses ancêtres venaient du nord-Cameroun.
Cette année, elle poursuit sa quête ancestrale au Bénin. "Je ne suis pas adepte, mais je respecte le vaudou en tant que religion. Le vaudou, ça n'est pas des poupées qu'on plante avec des clous", tranche-t-elle.
Les danses en pagne et les touristes armés d'appareils photo donnent des airs de folklore à la fête. Les discours politiques rappellent aussi que cette procession, qui a lieu le 10 janvier, est un moyen de flatter les quelque 20% de Béninois dits "animistes".
Malgré la foule, le bruit et le soleil qui cogne, Gail Hardison dit ressentir "une tristesse spirituelle ici". Elle jette un regard sur la Porte du non-retour, où s'agglutinent des centaines de visiteurs pour trouver un coin d'ombre. "J'aurais aimé que l'Histoire puisse être différente pour tous ces gens qui sont passés ici. Je peux ressentir leurs esprits en moi",,souffle-t-elle.
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