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Prof. Michel Boko, à propos de l’assainissement de la ville de Cotonou : « Si nos textes sont vraiment appliqués, on n’aurait pas besoin de déguerpir les gens »
Publié le mercredi 18 janvier 2017  |  Fraternité




Les différentes actions entreprises par le Gouvernement ces derniers mois pour la protection de l’Environnement n’échappent pas au Professeur honoraire de Géographie, Michel Boko. A travers cette interview, le Président de la Commission Développement Rural et Environnement au Conseil économique et social, apprécie l’opération de libération des espaces publics et propose des mesures pour inscrire les différentes actions dans la durabilité.
Depuis quelques semaines, l’opération de libération des espaces publics a démarré dans les grandes villes du Bénin, notamment Cotonou. Quelle est votre appréciation ?
La décision est positive, en ce sens que le bon citoyen doit apprendre à respecter la chose publique. L’occupation de l’espace public ne peut pas être source de recette pour les conseils communaux. Il y a des activités licites sur lesquelles on peut percevoir des taxes. Mais dans la mesure où l’occupation est illicite, on ne peut pas s’en prévaloir pour percevoir des taxes. C’est qu’il y a une complicité malsaine entre les conseils communaux et les occupants des lieux publics.

Cette situation n’est-elle pas une conséquence des problèmes d’aménagement du territoire que connaissent les villes du Bénin ?
Les populations étaient-elles obligées d’occuper des espaces publiques pour exercer des activités ? On ne peut pas dire que les marchés n’existent pas. Entre 1960 et 2000, il y en a eu au minimum une vingtaine de marchés qui ont été créés à Cotonou. Il n’y avait que 2 marchés populaires. Il s’agit de Gbégamey et Dantokpa. Mais entre-temps, notamment sous la révolution, il y a eu beaucoup de marchés qui ont été créés. Si les gens veulent réellement vendre dans les marchés, ils ont tout le loisir pour y aller. Le problème chez nous, c’est la périodicité des marchés. Je connais des pays où les marchés s’animent 3 fois par semaine, beaucoup plus que Dantokpa qui fait maximum deux fois par semaine. C’est une question de culture. On n’interdit pas aux gens de vendre devant leurs maisons, mais de s’installer dans la rue. On ne peut pas marcher sur les trottoirs, ni à Cotonou, ni à Calavi, ni ailleurs, parce que les gens les occupent. Les piétons sont souvent obligés de marcher sur la chaussée. Ce n’est pas logique. Cependant, comme le Béninois a l’art de dévier, il a aussi développé cette pratique.

Les espaces libérés offrent une certaine visibilité dans les villes. Que faut-il faire pour maintenir le cap ?
Maintenir le cap, c’est d’empêcher que les gens reviennent s’installer. Il faut une certaine permanence dans la gouvernance. On a interdit, il y a quelques années, la vente de l’essence d’importation frauduleuse en marge de la visite du Pape Benoit XVI au Bénin. Mais après le départ du Pape, les gens sont revenus s’installer. Ensuite, il n’y a pas si longtemps, on a exigé que tous les Béninois portent le casque en circulation. Mais lors de la présentielle de 2016, on autorise les gens à rouler sans casque. Est-ce cela la gouvernance ou la démocratie ? Il ne faudrait pas qu’une fois que Toboula ne sera plus préfet, qu’on revienne aux mauvaises habitudes. Ces faiblesses ne nous permettent pas d’aller de l’avant.

Pour une ville durable, quels types d’aménagements peut-on faire avec les espaces libérés ?
Nous avons le don d’avoir de très bons textes, mais nous avons en même temps le don de ne pas vouloir les appliquer. Si on appliquait rien que l’arrêté ministériel sur l’occupation des domaines non aedificandi (non habitables) dans tout le Bénin, vous verrez que la gestion de l’espace aurait connu déjà autres orientations. Aussi, il est important de souligner qu’il n’y a pas de villes sans espaces verts, à part chez nous. Je me souviens qu’au cours des travaux d’aménagement d’une ville d’à côté, le maire dit « Qu’est-ce que vous appelez encore espace vert ? Partagez-ça entre les membres du conseil ». Cela a été partagé. Pourtant, l’urbaniste a prévu des espaces verts. Dans la période, l’autorité supérieure ne s’y est pas opposée. Et on nous fait des villes sans espaces verts. Comment voulez-vous qu’on évolue dans de pareilles circonstances. Une fois que les hommes ont fait les textes, il faut qu’ils se donnent la conscience de les appliquer. Si nos textes sont vraiment appliqués, on n’aurait pas besoin de déguerpir les gens. Ce sont les maires qui sont responsables de la gestion de l’environnement dans leur commune. A partir du moment où on peut ne pas savoir lire et écrire et être maire, il y a d’office les conséquences. Il faut remonter un peu plus loin. Pour qu’un maire soit élu, il faut qu’il ait les compétences en matière de gestion, non seulement des ressources financières mais aussi de l’espace. La commune est un espace à aménager et à faire produire. Si les gens n’ont pas ces compétences, ils seront toujours de mauvais maires.

Au-delà des grandes artères, le Gouvernement s’est intéressé également à la propreté des plages. Selon vous, la biodiversité qui se retrouve dans le domaine maritime est-elle vraiment menacée ?
Bien sûr ! Les écosystèmes de la plage sont plus que menacés. Il y a ce qu’on appelle les 100 pas du roi dans le code de l’eau. Il faut 100 mètres après la ligne des plus hautes eaux, et non après les basses eaux, avant de pouvoir s’installer. Ces dispositions existent.

Est-ce qu’avec l’érosion côtière, les 100 pas du roi doivent toujours compter ?
Les 100 pas du roi doivent nécessairement compter. Si les gens avaient respecté les 100 pas du roi, ils ne seraient pas atteints. On n’aurait pas des maisons qui sont emportées par rangée. Il faut qu’on ait une conception de la dynamique de la ligne côtière et faire des projections. On a reçu des étudiants de la marine française qui sont venus faire des stages chez nous sur l’érosion côtière. Ces documents existent. On les a distribués. Est-ce que les gens en tiennent compte ? Il y a le Professeur Oyédé et son équipe qui faisait régulièrement le point sur la dynamique de la ligne côtière. Ces travaux existent. On n’a pas besoin d’aller à Abuja ou ailleurs pour aller chercher les experts. Il y a au Bénin des experts qu’on peut consulter sauf si, on veut faire autrement. La vitesse d’évolution de la ligne côtière a été mesurée. On a qu’à s’adresser aux laboratoires compétents. On a pas payé des bourses aux gens ni des salaires pour ne pas en profiter. Si vous êtes informés que dans cinq ans votre magasin sera emporté par la mer, pourquoi iriez-vous construire là ?

Qu’en est-il de la salubrité au niveau des plages du Bénin ?
C’est une question d’hygiène et de santé. Nos plages sont sales parce qu’en amont, aucune disposition n’est prise en matière de police sanitaire. Aucune disposition n’est prise pour bloquer ou interdire l’importation des sachets plastiques. Je vous donne un exemple simple. Le Congo Brazzaville a une usine qui produit des sachets plastiques. Quand ils ont décidé d’interdire l’utilisation des sachets plastiques, cela a été interdit. Nous, on n’en fabrique pas mais on accepte de les importer. Les sachets qui flottent à la plage ne sont pas fabriqués chez nous. On nous dira que nous sommes une région communautaire. Mais le Congo aussi est dans la communauté d’Afrique centrale. Il fabrique et il interdit. Il y a des pays de l’Afrique de l’ouest qui ont déjà interdit. Pourquoi on ne le fait pas chez nous ? Il faut interdire les sachets plastiques sinon, nos plages ne seront jamais propres.

L’insalubrité est plus perçue au niveau des berges et du chenal de Cotonou. Quelles sont les conséquences auxquelles les populations sont exposées avec cette situation ?
Cette situation est due au fait qu’il n’y a pas de dépotoirs à ordures à ces endroits. Les barques du marché Dantokpa sont remplies mais personne ne les enlève. Où est-ce que vous voulez que les bonnes dames déposent leurs ordures ? Deuxième chose, ce n’est pas parce qu’on va nettoyer les berges que le chenal deviendra plus propre. Le chenal a été créé en 1882 ou 1884 à cause de l’inondation de Cotonou. Il est nécessaire de maintenir cette ouverture permanente pour que les eaux du fleuve Ouémé, de l’Okpara, du Zou et du bassin versant du lac ne viennent pas inonder la ville. Cotonou n’est pas un site propice à l’installation d’une ville.

Que se passera-t-il si le chenal est bouché ?
Si le chenal est bouché, il y aura davantage d’inondation puisque l’eau doit continuer par la lagune de Porto-Novo jusqu’à la lagune de Badagri. Il n’y a rien à faire, la ville sera de plus en plus inondée. Les gens seront obligés de partir de Cotonou et la question ne se poserait plus. Il faut libérer les berges des installations fixes mais aussi dégager les montagnes d’ordures qui longent le chenal. Toutes les pourritures que contiennent ces ordures sont consommées par les populations. Que ce soient les métaux lourds, les résidus de peinture, le plomb ou le cadmium, vous les consommez quand vous prenez du poisson venant du lac ou du chenal. Les poissons sont des bio-accumulateurs. Et ce n’est pas bon pour la santé. Aussi, tout ce qui vient du champ cotonnier du nord se retrouve dans ce lac et dans la chaire des poissons. Si on veut que le lac reste dans un état de propreté optimale, il faut aussi interdire l’utilisation des pesticides et des engrais dans les champs de coton. Il faut d’abord penser à un autre moyen de produire pour que les enfants puissent vivre en bonne santé.

Un mot pour conclure cet entretien
Première des choses, il faut que nos lois actuelles soient d’abord appliquées et qu’il y ait des instruments de suivi et de contrôle. Deuxièmement, il faut que nos méthodes de productions agricoles et pastorales soient revues et orientées vers la durabilité y compris nos productions industrielles. A ce jour, notre développement agricole n’est pas écologiquement durable. Il ne règle que des problèmes de contingence. On ne sait plus s’il y aura suffisamment d’individus pour en vivre soit, ils seront tous morts, soit les terres seront complètement dégradées par les engrais et pesticides. Il n’y a plus de durabilité ni de production.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU & Audrey GBAGUIDI (Stag)
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