Les membres de la convention patriotique des forces de gauche (Cpfg) ont animé ce mercredi 18 janvier 2017, un point de presse au siège du Parti communiste du Bénin (Pcb). A l’occasion, ils ont passé en revue le Plan d’actions du gouvernement (Pag) de Patrice Talon, lancé le 16 décembre dernier. Ils y ont relevé les effets positifs, de même que ceux négatifs et fait des recommandations. (Lire ci-dessous l’intégralité de la présentation du point de presse).
ANALYSE CRITIQUE DU PROGRAMME D’ACTIONS DU GOUVERNEMENT TALON
POINT DE PRESSE DE PRESENTATION
Cotonou, le 18 janvier 2017
Introduction
Le vendredi 16 décembre 2016, a été lancé le Programme d’Actions du Gouvernement, PAG, « Bénin Révélé »
Les commentateurs à la suite du pouvoir lui-même insistent sur le caractère ambitieux du programme : 9036 milliards d’investissements pour 299 projets dont 45 projets phares d’un montant de 7086 milliards à exécuter sous la supervision directe du Président de la République. Le financement est à rechercher prioritairement auprès du secteur privé à hauteur de 71% pour les projets phares et 61% pour l’ensemble.
L’objectif visé est « la transformation économique et sociale du Bénin » avec les résultats globaux attendus ci-après :
Le taux d’investissement passerait de 18,8 % du PIB en 2016 à 34% en moyenne sur 5 ans, une croissance du PIB en moyenne de 6,5 % sur la période et la création d’au moins 500.000 emplois directs et induits.
Nous tenons à dire ceci : Tout programme exécuté de façon programmée ou non par un gouvernement laisse des traces. Le PAG du Président Talon, exécuté laissera aussi des traces. Mais, le problème posé est de savoir si le programme répond aux exigences et aux aspirations du peuple et du pays et est à la hauteur des défis de progrès du moment ? C’est sous cet angle qu’il convient d’apprécier et d’analyser tout projet de programme et particulièrement le PAG du gouvernement de Talon.
Pour ce faire, il convient de passer en revue
1- Les choix opérés pour le PAG du Président Talon ;
2- Les effets du PAG : effets positifs et progressifs ; effets négatifs et régressifs ; pour déboucher sur une conclusion générale.
I- Les choix fondamentaux pour le PAG
1-1. Un Programme d’actions sans un Plan
Le PAG, « Bénin révélé » se veut « un programme global de développement du Bénin »(Document Synthèse page 3). Un programme global de développement peut-il se réduire en un Programme d’actions du Gouvernement ou ne faut-il pas plutôt un plan de développement économique et social ?
Le rejet des plans de développement a été imposé à partir de 1990 aux pays sous-développés avec les programmes d’ajustement structurels (PAS). Et pendant que des pays autour de nous reviennent à des plans de développement économique et social avant leur opérationnalisation dans des programmes d’actions, le PAG reste dans le schéma des PAS et comme les PAS les résultats ne seront ni profonds, ni durables.
1-2.Le diagnostic de la situation dans le cadre du pacte colonial
L’objectif visé est la transformation économique et sociale du Bénin. Cet objectif implique un diagnostic qui montre les obstacles à lever pour aboutir à la transformation visée.
Or, le diagnostic fait par le PAG « Bénin révélé » ne nous révèle rien des causes « des lents progrès, ainsi que des faiblesses notoires en matière d’efficacité, de transparence et de redevabilité ». Le diagnostic fait par le Gouvernement Talon occulte les caractéristiques essentielles économiques et sociales du Bénin dont les principales sont :
a- Une économie arriérée avec la faiblesse notoire du secteur industriel.
c- Une population active majoritairement analphabète : 57 % des adultes béninois de plus de 15 ans (donc la grande majorité des producteurs) ne savent ni lire ni écrire. On compte 82,5%d’analphabètes parmi les producteurs dans l’Alibori, 74% dans l’Atacora, 67 % dans le Borgou, 60% dans le Couffo. Même à Cotonou, plus d’un adulte sur quatre (26%) est analphabète.
d- Le caractère multiethnique du pays et l’inadéquation des programmes scolaires, des structures administratives, judiciaires avec le vécu des populations.
e- Un système monétaire et financier dépendant de l’étranger et notamment de l’ancien colonisateur ;
f- Le règne du système d’impunité des actes de corruption et de mauvaise gouvernance.
En occultant les éléments susmentionnés, le diagnostic du PAG « Bénin révélé » reste dans le cadre des diagnostics étrangers à la réalité du pays et propres au maintien du système de pacte colonial.
1-3. La voie de tout privé et de l’Etat minimum
Les choix à la base du PAG sont ceux du tout privé et de l’Etat minimum.
Or « L’Etat sauvage » peu soucieux de la vie des hommes …et dans une situation de dépendance politique, économique et monétaire à l’égard de l’étranger, est porteur de beaucoup de vicissitudes et d’aléas sociaux incompatibles avec l’époque actuelle… et a peu de chance d’aboutir.»
Les réformes vont dans le sens de garantir le profit maximum aux investisseurs. Vu l’apport des investisseurs étrangers et du clan d’affaires autour du Président, cela aboutira certainement et davantage à une saignée du peuple et du pays.
.1-4. Un processus bureaucratique d’élaboration et de mobilisation autour du Programme.
Le processus d’élaboration n’est donc pas participatif. Avec le choix délibéré et prioritaire des experts des cabinets privés étrangers (Deloitte, Attias et consorts), la mobilisation générale de tous que l’on reconnaît par ailleurs « fondamentale autour du PAG » n’est pas assurée.
Le mécanisme de mise en œuvre et de contrôle est concentré aux mains du Chef de l’Etat. Les projets phares concentrent 78 % (7086 sur 9036 milliards) des investissements prévus, et sont exécutés sous la supervision directe du Chef de l’Etat..A quoi serviront alors les Comités sectoriels de suivi (CSS) dans les ministères ? Quelle marge est laissée au ministre dans l’évaluation des projets exécutés sous la supervision du Chef de l’Etat ? La concentration transforme dans les faits les ministres en garçons de course et contraint les entrepreneurs investisseurs et adjudicataires dans ces projets à devenir des courtisans et obligés/associés d’affaires du Chef de l’Etat.
1-5. Le maintien du système d’impunité et de gouvernance opaque
Le gouvernement du « Bénin révélé » a déjà rompu avec la Rupture et répète qu’il « a décidé de ne pas regarder dans le rétroviseur » (Cf « La Nation », n° 6638 du lundi 19 décembre 2016, page 5). Adieu donc le jugement des auteurs des scandales Maria-gléta, PPEA2, machines agricoles, Cen-sad, Icc-services, pillage des réserves administratives, etc… Il se fait que ces auteurs sont logés bien au chaud et en sécurité au sein du gouvernement et sous les ailes de membres de la cour autour du Président. Quelle confiance donne-t-on alors au peuple que les milliards annoncés dans le PAG ne seront pas gérés de la même manière, pillés impunément et avec des dettes énormes à rembourser par le peuple ?
II- Les effets attendus du PAG du Gouvernement Talon
Comme souligné dès notre introduction, l’exécution du PAG du gouvernement Talon laissera aussi des traces de par les infrastructures réalisées. Examinons les effets positifs et les effets négatifs.
2-1. Les effets positifs.
– Le premier élément positif du PAG est son existence même. Le peuple sait ce que veut faire le gouvernement de Talon. Il peut en juger dès à présent et, en souverain en dernier ressort, peut sanctionner.
– Les infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, de télécommunications, si réalisées, accroîtront les possibilités de transports et mobilité physique, de communication électronique ainsi que les facilités en matière de tourisme.
– Le développement de certaines filières agricoles (ananas, anacarde) pourrait ainsi renforcer la diversification de la gamme des produits primaires d’exportation ; l’aquaculture continentale, la filière lait, viande et œufs de table, pourraient réduire relativement certaines importations.
– Les projets dans le domaine de l’éducation réduiront les déficits en matière d’offre éducative formelle, scolaire et universitaire.
– De même, la construction de logements sociaux et économiques offriraient des possibilités à certaines couches sociales.
– La réalisation de ces infrastructures et projets agricoles aura certainement des effets positifs sur la croissance et l’emploi. Mais les niveaux annoncés par le pouvoir sont arbitraires, surévalués pour la propagande car il n’existe pas pour le pays des modèles fiables de prévision à moyen terme. Il est peu probable « que l’ensemble des interventions permette la création d’au moins 500.000 emplois directs et induits sur la période ». Sous le pouvoir de Boni Yayi, le Bénin a connu une croissance moyenne annuelle de près de 4,5% sur les dix ans et pourtant l’emploi s’est dégradé. Quel modèle économique approprié du Bénin permet de prédire de façon fiable que les 6,5 % prévus donc les 2 % de croissance supplémentaire permettraient d’obtenir plus de 100.000 emplois par an ?
La population active connaîtra une augmentation de plus de 1,3 millions dont 775.000 jeunes de 15 à 34 ans entre 2016 et 2021. (Insae, projections démographiques). Ensuite il y a le sous-emploi massif et la précarité, caractéristiques de l’emploi aujourd’hui au Bénin. En effet, le taux de sous-emploi invisible (gagnant moins de 25.000 frs par mois) est de 63,2%. C’est dire que les emplois directs et induits du PAG, qui seront nécessairement en deçà des chiffres de propagande gouvernementale, ne réduiront pas l’acuité du problème de l’emploi des jeunes.
2-2. Les insuffisances et effets négatifs
Nous avons déjà examiné les insuffisances et limites du PAG induites par le diagnostic et l’option économique du tout privé et dans le maintien du système d’impunité et de la FrançAfrique,
a- Le contenu néocolonial du programme
– Absence notoire de volonté et de projets d’industrialisation du pays. Le PAG n’a aucun projet propre dans l’industrie, donc aucune ambition pour l’industrialisation du pays. On demeure dans le cadre du pacte colonial, exportateur de matières premières et marché de consommation de produits importés avec le Bénin considéré comme pays à « vocation agricole et de transit ». Le PAG ajoute le tourisme qui n’est la primauté spécifique d’aucun pays en particulier avec « la culture vaudou » servie en folklore aux touristes étrangers.
– Maintien de l’analphabétisme de la population. Alors comment peut-on faire éclore des talents et « améliorer des productivités » dans l’agriculture et l’artisanat sans enrayer l’analphabétisme endémique dans ces secteurs ? – Dans le même sens, le secteur de l’éducation, les programmes d’instruction inadaptés NPE, LMD sont maintenus. Le projet phare dans ce secteur est la réalisation d’une Cité internationale de l’innovation et du savoir (CIIS) dont le but est d’offrir un cadre aux besoins de compétences des marchés africains.
b- Les limites dans l’exécution
– L’option de financement prioritaire par le secteur privé, et donc de la rentabilité financière, ne garantit pas la mobilisation des ressources. Ce n’est que maintenant que commenceront les négociations véritables et au vu de la rentabilité des projets et des investissements financiers.
– Cette entraine la préférence des opérateurs étrangers au détriment des opérateurs nationaux ; Ex l’élaboration des projets phares : Cabinet Deloitte ; le lancement du PAG, Attias, recensement des fonctionnaires, cabinet Safran
– Beaucoup de projets, même phares sont encore à la phase d’études. C’est maintenant que sont par exemple lancés les appels à manifestation pour les études techniques, économiques, environnementales de beaucoup de projets d’infrastructures, – contournement de Cotonou, autoroute Sèmè-Porto-Novo, etc… (cf »la Nation » du 13 janvier 2016).
– Enfin et non le moindre, le PAG risque de ne pas bénéficier de l’adhésion populaire au vu du déploiement de l’arbitraire et de l’autoritarisme sur la masse du peuple avec la répression des libertés, l’écrasement des petits producteurs pendant la mal gouvernance et l’impunité sont maintenus.. Le PAG avec ses limites et dans ces conditions risque de ne pas restaurer ni booster l’enthousiasme du peuple au travail.
c- Les sacrifices inutiles du peuple
– Augmentation de la pression fiscale sur les populations suite à l’alourdissement de l’encours de la dette qui passe de 41,6 % à 61,3%du PIB au cours de la période. (Déjà les taxes sur les véhicules, l’augmentation des frais et charges scolaires et universitaires, la multiplication des péages sur les voies, l’augmentation des taxes même sur le foncier non bâti à la campagne sont indicatives de la charge fiscale plus lourde sur le peuple.)
– Baisse des revenus des salariés et des paysans. Le PAG prévoit une baisse de la masse salariale de 6,9% en 2016 à 4,8 % du PIB en 2021.La croissance projetée ne sera pas pro-pauvre et il est peu probable que l’on assiste à une réduction significative de la misère et de la pauvreté.
– L’augmentation de la cherté de la vie : Le choix du tout privé jusqu’au niveau de la santé publique (l’affermage des hôpitaux de zone), accroîtra le prix des prestations dans le domaine de l’accès à l’électricité, et aux services essentiels (santé, éducation) de la vie.
– Les inégalités spatiales ne seront pas réduites. L’option du tout privé met au premier plan la rentabilité financière qui n’est pas garantie justement dans les régions déshéritées. L’axe 7, le développement équilibré ne sera pas atteint.
Conclusion générale
De l’analyse du PAG nous pouvons tirer les éléments essentiels suivants.
1- Le PAG est un avatar du programme du pacte colonial :
-a- Le PAG fait totalement l’impasse sur l’industrialisation du pays, sur la nécessité de la transformation sur place de nos produits ;
b- De ce premier élément découle un second : l’impasse faite sur la formation des producteurs pour assurer le développement de ce pays. Le capital humain dont parle le pouvoir de Talon en termes de « compétences », c’est le corps minoritaire de « cadres » techniques chargés d’encadrer et de régenter la foule d’analphabètes.
c- La question grave et existentielle de la monnaie. L’on comprend qu’il n’en parle point ; mais l’impossibilité de se développer en demeurant dans le système CFA sous la tutelle du Trésor et de la France fait désormais notoriété. Les exemples en cours en Côte –d’Ivoire et au Sénégal dans le cadre du Franc CFA se heurtent à ce mur et ne pourront prospérer que quand il sera brisé. En ce qui concerne le cas du Bénin, avec l’imbrication de l’économie béninoise à celle du grand voisin, le Bénin va vers un « collapsus » économique si la question d’une harmonisation monétaire n’est pas résolue avec le Nigeria.
2- Le PAG est élaborée dans le cadre du système d’impunité : En tournant le dos à l’exigence de sanctionner les crimes et scandales du passé, le pouvoir du « Bénin Révélé » s’inscrit d’office dans la droite ligne de la gestion du régime passé ; ce qui plombe d’avance tout le programme.
3- La gouvernance en œuvre par Talon est de caractère autocratique:
La concentration de tout aux mains d’un clan au pouvoir (gestion maffieuse avec des marchés de gré à gré à foison) avec la déresponsabilisation des ministres plombe la réalisation de tout le programme.
b- la gestion non participative. En effet un pays se développe ; on ne développe pas un pays ; cela dit il n’ya pas de développement non assumé par un peuple ; il n’ya pas de développement s’il n’ya pas d’adhésion populaire. L’exclusion du peuple de son droit à participer au développement (liquidation des entreprises, mise au chômage, écrasement des petits « petits producteurs »)est le dernier, mais non le moins important des obstacles dressés par le PAG sur la voie véritable du développement du pays.
Alors quelle alternative ?
Le développement d’un pays comme le nôtre, consiste à faire passer ce pays du niveau actuel d’Etat arriéré, à économie de traite basée essentiellement sur une agriculture archaïque avec la prégnance de la monoculture cotonnière et la manne portuaire, à une économie industrielle et développée et ce en un laps de temps optimum donné. A cet effet nous reprenons les développements faits par la sous-commission des finances et présentés en un point de presse fait par Laurent Mètongnon le 6 décembre 2016.
« Pour un développement rapide et harmonieux du pays, l’option la plus appropriée est celle qui s’appuie sur la satisfaction des besoins sans cesse croissants (besoins individuels et collectifs) des hommes. Cette option comporte des exigences en termes de principe : la priorité au capital humain; cela veut dire que le facteur premier de développement étant le facteur humain, l’accent doit être mis prioritairement sur sa formation afin de le rendre capable d’innover, de produire. L’analphabétisme doit être enrayé ».Il peut l’être en moins de cinq (5) ans par l’instruction des adultes dans leurs langues maternelles. On aura effectivement posé, avec une population plus instruite, les bases pour l’accroissement des productivités, pour plus de capacités d’innovation, plus d’hygiène et de performances dans le domaine de la santé publique, etc.
Ensuite, on ne peut être viable qu’en étant de son temps. On doit s’accrocher à la locomotive de tête (ne serait-ce qu’au dernier wagon) en matière de la force de production. L’accrochage à une politique d’accélération numérique et l’informatisation générale de tous les secteurs du pays constituent les leviers fondamentaux d’une politique pour le développement rapide. Une industrie peut et doit être bâtie dans le secteur. La dotation de tous les villages, établissements scolaires, universitaires, sanitaires et administrations créent suffisamment de demande pour une industrie dans le domaine. En tout cas l’industrie doit être un secteur stratégique si l’on veut sortir de l’arriération et résorber le chômage. A ce niveau, le rôle de l’Etat, le rôle du capitalisme d’Etat a toujours constitué la voie idoine la plus rapide de développement. On doit étudier les mesures de financement interne avec la création de banques de développement et de crédit agricole.
La gestion du bien public doit être assainie avec l’instauration du contrôle citoyen, l’élection et la révocabilité par les travailleurs et les usagers des dirigeants des administrations et entreprises publiques, permettant du coup le rejet de l’impunité ainsi que la transparence indispensable à la mobilisation des producteurs et au rétablissement et renforcement de l’enthousiasme au travail.
Les choix faits par le gouvernement de Talon pour le PAG, s’ils peuvent accroître les infrastructures, ne permettront pas une relance durable de l’économie, ni n’opéreront une transformation économique et sociale favorable à l’émancipation et au développement du pays. Au problème posé, celui de savoir si le PAG répond aux exigences et aux aspirations du peuple et du pays ainsi qu’à la hauteur des défis de progrès, la réponse est négative. Par le PAG, le gouvernement de Talon exploitera le pays, son potentiel et ses travailleurs, à son profit et au profit des financiers étrangers, tout comme le colonisateur l’avait fait. Notre pays, le Bénin, sera exploité mais ne sera pas développé.
Cotonou, le 18 janvier 2017
Jean Kokou ZOUNON