Dans une décision en date du 12 janvier 2017, la Cour constitutionnelle, saisie d’une requête a confirmé et dénoncé des cas de « discrimination » qui s’opèrent à la grande chancellerie du Bénin. « Plusieurs décrets ont été pris pour élever dans l’Ordre national du Bénin des députés, des membres de la Cour constitutionnelle, du Conseil économique et social, de la haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, mais aucun décret n’a été encore pris en ce qui concerne les maires. Il s’agit là, manifestement, d’un traitement inégal qui porte atteinte à l’article 26 de la Constitution et je prie votre auguste juridiction de …sanctionner le fait », a fustigé entre autres, le requérant Justin SEGNON dans son adresse à la haute juridiction. Lire ci-après l’intégralité de la décision.
DECISION DCC 17-011 DU 12 JANVIER 2017
Date : 12 Janvier 2017
Requérant : Justin SEGNON
Contrôle de conformité
Loi ordinaire
Atteintes aux biens
Conflit de travail : (Discrimination dans l’application de la loi n°2002-17 du 07 février 2007 modifiant et complétant l’article 2 de la loi n°94-029 du 03 juin 1996 portant réorganisation de l’Ordre national du Bénin)
Loi fondamentale : (Application de l’article 26 de la Constitution)
Il y a discrimination
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 24 juin 2016 enregistrée à son secrétariat le 09 août 2016 sous le numéro 1355/103/REC, par laquelle Monsieur Justin SEGNON forme un recours pour discrimination dans l’application de la loi n°2002-17 du 07 février 2007 modifiant et complétant l’article 2 de la loi n°94-029 du 03 juin 1996 portant réorganisation de l’Ordre national du Bénin ;
VU la Constitution du 11 décembre 1990 ;
VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Zimé Yérima KORA-YAROU en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
CONTENU DU RECOURS
Considérant que le requérant expose : « … Aux termes de cette loi, certaines personnalités, en raison de leur accession à une fonction politique donnée, sont élevées de plein droit dans l’Ordre national du Bénin à des grades divers. Parmi ces personnalités figurent les députés, les membres de la Cour constitutionnelle, du Conseil économique et social, de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) et les maires. Ces derniers sont éligibles au grade de chevalier de l’Ordre national du Bénin dès leur entrée en fonction » ;
Considérant qu’il poursuit : «Pour que la nomination soit effective, les personnes concernées doivent être nommément désignées dans un décret du Président de la République qui consacre leur nomination. Plusieurs décrets ont été pris pour élever dans l’Ordre national du Bénin des députés, des membres de la Cour constitutionnelle, du Conseil économique et social, de la haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, mais aucun décret n’a été encore pris en ce qui concerne les maires. Il s’agit là, manifestement, d’un traitement inégal qui porte atteinte à l’article 26 de la Constitution et je prie votre auguste juridiction de …sanctionner le fait » ;
Considérant qu’il joint à sa requête des copies de la loi n°2002-17 du 07 février 2007 modifiant et complétant l’article 2 de la loi n°94-029 du 03 juin 1996 portant réorganisation de l’Ordre national du Bénin et du décret n°2009-013 du 29 janvier 2009 portant nominations et promotions à titre exceptionnel et civil dans l’Ordre national du Bénin ;
INSTRUCTION DU RECOURS
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de la haute juridiction relative au recours formulé par Monsieur Justin SEGNON, le Secrétaire général du gouvernement, Monsieur Edouard OUIN-OURO, écrit : « … Dans son recours en inconstitutionnalité, contre cette situation, il soutient que : « plusieurs décrets ont été pris pour élever dans l’Ordre national du Bénin des députés, des membres de la Cour constitutionnelle, du Conseil économique et social, de la haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, mais aucun décret n’a été encore pris en ce qui concerne les maires ».
I- Sur le moyen tiré de la discrimination dans l’application de la loi n°2002-17 du 07 février 2007 modifiant et complétant l’article 2 de la loi n°94-029 du 03 juin 1996 portant réorganisation de l’Ordre national du Bénin
Que jusque-là des décrets n’ont été pris pour nommer les maires des communes au grade de chevalier de l’Ordre national du Bénin dès leur entrée en fonction est une situation d’inertie d’autant plus illégale qu’à cet égard, l’article 1er de la loi n°2002-17 du 07 février 2007 modifiant et complétant l’article 2 de la loi n°94-029 du 03 juin 1996 portant réorganisation de l’Ordre national du Bénin confère auxdits maires un droit inconditionnel.
Cependant, il ne saurait en résulter une discrimination, contrevenant à l’article 26 de la Constitution, que si les maires et les autres autorités politiques visées par la loi étaient dans des situations identiques. Ce qui n’est pas le cas. Or, l’égalité implique d’éviter de traiter » soit de manière différente des situations similaires, soit de manière identique des situations différentes’’.
Dans cette mesure, la discrimination alléguée n’en est pas une. Il n’y aurait discrimination que si certains maires avaient été nommés au grade de chevalier de l’Ordre national du Bénin dès leur entrée en fonction et que d’autres ne l’avaient pas été.
II- Sur le moyen tiré de la violation d’un droit de l’Homme
Certes, aux termes de l’article 117 de la Constitution, « La Cour statue sur (…) la violation des droits de la personne humaine ». Mais, pas plus qu’aucune discrimination n’a été commise à l’égard des maires, aucune violation d’un droit des maires garanti par la Constitution ne peut être relevée» ; qu’il conclut : « Eu égard à l’inexistence de la discrimination alléguée, il n’y a pas de violation de l’article 26 de la Constitution» ;
Considérant que quant à Monsieur le Président de la République, Patrice TALON, en réponse à la même mesure d’instruction, il écrit:
«…Les faits méritent d’être présentés (A) afin d’en souligner la question soumise à votre juridiction (B) et y proposer les réponses appelées (C) ;
A- Sur les faits
En 2007, le Président de la République a promulgué une loi qui réorganise l’Ordre national du Bénin et qui élève certaines personnalités à divers grades en raison de leur accession à une fonction politique : députés, membres de la Cour constitutionnelle, membres du Conseil économique et social, de la haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et maires des communes.
Pour certaines catégories, des décrets ont souvent été pris pour assurer la jouissance de ce droit. Mais en ce qui concerne les maires des communes, la situation a paru rester en l’état.
B- Sur les questions soumises à la Cour
Sur ces faits, le requérant se plaint de ce qu’un traitement inégal et, par suite discriminatoire est fait aux dépens des maires.
Au fond, il y a-t-il discrimination de traitement le fait, de la part du gouvernement, de procéder à une application par groupes différenciés, d’un acte règlementaire, notamment d’un décret? Avant d’y répondre, il convient de vérifier la compétence de la Cour constitutionnelle à en connaître.
C- Les réponses
Les réponses seront proposées, d’abord à la question de la compétence de la Cour (1) ensuite à la question relative à la discrimination supposée (2).
1- Sur la compétence de la Cour constitutionnelle
La compétence de la Cour constitutionnelle est fixée aux articles 3 alinéa 3, 114 et 117 alinéa 1er de la Constitution.
L’article 3 alinéa 3 pose que : « …Toute loi, tout texte règlementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre ces lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ».
L’article 114 dispose : » La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. »
Et l’article 117 alinéa 1er: « La constitutionnalité des lois et des actes règlementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, sur la violation des droits de la personne humaine » ;
Considérant qu’il poursuit : « En l’espèce, le Président de la République promulgue, le 7 février 2007 la loi n°2002-17 qui réorganise l’Ordre national du Bénin. Cette loi modificative et complétive ne modifie en effet que l’article 2 de la loi n°94-029 du 03 juin 1996 portant réorganisation de l’Ordre national du Bénin.
En son article 1er alinéa 8, cette loi dispose : « Les maires des communes sont nommés au grade de chevalier de l’Ordre national du Bénin dès leur entrée en fonction ». Mais comme l’a si bien mentionné le requérant en début de l’avant dernier paragraphe de son recours : « pour que la nomination soit effective, les personnes concernées doivent être nommément désignées dans un décret du Président de la République qui consacre leur nomination ».
Selon le requérant, la loi renverrait ainsi à un décret la jouissance du droit d’accès à l’Ordre, tel qu’elle l’a posé. Posée ainsi, la question suggère une interprétation et une application de la loi qui relève du contrôle de légalité dont ne peut connaître la Cour constitutionnelle par application des articles 114 et 117 de la Constitution ainsi que par observation de l’abondante jurisprudence de la Cour.
Au demeurant, le requérant sollicite de la haute juridiction la sanction : « … de bien vouloir sanctionner un fait ». Or, dans son domaine de contrôle de la constitutionnalité, la Cour n’est compétente que pour examiner la conformité non d’un fait ou d’un agissement, mais d’une loi ou de « tous autres textes censés porter atteinte aux droits de la personne ».
2- Sur la discrimination supposée
Aux termes de l’article 26 alinéa 1er de la Constitution : «l’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans discrimination d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale ».
D’abord, il est à observer que le constituant a énoncé, de manière limitative, le champ des prétextes à discrimination : l’origine, la race, le sexe, la religion, l’opinion politique ou la position sociale.
Il convient, au cas où elle se déclarerait compétente, et à l’occasion de cette espèce, que la haute juridiction fixe sa jurisprudence sur le caractère limitatif et exclusif de ces prétextes à discrimination.
Ensuite, il se trouve que la discussion est portée devant la Cour pour une discrimination supposée, à raison, non de l’origine, de la race, de la religion, de l’opinion politique, ni de la position sociale, mais de la fonction consécutive à un mandat.
On conclurait avec raison que la discrimination supposée n’étant comprise dans le champ établi par la Constitution, il n’y a pas violation de celle-ci »;
Considérant qu’il ajoute : « Enfin, on relèvera avec aise, que le droit consacré par la loi ne doit son effectivité que par un décret.
Quand bien même il est souhaitable que le Gouvernement prenne, conformément à la loi le décret fixant la situation des maires, il ne saurait lui être reproché de manquer, ni à la Constitution ni à la loi lorsque ce décret n’est pas encore pris, le législateur n’ayant enserré la prise de cet acte dans aucun délai. Au demeurant, la discrimination n’existerait que si, dans la catégorie des personnes occupant les mêmes fonctions et, en l’espèce, les maires, certains sont promus aux dépens d’autres. D’où il suit que le moyen n’est pas pertinent» ; qu’il demande à la Cour … de se déclarer incompétente et de dire qu’il n’y a pas discrimination ;
ANALYSE DU RECOURS
Considérant qu’aux termes des articles 26 alinéa 1er de la Constitution et 3.1 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples dont les dispositions font partie intégrante de la Constitution : « L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale» ; « Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi » ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions et d’une jurisprudence constante de la Cour que le principe d’égalité doit s’analyser comme étant un principe général selon lequel la loi doit être la même pour tous aussi bien dans son adoption que dans son application et ne doit contenir aucune discrimination injustifiée ;
Considérant que par ailleurs, la loi n°2002-17 du 07 février 2007 modifiant et complétant l’article 2 de la loi n°94-029 du 03 juin 1996 portant réorganisation de l’Ordre national du Bénin » dispose:
« -Article 1er : L’article 2 de la loi n°94-029 du 03 juin 1996 portant réorganisation de l’Ordre National du Bénin est modifié ainsi qu’il suit :
- Le Président de la République, Chef de l’Etat accède de plein droit à la dignité de Grand-Croix National du Bénin. Il prend la présidence du Conseil de l’Ordre National quand il le juge utile ;
- Le Président de l’Assemblée Nationale est élevé à la dignité de Grand Officier de l’Ordre National du Bénin dès son entrée en fonction ;
- Les Députés membres de l’Assemblée Nationale sont nommés ou promus au grade de Commandeur de l’Ordre National du Bénin dès leur entrée en fonction ;
- Le Président de la Cour Constitutionnelle, le Président de la Cour Suprême, le Président de la Haute Cour de Justice, le Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et le Président du Conseil Economique et Social sont élevés à la dignité de Grand Officier de l’Ordre National du Bénin dès leur entrée en fonction;
- Les autres membres de la Cour Constitutionnelle, de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, du Conseil Economique et Social sont d’office nommés au grade de Commandeur de l’Ordre National du Bénin dès leur entrée en fonction ;
-Les anciens députés, les anciens membres de la Cour Constitutionnelle, de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, du Conseil Economique et Social qui n’ont pas encore été décorés depuis 1991 dans l’Ordre National du Bénin au titre de leur mandat sont d’office nommés ou promus dans cet ordre aux grades correspondant à leurs fonctions respectives.
- Les Maires des Communes sont nommés au grade de chevalier de l’Ordre National du Bénin dès leur entrée en fonction… » ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les maires des communes, au même titre que les députés, les membres de la Cour constitutionnelle, de la haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, du Conseil économique et social, sont bénéficiaires d’une décoration, dès leur entrée en fonction ; qu’ils appartiennent ainsi à une seule et même catégorie de bénéficiaires de décorations ; qu’en outre, à la différence de l’article 26 de la Constitution, l’article 3.1 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples précité, en consacrant l’égalité de tous les citoyens devant la loi, ne limite la discrimination à aucune source précise ;
Considérant qu’en l’espèce, l’absence d’un décret de nomination des maires des communes dans l’Ordre national du Bénin, dès leur entrée en fonction, au même titre que les autres bénéficiaires désignés par la loi, crée une rupture d’égalité ; qu’il échet dès lors pour la Cour de dire et juger qu’il y a discrimination ;
DECIDE :
Article 1er : Il y a discrimination.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Justin SEGNON, à Monsieur le Secrétaire général du Gouvernement, à Monsieur le Président de la République et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le douze janvier deux mille dix-sept,
Messieurs Théodore HOLO Président
Zimé Yérima KORA-YAROU Vice-Président
Simplice C. DATO Membre
Bernard D. DEGBOE Membre
Madame Marcelline-C GBEHA AFOUDA Membre
Monsieur Akibou IBRAHIM G. Membre
Madame Lamatou NASSIROU Membre.
Le Rapporteur, Le Président,
Zimé Yérima KORA-YAROU.- Professeur Théodore HOLO