Cotonou - Sur les trottoirs des grands axes de Cotonou, commerçants, restaurateurs et vendeurs à la sauvette ramassent les briques et balaient les gravats qui s'amoncèlent, tristes vestiges des opérations de "déguerpissement" menées par les autorités béninoises.
Marchés, avenues, maquis (bars de quartier), abords des stades, terre-pleins... Aucune rue "stratégique" pour l'attractivité de la ville, n'a échappé à la décision du gouvernement de "libérer les emprises du domaine public".
"La nature a horreur du vide", explique à l'AFP Florentin Tchaou, adjoint au maire de Cotonou. "La population en a profité pour élargir les commerces et les activités pour mieux s'exposer, mieux vendre".
En effet, la grande majorité des "squatters" des espaces publics sont "des gens qui ont des boutiques", précise M. Tchaou, également chef du 10e arrondissement de Cotonou. Cette décision affecte durement la vie quotidienne des Béninois, travaillant en grande majorité dans le secteur informel.
Dès juillet, le président Patrice Talon, fraîchement élu, avait donné un délai de six mois aux préfets des grands centres urbains du Bénin pour embellir les villes et dégager les routes, dans le cadre de sa politique de "rupture".
De grandes croix rouges sont apparues sur les murs des terrasses et des édifices construits sur le domaine public. De grandes affiches ont été apposées, prévenant que l'éviction serait proche. Mais Agéline Bocovo, vendeuse de pagnes à Cotonou depuis 5 ans, n'y "a pas cru au départ".
Finalement, depuis le 5 janvier, jour de la mise en place de l'application du décret, Agéline s'est "résolue à la réalité. On ne combat pas la force publique les mains nues. Nous n'avions aucun choix."
Comme beaucoup, la commerçante a fait casser sa baraque pour récupérer quelques briques et reconstruire son échoppe dans une rue secondaire.
"Le reste des gravats sera vendu. Mais ce n'est pas grand chose", explique-t-elle.
- Haussmann sous les tropiques -
Les opérations de "déguerpissement", telles qu'elles sont dénommées en Afrique francophone, sont fréquentes sur le continent, où l'urbanisation s'est faite, au cours des décennies, de manière plus ou moins anarchique et sans titre de propriété. Mais, à Cotonou, les squatters n'attendent même plus les tractopelles et les camions de déblaiement.
"Je n'avais jamais vu ça ailleurs", s'étonne Armelle Choplin, urbaniste à l'Institut de Recherche pour le Développement à Cotonou. "La plupart des gens trouvent ça très bien. Il y a une vraie aspiration hygiéniste des centres urbains. C'est Haussmann sous les tropiques."
Ishola Arouna, habitant de la grande capitale économique du pays attendait des "affrontements majeurs". "On s'était imaginé qu'il pourrait y avoir des affrontements avec les forces de l'ordre, mais loin de là", témoigne ce jeune webmaster.
"C'est plutôt un acte citoyen", ajoute-t-il.
Pourtant, ce "déguerpissement" est un vrai manque à gagner pour les plus pauvres, qui doivent désormais installer leurs étals dans des rues moins passantes et moins visibles dans un pays où la situation économique va de mal en pis depuis que le voisin nigérian est entré en récession, et a entraîné le Bénin dans sa chute.
"Cette mesure touche les petites gens, qui ne sont pas forcément organisés en associations ou en syndicats comme c'est le cas dans les pays anglophones comme le Ghana", explique Mme Choplin.
A Accra, souvent citée en exemple par les autorités, des solutions de relogement, ou des places de marché ont été aménagées pour les personnes expulsées. A Cotonou, le déguerpissement a été fait pour l'instant dans l'urgence, et rien n'a été prévu: ni compensation, ni relogement.
"Vous voulez que je retourne où? Que je m'installe où?", se désole Eugénie Yovogan, qui avait son petit restaurant de rue juste devant des bureaux, où les fonctionnaires venaient se ravitailler à leur pause déjeuner. "J'ai perdu ma clientèle, et pour de bon".
"Nos citoyens ont fait preuve d'une maturité sociale très élevée, respectant les normes des textes", reconnaît M. Tchaou, à la mairie.
"Maintenant il faut pouvoir les reloger pour que leur chiffre d'affaire ne chute pas (...) Tout cela nécessite des moyens. Et le balayage, les ordures, cela coûte déjà cher dans notre budget".
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