Face aux allégations portées contre les membres de la société civile nommés pour siéger au Conseil de régulation des marchés publics, Martin Assogba, Fatoumatou Batoko Zossou et Joël Atayi Guèdègbé sont sortis de leur silence. Dans des interviewes accordées au groupe de presse "Le Matinal", ils rassurent de la poursuite de leur mission de veille. Lisez l’intégralité de leurs propos.
Martin Assogba : « Ce n’est pas politique »
Le Matinal : Martin Assogba ! Votre nomination au sein du Conseil de régulation des marchés publics (Crmp) est à l’origine d’une vague de protestations. Pourquoi ?
Martin Assogba : Le groupe des organisations de la société civile au sein du réseau Fonac m’a désigné ainsi que d’autres acteurs de la société civile pour occuper la place de la société civile au niveau de la structure chargée de réguler les marchés publics, et ça fait un tollé. Je ne comprends pas. On trouve que Alcrer s’est fait vendre au régime et que cette nomination fera que Alcrer ne doit plus parler. Des gens ont même soutenu que j’ai fermé Alcrer. Mais d’où est-ce qu’ils détiennent ces informations ? Et puis, le Gouvernement n’a fait qu’entériner ce que nous avons envoyé depuis nos différents réseaux, c’est-à-dire les noms des personnes qui doivent nous représenter au niveau de ces structures-là. C’est un renouvellement. Il y avait toujours des gens de la société civile qui étaient dans ces structures. Ce n’est pas une nomination politique. On nous a envoyés à une mission de veille pour que les marchés publics soient bien gérés. C’est une exigence aussi des partenaires techniques et financiers qui veulent désormais que la société civile soit toujours dans les structures qui doivent veiller sur des questions sensibles en ce qui concerne le pays.
D’après le dernier classement de Transparency, le Bénin est passé de la 83ème à la 95ème place. Comment l’analysez-vous ?
Ce classement vient une nouvelle fois marquer un recul du Bénin dans la lutte contre la corruption. Malgré les multiples actions des organisations de la société civile dont notre organisation, le constat est désolant que la lutte n’a pas porté ses fruits comme nous l’aurions souhaité pour le développement de notre pays. Mais ce n’est pas pour cela que nous allons baisser les bras.
Le pays recule-t-il dans le domaine de la corruption ?
Le pays reculera dans le domaine de la corruption. Avec la nouvelle méthode mise en place par le nouveau régime, nous sommes en train d’avoir des lueurs d’espoir. Regardez l’affaire Segub : des personnes qui étaient dans ce dossier ont été traquées. Beaucoup ont payé ce qu’ils ont déjà eu à prendre par devers eux de manière malhonnête et ceux qui n’ont pas pu payer se retrouvent dans les geôles. Par rapport à la question des concours frauduleux, ce que nous exigeons aujourd’hui et que nous n’avons pas encore eu, c’est la publication de ces audits pour nous permettre de savoir qui a fait quoi ? Et comment ? Et avec qui ? Nous devons être optimistes dans le cas de la lutte contre la corruption.
Qu’est-ce qui explique ce recul du Bénin ?
L’année de l’évaluation, le Bénin n’a pas pris le taureau par les cornes. Il y a eu trop de magouilles, trop de clientélisme. Nous avons beaucoup crié, mais personne n’avait d’oreilles pour nous, parce que l’ancien régime célébrait plutôt le culte de la personnalité.
Le pays fait-il face aujourd’hui à plus de corruption ?
Je vous ai dit non. Il ya maintenant des signaux, des signaux qui démontrent que la lutte contre la corruption est devenue un cheval de bataille du nouveau régime et qu’il ya eu des actes qui ont été posés et que nous devons saluer. Maintenant, il faudrait que nous puissions suivre véritablement pour que les choses avancent.
Peut-on dire que la corruption est systémique ou que faut-il faire alors pour l’améliorer ?
La corruption fut systémique à un temps donné, mais aujourd’hui, la corruption est combattue. Je peux vous dire que la corruption est combattue. Il ya une quantité de mesures qui sont prises et qui permettent de traquer véritablement les corrompus et les corrupteurs.
Que faut-il faire pour améliorer le classement ?
Vous verrez que quand tout ça va être mis en orchestre et que les têtes vont commencer par tomber, notre classement va s’améliorer. Et nous ferons partie des bons élèves. Il n’est pas question de se taire. Non !On ne se taira pas. La caravane va s’arrêter pour écouter le son des chiens, mais désormais, je pense que nos cris de cœur seront entendus par le nouveau régime qui est venu pour régler un certain nombre de choses et mettre les choses sur les rails. Nous devons les en féliciter. Et cela ne doit pas nous empêcher aussi de les décrier quand nous allons constater que de leur part aussi il se passe des choses qui ne sont pas orthodoxes. Et nous aurions souhaité que la loi sur la corruption soit modifiée au niveau de l’Anlc pour renforcer leur pouvoir afin qu’ils puissent ester en justice les accusés. Nous allons prendre le taureau par les cornes dans le cadre de la lutte contre la corruption, et notre rang va s’améliorer les prochaines fois.
Joël Atayi Guèdègbé, président de l’Ong Nouvelle éthique : « Nous serons
toujours dans la posture de la vigilance, de l’exigence, de la transparence »
Ce que je peux vous dire fondamentalement, c’est que le code des marchés publics a prévu qu’il y ait une autorité de régulation des marchés publics qui est l’instance suprême de traitement des marchés publics en dehors de la justice. Donc l’autorité en son sein est animé par un Conseil de régulation des marchés publics ou siègent un représentant du chef de L’Etat qui en est le Président, des personnes ou d’autres membres identifiés par des ministères sectoriels : les finances, les travaux publics, la justice et j’en passe. Il y a grosso modo 8 personnes qui proviennent de l’administration et 4 des organisations de la société civile, engagées dans la gouvernance et la lutte contre la corruption. Donc au terme du mandat du précédent conseil, l’appel a candidature a été adressé aux dites organisations qui ont identifié des représentants en leur sein et sous la coordination du Fonac. Nos candidatures ont été soumises à l’appréciation du gouvernement. Et il a plu au Conseil des ministres du 25 janvier dernier de nous nommer. Donc ce n’est pas quelque chose d’inédit. Depuis 2003 que la reforme des marchés publics est engagée sous différentes appellations et sous différentes formes, cette instance a toujours existé et des représentants des Osc y ont toujours siégé. Pour ma part, c’est pour la première fois, au nom de l’association Nouvelle éthique. Il arrive un moment ou c’est difficile de dire non et il faut assumer ces responsabilités et mettre en adéquation ces convictions avec les exigences de l’heure. Et si on a estimé que je pouvais valablement y siéger, c’est avec humilité que j’accepte la mission qui m’est confiée.
Oui il y a en partie un risque. Je suis appelé à être davantage dans la posture d’un juge, et donc, qui a l’obligation de se conformer a la loi, aux textes et notamment en matière de passation des marches publics, de me conformer aux codes dans l’exercice de ma mission et d’être animé dans ce cadre d’un esprit d’impartialité et du souci de la transparence et de l’efficacité de la passation des marchés publics. Je crois qu’il n’y a pas de miracle et donc il est vrai que nous serons toujours dans la posture de la vigilance, de l’exigence, de la transparence. Et c’est cela que le code de passation des marchés publics a voulu. Ce n’est pas une singularité du Benin. L’enjeu, c’est la transparence, c’est l’équité, c’est l’impartialité dans la passation des marchés et c’est aussi la célérité dans le traitement des recours et l’Armp (Autorité de régulation des marchés publics) est une instance qui va pouvoir rassurer ceux qui sont soumissionnaires aux marchés publics avant que, le cas échéant, on se retrouve devant la Cour suprême dont chacun sait que les décisions prennent du temps. La qualité de la dépense publique exige qu’on se soucie de la qualité des dossiers des appels d’offre en amont et en aval. Le cas échéant, s’il y a mal donne ou non respect de la réglementation, nous devons l’indiquer à la commission nationale de passation des marchés publics, et rassurer également les soumissionnaires. Nous allons mieux attirer les investisseurs pour notre pays. Ce n’est donc pas une mission de complaisance. C’est une mission caractérisée par la pluralité des débats, des acteurs qui sont présents. Une mission qui nous oblige à jouer notre partition, à donner notre son de cloche de l’intérieur. Certes nous serons relativement soumis a une obligation de réserves. Parfois ce n’est pas la volonté de corrompre, de commettre des malversations qui amènent l’administration et les fonctionnaires à être mis en cause. C’est bien souvent la méconnaissance des textes, la mauvaise mise en application. Donc le rôle de l’Armp est aussi d’attirer l’attention du gouvernement sur la simplification, sur la mise en œuvre des directives de l’Uémoa, et j’insiste encore sur l’exigence de transparence. Les marchés publics n’ont pas de sens si la concurrence, la transparence et l’équité ne sont pas de mises. Ce sont des valeurs que je défends et que je porte personnellement à travers mon association de base "Nouvelle éthique". Ce n’est pas à ce niveau que j’y renoncerai et je n’ai pas des justifications à apporter par rapport à cela. En outre, c’est un homme, une voix. Il y a un bureau dudit conseil qui va connaitre des dossiers, programmer des sessions et surtout travailler à la célérité de la passation des marchés. Ce bureau a un rôle important d’impulsion, d’orientation générale. Je tiens à vous signaler que la société civile est d’ailleurs représentée dans ce bureau dans lequel siégeait mon collègue Theodule Nouatin qui était le vice président de l’Armp. Donc croyez-nous, et soyez rassurés que nous n’y allons pas pour capituler. Nous n’y allons pas, par complaisance mais avec le souci d’être également des contributeurs à la politique économique, à l’amélioration des chaines de dépense publique dans notre pays. Il n’y a pas de trahison. Il n’y a pas de compromission. Etre d’une organisation de la société civile ne veut pas dire être une organisation anti-gouvernementale. La société civile a fondamentalement mandat d’interface mais également de contribution et participe parfois à l’exécution des politiques publiques.
Propos transcrits par Mohamed Amoussa (Stag)
Fatoumatou Batoko Zossou, présidente de Wanep Bénin,« Notre objectif, c’est de maintenir la veille »
En fait, un courrier nous est parvenu, et a demandé que Wanep propose une personnalité pour le représenter au nom de la société civile. La question a été débattue à Wanep au cours d’une réunion et à l’issue, j’ai été désignée comme la personnalité à siéger au sein du Conseil. Les textes prévoient que la société civile soit représentée au sein du Conseil de régulation des marchés publics et le fait que nous soyons choisis a ce titre là, c’est pour continuer la veille dans une autre veine. Vous savez, les marchés publics, ce n’est pas du n’importe quoi. Les marchés publics font partie des questions qui reviennent assez souvent au sein de l’opinion publique. L’opinion publique n’a généralement pas confiance aux passations de marchés, tel que ça se passe. Vous avez suivi tout récemment sur les réseaux sociaux, les commentaires par rapport à certaines passations gré à gré. Je crois que nous, notre objectif au sein de ce conseil, c’est de faire en sorte de maintenir la veille et d’attirer l’attention de nos collègues pour que les marchés publics ne soient plus des questions susceptibles ou pour que cela se réduise. Cela participe de la crédibilité du travail du gouvernement. Cela participe aussi de l’instauration et de la construction d’un climat de confiance et de paix dans notre pays. Toutes choses nécessaires pour le développement durable. Mais quand on est au sein du Conseil de régulation des marchés publics, est ce que cela veut dire qu’on est coupé de tout ce qui est problème de sa société ? Je ne pense pas. Et cela ne veut pas dire que s’il y avait des questions sur lesquelles nous devrons nous prononcer, nous n’allons pas le faire. Et puis, je vais aussi souligner que nous ne sommes pas les seuls en réalité dans la société civile à porter ces questions là. Il y a beaucoup de gens qui n’ont pas de visibilité. Nous avons certainement eu des opportunités pour nous rendre visibles mais beaucoup de travaux se font de parts et d’autres. Beaucoup de gens travaillent et ne se font pas connaitre. Ils ne crient pas. Même vous, en tant que journalistes, ce que vous faites, c’est aussi de la veille. Vous m’interrogez, c’est pour comprendre, c’est aussi de la veille citoyenne, pour me attirer mon attention sur les menaces qui planent.
Propos transcrits par Mohamed Amoussa (Stag)