(Regard du juriste Hugo Koukpolou)
L’avènement des Technologies de l’information et de la communication (Tic), a favorisé le pullulement de points de vente de téléphones mobilessur toute l’étendue du territoire national. En dehors des boutiques ou succursales officiellement connues, il est loisible de voir exposerdans les coins de rues ou au bord de certaines artères, et ce dans des vitrines, ces portables de différentes marques. C’est ce qu’il convient d’appeler le marché noir. A Cotonou, celui de la zone commerciale Ganhi est l’un des plus animés. Des téléphones portables de toutes sortes, visiblement neufs mais généralement sans leur carton d’emballage et autres accessoires. A l’achat, il faut débourser un fonds supplémentaire pour avoir le package. Un‘’business’’qui, somme toute, n’est pas réglementé. Ainsi, passer du statut de l’acheteur à celui de receleur, le pas est vite franchi.
«J’ai acquis mon portable de marque Infinix, il y a un an. Tout allait bien jusqu’au jour où, j’ai reçu l’appel d’un agent de police, notamment un commissaire. Selon son propos, il serait en train de mener une enquête et de fil en aiguille, est remonté à moi à travers le code E-Mei du portable. Mon portable, a-t-il affirmé, aurait été volé et je devrais l’aider à retrouver le voleur…L’acte, aux dires du commissaire, est qualifié de recel et passible d’emprisonnement…». C’est par ce témoignage de dame Fifonsi que nous plantons le décor. Ceci, pour insister sur l’assainissement du marché noir de ventes de portables.Les plaintes de cas d’achats de portables volés étant de plus en plus persistantes. Qui peut commercialiser les portables au Bénin, quelles sont les différentes formalités à remplir? Le secteur est-il réglementé? Qu’en est-il spécifiquement du marché de vente de Ganhi?
«Nous sommes reconnus par L’Etat…»
Ils étaient nombreux ce jour à Ganhi à être approchés. Finalement, c’est un vendeur qui s’est prêté à nos questions.D’entrée, souligne-t-il, «Tout le monde vient acheter de portables ici (Ganhi, Ndlr), les citoyens, les autorités». A l’entendre, leur installation est réglementée. «Nous sommes reconnus par L’Etat. On paye l’impôt, on paye la mairie. On ne peut pas dire que c’est un marché noir parce qu’on a les agréments...Les gens disent que c’est un marché noir parce qu’on n’a pas les grandes sociétés comme Samsung, Néo, et autres», informe-t-il et d’ajouter, «ce sont les nigérians qui amènent les conteneurs de portables de la chine et nous, nous allons nous approvisionner». A Ganhi, aux dires du vendeur, en dehors de la vente de téléphones portables, le client bénéficie aussi d’autres services. «On répare, on fait la programmation…tout ce qui concerne le domaine du portable», a-t-il confié avant de se prononcer sur les éventuels cas de vente de portables volés. «….Les gens viennent et disent qu’ils veulent nous vendre de portables. Mais comme nous-mêmes on sait que ça peut nous créer des problèmes, on ne prend pas. Mais, on achète ça auprès de ceux à qui on a nous-mêmes vendu le portable et on exige le reçu».
Pourtant…
Monsieur vient d’acheter son portable. A la question de savoir s’il a pris de reçu, il répond par la négation. «Non, je n’ai pas pris de reçu. Ce n’est pas la première fois que j’achète de portable ici. Je n’ai pas l’habitude d’en prendre. D’ailleurs, je connais la personne», a-t-il lâché. A Ganhi, après nos enquêtes, les reçus ne sont pas toujours délivrés. D’ailleurs, pour ce sésame qu’on retrouve commercialiser dans les feux tricolores, au bord des voies, rien n’est aussi sûr. Il y a souvent un manque de professionnalisme dans la délivrance du reçu. L’acheteur, en effet, peut se voir délivrer un reçu et être pourtant incriminé. A quoi sert un reçu où il est juste écrit‘’A payer un portable Samsung à 70 000’’ ? Les noms du vendeur, de l’établissement,étant inexistants.Dans le cas d’espèce, sans vouloir excuser l’ignorance de dame Fifonsi, puisqu’il s’agit d’un portable volé, le pseudo-vendeur peut bien mettre une fausse identité ou même prendre la poudre d’escampette. Quelle est alors la garantie du citoyen béninois qui va se procurer un portable dans ces lieux de vente par exemple et ne pas avoir à se retrouver dans les pièges du recel?
Du recel, regard de juriste
«Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose ou une personne, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit ou est liée à celui-ci, s'il s'agit d'une personne», explique Me Hugo Koukpolou. A l’entendre, il y a différents types de recels selon qu’on tienne compte de la particularité de l'infraction, des éléments constitutifs, et des sanctions. «Aux yeux de la loi, nous pouvons distinguer trois types de recels : le recel des choses qui consiste à dissimuler sciemment tout ou une partie des choses enlevées, détournées, ou obtenues après commission d'un crime ou d'un délit; le recel de cadavre qui consiste à dissimuler ou à cacher sciemment un cadavre qu'on sait issu d'un homicide; le recel de criminel qui consiste à fournir sciemment ou volontairement à une association de malfaiteurs, des munitions ou logements, une retraite ou un lieu de réunion», précise-t-il. La particularité de l’infraction, poursuit Me Hugo Koukpolou, est que le recel bénéficie d'un régime de poursuite particulier. «En effet, le régime particulier du recel s'explique par le fait que tout étant une infraction autonome, le recel est un délit connexe à une autre infraction d'origine. Ainsi, il est possible de condamner le receleur alors que l'infraction originaire échappe à la répression pour des raisons procédurales. Il en va ainsi en cas de la prescription de l'infraction originaire.Il en sera de même si l'auteur de l'infraction originaire bénéficiait d'une immunité familiale,etc», fait-il observer.
Quid des éléments constitutifs et sanctions du recel
«On distinguera trois éléments constitutifs du recel à savoir: la détention de la chose provenant d'un crime ou d'un délit; l'origine délictueux de la chose; et enfin la connaissance de l'origine délictueuse de cette chose», nous apprend Me Hugo Koukpolou. Une fois l'infraction pleinement constituée, il faut, selon son propos, y appliquer les sanctions qui en découlent suivant les différents types de recel. «Quand il s'agit du recel de chose,c'est un délit prévu et puni par les articles 460, 401 du code pénal d'une peine d'emprisonnement de 1 à 5ans et d'une amende de F Cfa 4.000 à 120.000. Par contre, le recel d'un cadavre est un délit prévu et puni par l'article 359 du code pénal d'une peine de 6mois à 2ans d'emprisonnement ferme et d'une amende de F Cfa 12.000 à 96.000.Le recel de criminel est un crime prévu et puni d'une réclusion par l'article 265 du code pénal», renseigne-t-il. Par ailleurs, à l’en croire, il existe certaines circonstances qui aggravent l'infraction. En effet, lorsque le recel est commis d'une manière habituelle ou en bande organisée ou encore en utilisant la facilité que procure l'exercice d'une fonction, on parle de recel aggravé, déclare Me Hugo Koukpolou. Ceci, fait-il savoir, est puni d'une peine de réclusion ou encore de la même peine que l'infraction originaire. «Le recel peut être aggravé du fait de la nature de l'infraction originaire à savoir, lorsqu'il est issu d'un vol qualifié. Dans ce genre de cas, on parlera de recel qualifié ce qui est un crime et qui sera puni également au même titre que l'infraction d'origine», confie-t-il. En résumé, conclut Me Hugo Koukpolou, le recel, étant à la fois une infraction indépendante et une infraction connexe à une infraction originaire, est une infraction qui jouit d'un régime juridique particulier. C'est pour ce fait que, va-t-il affirmer, le recel est une infraction bien encadrée et bien délimitée par le législateur.
Somme toute, le pas entre l’achat d’un portable dans le marché noir et le recel, d’où la prison, est bien mince. Pourtant, les lieux de ventes fourmillent, pour ce cas précis, à Cotonou. Il urge à n’en point douter, d’y mettre de l’ordre. Les autorités communales et préfectorales doivent donc prendre leurs responsabilités. Une chose est qu’elles perçoiventdes taxes et impôts, l’autre et la plus importante, est qu’elles évitent que d’innocentes personnes se retrouvent en prison.
Cyrience KOUGNANDE, Murielle CAKPO (Coll)