Avec la redéfinition de la carte universitaire opérée par le Gouvernement du Nouveau départ, l’Ecole nationale des sciences et techniques de l’information et de la communication (Enstic) de Savalou est transférée au campus d’Abomey-Calavi. Ainsi, ses étudiants sont désormais appelés à se plier aux exigences de l’Uac. Mais le collectif des étudiants en attente de soutenance de leur mémoire de Licence n’entend pas suivre quelconque recyclage exigé par la nouvelle administration dirigée par Jean Euloge Gbaguidi. Même réaction de la part du corps enseignant venu de Savalou.
Le torchon brûle entre étudiants en attente de soutenance de Licence de l’Ecole nationale des sciences et techniques de l’information et de la communication (Enstic) et la direction. La pomme de discorde, le recyclage de trois mois à compter de ce jeudi 16 février, exigé par la nouvelle administration avant la soutenance de mémoires de Licence.
De l’avis de Jean Euloge Gbaguidi, directeur de l’Ecole nationale des sciences et techniques de l’information et de la communication (Enstic) de l’Université d’Abomey-Calavi, le recyclage constitue une mesure de rachat, compte tenu de certaines insuffisances.
Selon lui, les mémoires n’ont pas été rejetés. L’Uac avec les exigences du système Lmd doit respecter les normes dans la démarche qualité. Ainsi, ayant hérité du dossier des étudiants en instance de soutenance, l’administration de l’Enstic-Uac a expertisé les mémoires que les étudiants ont déposés par une commission technique indépendante dévaluation des mémoires de Licence. Cette commission a pour mission d’évaluer les mémoires et d’en apprécier la recevabilité suivant un certain nombre de critères. Il s’agit des profils et grades des maîtres de mémoire, de la pertinence des sujets, de la clarté des problématiques abordées, de la pertinence des hypothèses, de la précision de la formulation des objectifs, de la rigueur de l’approche méthodologique, de la cohérence interne des documents, de la maîtrise de la langue française et de la bonne présentation de la bibliographie. Les observations révèlent des anomalies à la lumière des critères d’appréciation.
Par rapport aux profils et grades des maîtres de mémoire, le document renseigne qu’ils « n’ont pas tous le grade (au moins le grade maître assistant) pour encadrer les étudiants » en plus du profil qu’ils n’ont pas. « Ils sont pour la plupart des géographes et des sociologues alors qu’il s’agit d’encadrer des étudiants en journalisme », souligne le rapport de la commission. En matière de pertinence, poursuit le rapport, les sujets, bien qu’intéressants, « sont en grande majorité orientés en sociologie, à l’exception de quelques rares… ». Quant aux problématiques, elles présentent des défauts de clarté et « des questions de recherche sont absentes ou mal formulées ». Du point de vue pertinence des hypothèses, la commission mentionne que « la plupart des étudiants ne maîtrisent pas la notion d’hypothèses ». Les objectifs sont « ambitieux et irréalistes ». Si la commission reconnaît un effort notable dans la présentation des éléments de méthodologie, elle relève néanmoins quelques limites dans la présentation des outils et de leur justification et au niveau des techniques de traitement des données. Par ailleurs, sur le plan de la cohérence interne des documents, les observations soulignent « qu’il n’y a pas du tout de cohérence entre les problématiques, les hypothèses, les objectifs et la démarche méthodologique ». Sur le registre de la maîtrise de la langue, les membres se rendent compte que le niveau est « passable en général ». Enfin, mentionne le rapport, la présentation de la bibliographie est souvent mal faite et caractérisée par le non-respect de l’ordre alphabétique et des exigences de présentation de la webographie.
Recommandations
Au regard de ces observations, la commission a fait deux principales recommandations. D’une part, elle préconise « un renforcement du niveau des étudiants en méthodologie (ou en rédaction de mémoire) dans le but d’améliorer substantiellement la qualité des documents avant leur soutenance ». D’autre part, il faut y ajouter « la réalisation obligatoire par chaque étudiant d’une production de presse ». Car de façon générale, sur les 72 mémoires évalués par la commission, un seul contient une production journalistique sur CD. « Tous les mémoires devraient intégrer une partie production journalistique », indique le rapport.
Sur la base de ces observations et des recommandations de la commission, l’administration s’est rendue à l’évidence qu’il faut améliorer les mémoires. « Il n’a jamais été question de rejeter les mémoires », rectifie Jean Euloge Gbaguidi, ajoutant qu’il s’agit de ne pas les livrer sur le marché de l’emploi avec des lacunes d’une telle ampleur. Ainsi, pour les nouveaux responsables de l’école, il faut racheter « une situation désastreuse pour les étudiants ». L’amélioration passe par un recyclage de trois mois. Sur cette période, ils vont bénéficier d’un mois de cours de renforcement de capacités en culture générale et en français. Ils auront aussi droit à un mois de stage pratique. A ce niveau, indique le directeur, chacun sera envoyé dans le média de son choix. Mais ceux qui sont déjà en situation de stage dans une structure y seront maintenus. En codirection des mémoires, des journalistes seront associés aux anciens maîtres de mémoire. « Il faut la couverture professionnelle », précisera-t-il.
L’opposition des professeurs et des étudiants
Contre cette façon de voir les choses, Théophile Aballo, docteur en Informatique et enseignant à l’Enstic, soutient que « depuis que l’école a été créée en 2012, les étudiants ont été formés par ces enseignants recrutés selon les procédures administratives requises ». Pour lui, dire qu’un « docteur ne peut pas encadrer un mémoire de Licence est un faux problème ». « C’est un problème de justice personnelle », soutient-il. Dans son argumentaire, il fait observer que le métier de journaliste est une carrière de culture. Dans ces conditions, le journaliste a besoin des connaissances en géographie, en sociologie et autres, assure-t-il en soulignant que « Le défaut de profils et de grades est une fausse histoire ». Car, explique-t-il, s’il l’on doit tenir compte du profil des enseignants, l’école n’aura aucun enseignant. « Au Bénin, on n’a pas encore de journaliste ayant rang de professeur », soutient Théophile Aballo, précisant qu’exercer sur les antennes est différent de se présenter devant les étudiants pour leur dispenser des cours ». Mieux, renchérit-il, « Les 95% des professeurs sont des missionnaires de l’Uac » pour dispenser les matières fondamentales aux étudiants en journalisme.
A travers la reprise des mémoires, il perçoit un rejet des documents et compte s’en plaindre au recteur Brice Sinsin. A ce propos, il fait savoir qu’à trois reprises le recteur a demandé au corps enseignant venu de Savalou de faire soutenir les étudiants pour leur permettre de saisir les opportunités d’emploi. Il s’insurge contre ce qu’il appelle la banalisation des autres universités qui, explique-t-il du point de vue de la nouvelle administration,feraient la promotion de la médiocrité et seule l’Uac ferait la promotion de l’excellence.
Même appréhension de la part des étudiants. Le Collectif a adressé un courrier au directeur de l’Enstic-Uac pour lui signifier son refus des trois mois de recyclage. Pour le collectif, « Les trois mois de cours de renforcement ne répondent à aucun texte en vigueur dans l’enseignement ». Dès lors, soulignant qu’ils ont déjà fait des stages professionnels de trois mois sanctionnés par des attestations, ils considèrent ce recyclage comme « un programme de retardement » et refusent d’y participer. A travers leur collectif, ils n’admettent pas la reprise des matières. « …nous sommes surpris de constater que les matières dans lesquelles nous sommes supposés faire des recyclages sont des cours que nous avons déjà reçus tout au long de notre formation à l’Enstic », tempêtent-ils dans leur correspondance en date du lundi 14 février 2017.
Le report des soutenances désole des parents d’étudiants. « Mon fils a bien des projets qui sont freinés par le report des soutenances », signale Aurélien A. Il dit ne pas savoir ce que la nouvelle administration « va apprendre de nouveau aux étudiants qui ont déjà fait de nombreux stages ». « Ne serait-ce pas simplement une perte de temps ? », se demande-t-il, tout en invitant les étudiants à la patience. D’autres parents craignent plutôt pour les dépenses qu’engendrerait cette mesure de recyclage.
Le cas Gloria Kpédjo
Gloria Kpédjo est une étudiante du lot qui a déjà soutenu. Cette situation constitue un acte discriminatoire, selon les étudiants. Ces derniers estiment qu’en autorisant cette étudiante, l’administration de l’Enstic devrait faire de même envers eux. « Cet état de choses rend directement tous les autres étudiants de la promotion aptes à soutenir leurs mémoires du moment qu’ils remplissent totalement les conditions », soutiennent-ils.
A cette accusation, la nouvelle administration répond qu’il s’agit d’une autorisation de soutenance par anticipation et sous réserve. A en croire Jean Euloge Gbaguidi, c’est sur pression des enseignants venus de Savalou sous prétexte que l’étudiante s’apprêtait à aller au Burkina pour son Master qu’il a dû autoriser cette soutenance. Pour Jean Euloge Gbaguidi comme pour Serge Armel Attènoukon, son adjoint, rien n’est encore acquis quant à cette soutenance tant que cette étudiante n’aura pas épuisé les unités d’enseignement qu’elle traîne. « Si j’ai autorisé qu’elle soutienne, c’est pour éviter d’être accusé de l’empêcher d’aller étudier à l’étranger. Ils m’ont présenté à trois jours de son départ pour le Burkina, une liste sur laquelle figurait son nom », explique Jean Euloge Gbaguidi.
Les conditions de soutenance
Selon l’article 25 de l’arrêté 2012-710/MESRS/CAB/DC/SGM/DRFM/DGES/R-UAC/R-UP/SA du 31 décembre 2012, un apprenant inscrit en Licence n’est autorisé à soutenir son mémoire que s’il « a validé l’ensemble des unités d’enseignement (Ue) qui composent son parcours de formation ». A la lumière de ces dispositions, le directeur indique qu’ils ne sont qu’une vingtaine d’étudiants à être à jour, le reste devant, selon lui, être considéré comme des redoublants. Mais pour sauver la situation, laisse-t-il entendre, l’administration ne tient pas rigueur à cette exigence ?
Alain ALLABI