L’effectif minoritaire des femmes et des enfants en détention n’exclut pas les problèmes spécifiques auxquels ces deux couches sont confrontées dans les maisons d’arrêt du Bénin. Dans cette interview, Inès Hadonou Toffoun, enseignante chercheure à la faculté de droit de l’Université de Parakou, et actuelle directrice de l’Administration pénitentiaire et de la Protection des droits humains au ministère de la Justice et de la Législation, lève un coin de voile sur les défis et perspectives du Bénin pour soulager, tant soit peu, les conditions de vie carcérale de ces cibles.
La Nation : Quel est l’état des lieux de nos maisons d’arrêt ?
Inès Hadonou Toffoun : Avec le nouveau décret portant attributions, organisation et fonctionnement du ministère, la direction des Droits de l’Homme (Ddh), et la direction de l’Administration pénitentiaire et de l’action sociale (Dapas) ont été fusionnées en une seule direction qu’on appelle aujourd’hui la direction de l’administration pénitentiaire et de la Protection des droits humains (Dappdh). A ce titre, j’ai parcouru les prisons civiles d’Abomey et de Parakou, juste au lendemain de ma prise de service. C’étaient mes premiers contacts avec les détenus. Depuis lors, j’ai visité plusieurs fois toutes les dix prisons du Bénin afin de m’enquérir des conditions de vie carcérale des détenus. Les premières rencontres avec les pensionnaires n’étaient pas chose aisée. Au-delà de ce qui est visible, beaucoup de choses ne sont pas accessibles à tous parce que c’est un milieu délicat avec ses hauts et ses bas. Heureusement, aujourd’hui avec la fusion de la direction des Droits de l’Homme à la dénomination du ministère en charge de la Justice, beaucoup de réformes sont en cours en vue de l’application effective des droits humains dans les milieux carcéraux.
Vous soulignez la protection des droits humains. Quels sont les efforts de votre direction en matière d’appui au suivi des procédures judiciaires ?
La direction de l’Administration pénitentiaire et de la Protection des droits humains n’a pas pour compétence directe le suivi des dossiers. Toutefois, puisqu’il y a surpopulation carcérale, nous nous sommes rapprochés des présidents de juridictions pour voir dans quelle mesure collaborer. Au lieu qu’il y ait une seule audience de flagrant délit par mois, nous en avons obtenu trois dans certaines juridictions, et deux dans d’autres. Du coup, nous observons que cette démarche a commencé par désengorger un peu les prisons. Avec la nouvelle politique pénale carcérale du Gouvernement, nous avons une vision de nos défis. Et c’est la toute première fois qu’un gouvernement détermine de façon explicite la ligne de conduite en matière pénale sans qu’on ne puisse parler du droit d’injonction ou d’immixtion dans les procédures pénales.
D’après vos observations sur le terrain, quelles sont les charges qui retiennent généralement les femmes et les enfants dans les liens de la détention ?
Il faut dire que les femmes détenues se retrouvent dans nos maisons de détention pour des questions mineures comme la bagarre, parce qu’il y a des circonstances qui amènent le juge à qualifier ces faits d’abus de confiance. Il arrive aussi que les époux, par manque de responsabilité, ne jouent pas convenablement leurs rôles premiers. Dans ces conditions, tout tombe sur le dos de la femme qui doit s’autonomiser d’une certaine façon et tombent ainsi dans certains travers. Mais je n’occulte pas le fait que certaines femmes sont privées de liberté pour des faits majeurs, comme les cas d’assassinat et de meurtre. Sauf que ces cas sont rares.
Parlant des femmes détenues, quelle attention particulière est accordée à celles qui sont en état de grossesse ?
Ce n’est pas parce que la femme est enceinte que la loi sera plus douce. La loi s’applique uniformément à tout le monde. Il n’y a pas de primeur ou de conditions atténuantes lorsqu’une détenue est enceinte.
Quels sont les moyens juridiques dont dispose le Bénin pour soulager les femmes en détention ?
La place qui est la mienne aujourd’hui est un peu délicate pour aborder ces préoccupations, mais j’avoue, à mon corps défendant, que la femme vit une situation de double détention dans la mesure où, pour éviter toute question de harcèlement et de violence, elle est doublement surveillée. Elle ne sort de son bâtiment que lorsqu’un autre détenu surveillant le décide. Elle peut avoir de la visite, mais ce dernier peut opposer qu’on lui rende visite pour une raison ou pour une autre. Du coup, en plus de la détention que les autres vivent, la femme rencontre beaucoup d’obstacles pour voir diminuer sa peine en milieu carcéral. Nous allons peut-être envisager, à terme, une maison carcérale spécifiquement réservée aux femmes.
Sur ce point justement, qu’est-ce qui est fait déjà pour soulager les peines des filles mineures détenues?
Sur toute l’étendue du territoire national, nous comptons à peine deux filles mineures en conflit avec la loi. Par manque de bâtiments et de moyens aujourd’hui, il ne serait pas aisé de leur créer une situation particulière. Ce sera difficile, vu qu’elles constituent une donnée minimale.
Au regard de la situation carcérale du pays, que faire, selon vous, pour que la politique nationale et les processus applicables au système carcéral puissent répondre efficacement aux besoins spécifiques des femmes ?
Par rapport à cette préoccupation, il y a une grande réforme en cours. Les réflexions sont assez avancées sur la question. Je ne vais pas m’attarder là-dessus, mais la société pourra apprécier prochainement les réformes en cours au profit des maisons d’arrêt.
Qu’en-est-il des détenus mineurs et la part de responsabilité des parents ?
Parlant des détenus mineurs, il faut distinguer trois différents cas. Ceux qui accompagnent leurs mères en prison, ceux qui y sont nés et dont les mamans sont détenues et ceux en conflit avec la loi. Pour les deux premiers cas, nous ne saurons parler de fuite de responsabilité des parents puisque qu’ils sont avec leurs mamans qui se retrouvent dans une procédure judiciaire. La société ayant démissionné, il n’y a personne pour récupérer ces enfants. Ils sont donc obligés d’accompagner leurs mères en détention et vivent la détention au même titre que les femmes détenues. En ce qui concerne la catégorie des enfants en conflit avec la loi, nous distinguons également deux cas en fonction du milieu sociologique. Nous assistons à l’abandon des enfants. Ces derniers dont on vole l’enfance, sont obligés de se prendre en charge eux-mêmes.
Ils ne sont sous le couvert de personne et rentrent donc inconsciemment dans des travers de la loi. Du fait aussi de l’irresponsabilité des parents, il y en a parmi les enfants qui se retrouvent en prison. Mais chose curieuse, la société les abandonne. Et lorsqu’ils finissent de purger leurs peines, il n’y a personne pour les récupérer. De quelle réinsertion sociale peut-on parler lorsque ces enfants sont abandonnés à leur propre sort ? A l’âge adulte, ils peuvent se retrouver encore en prison, parce qu’ils ne bénéficient d’aucun suivi. L’autre catégorie, ce sont les enfants qui, de par leurs comportements, contraignent leurs parents à les laisser faire l’expérience de la vie carcérale. Ces parents qui sont dans la perspective d’éducation de leurs enfants leur rendent visite en prison et contribuent progressivement à leur réintégration sociale.
Ces enfants en situation carcérale bénéficient-ils d’un suivi dans ces milieux ?
Les mineurs bénéficient de certains privilèges de par l’administration pénitentiaire, le régisseur, certaines Ong sans oublier le concours de l’Unicef qui vient en appui à tous ces efforts. Le Bénin enregistre aujourd’hui deux ‘’tribunaux amis des enfants’’, qui essayent de suivre la cible avec l’aide des assistants sociaux.
Le 20 février prochain sera la Journée internationale de la Justice sociale. Quel message avez-vous à lancer en direction des femmes détenues et de la société entière ?
Je vais combiner la journée du 20 février, Journée internationale de la Justice sociale à celle du 1er mars, journée mondiale de la protection civile et celle du 20 mars, Journée mondiale du bonheur, pour souligner que la population béninoise doit cesser les stigmatisations envers les détenus. Chaque citoyen est un potentiel détenu. Ce n’est pas parce qu’un individu a fait la prison qu’il est forcément un délinquant. Un citoyen peut se retrouver dans ce milieu parce que sa chance a tourné autrement. De la même manière, quelqu’un d’autre peut s’y retrouver parce qu’il a effectivement commis un forfait. Les deux cas existent. Mais les cas de malefortune ne devraient pas amener la population à stigmatiser les détenus, en ce sens que la prison est un lieu pour corriger ce que la société n’est peut-être pas arrivée à faire. Il faudrait que la population puisse être éduquée dans ce sens afin de corriger son approche de la détention.
Pour les prisonniers, une chose est de recouvrer la liberté, l’autre est de bénéficier d’une réinsertion sociale. Quels sont les défis à relever dans ce sens ?
L’un de nos plus gros chantiers aujourd’hui, c’est la question de la réinsertion sociale de ceux qui recouvrent leur liberté. Il ne s’agit plus de la détention punitive. Dans le Plan de travail annuel du ministère de la Justice et de la Législation, il est prévu un budget important pour l’atteinte de cet objectif. Nous envisageons d’aller au Burkina Faso en vue de nous inspirer du modèle de ce pays en la matière. Nous irons au cas par cas. En dehors des différents ateliers que nous prévoyons, nous installerons progressivement des fermes pénitentiaires, avec le soutien de l’Etat afin de suivre aussi bien les pensionnaires de nos maisons d’arrêt que ceux qui en sont déjà sortis. Tout partira de la volonté des prisonniers, afin que notre démarche ne soit pas assimilée à un travail forcé. Ce sont des réformes auxquelles nous pensons. Nous y arriverons?
Maryse ASSOGBADJO