Quatre femmes, de 15 à 75 ans, se reposent hébétées sur leur lit d’hôpital. Leur visage a été brûlé, l’une souffre d’une grave fracture à la jambe, après une offensive de l’armée nigériane dans leur village contre des combattants de Boko Haram.
Victimes collatérales d’un conflit meurtrier qui fait rage dans le nord-est du Nigeria depuis près de 8 ans, elles attendent que leurs blessures cicatrisent dans l’odeur inconfortable de la petite clinique d’une ville récemment « re-sécurisée ».
« Boko Haram venait régulièrement se ravitailler dans leur village. Les soldats sont arrivés et ont entassé les femmes dans un camion pour les évacuer », explique un infirmier à l’AFP, sous couvert d’anonymat. « Avant de partir, ils ont mis le feu aux maisons pour éviter que les insurgés ne reviennent. Malheureusement, le feu a atteint le camion ».
Ces villageoises, fichu sur la tête et anneau doré dans le nez, comme le veut la tradition kanuri – ethnie qui compose en immense majorité la faction de Boko Haram opérant dans cette zone – portent encore la terreur dans leurs yeux.
Elles fixent les murs et ignorent les visiteurs de peur que les questions ne se fassent trop insistantes sur les circonstances de la « libération » de leur village.
Où sont passés les hommes ? « Il n’y en avait plus », coupe l’infirmier. Tués dans les combats, engagés dans les milices civiles, avec les jihadistes de Boko Haram… Ou peut-être encore dans les centres de « vérification », où les militaires jugent de l’engagement des hommes dans l’insurrection. Un processus qui peut durer des semaines ou des mois, en particulier si les hommes sont d’origine kanuri.
Les combattants de Boko Haram « sont des citoyens ordinaires du Nigeria, ce qui explique la difficulté extrême à régler cette crise », relève James Adewunmi Falode, professeur en Relations Internationales et Stratégies de l’université de Lagos.
« Ce ne sont pas des adversaires militaires qu’on peut identifier et détruire sur le champ de bataille », analyse ce chercheur spécialiste du conflit. Chaque villageois – même les femmes et les enfants, de plus en plus utilisés comme bombes humaines – est une menace potentielle dès lors qu’il n’est pas sous surveillance militaire.
A Dikwa, sur la route vers le Cameroun, la vie a retrouvé un calme précaire. Un soldat confie ainsi que les militaires sont engagés dans un processus « de pacification et de reconstruction de la confiance avec la population ».
– Asphyxie –
Tout autour de Dikwa, comme de la douzaine de grandes villes « re-sécurisées », les villages ont été vidés de leurs résidents, pour qu’ils ne deviennent plus des refuges pour les jihadistes, des points de ravitaillement, de pillages ou que les habitants ne soient plus kidnappés en masse pour alimenter les rangs du groupe.
Bulama Goni, ancien chef de village à la barbe blanche, vêtu d’une longue tunique, affirme à l’AFP que « Boko Haram ne récite même plus le Coran. Ils viennent juste nous voler de l’argent. Ce sont des criminels, qui ont l’air de mendiants dégoûtants ».
Des mendiants « dégoûtants » et affamés: l’armée nigériane a décidé d’asphyxier la rébellion jihadiste, de la couper de tout approvisionnement en armes et en nourriture.
La stratégie porte ses fruits en apparence, puisque Boko Haram, qui autrefois pouvait mener des raids dans les grandes villes du nord-est du Nigeria ne mène plus que sporadiquement des attentats-suicides ou des embuscades contre des barrages militaires.
Mais cette stratégie de l’isolement n’a pas permis pas de sécuriser l’ensemble du territoire et affecte durablement la vie quotidienne des civils, alors que plus de 5 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire dans le nord-est du Nigeria, selon les Nations Unies. 2,6 millions ont dû fuir leurs foyers.
« Dans les zones libérées, l’armée contrôle tout: les routes, les communications, le pétrole, l’accès à la nourriture », constate un responsable sécurité d’une grande ONG internationale. « C’est une tactique classique de contre-insurrection, calquée sur le Vietnam. Mais cette stratégie n’est pas viable sur le long terme », estime-t-il.
Monguno, dans l’extrême nord-est du Nigeria, est un ancien carrefour commercial aux confins du lac Tchad qui abrite 100.000 déplacés dans des camps et survit grâce à la réouverture de la route. Le moindre commerce et le transit de nourriture sont étroitement surveillés par l’armée.
Dans une école reconvertie en camp, 27.000 personnes attendent des distributions alimentaires. Selon le coordinateur de l’agence de gestion des urgences, Ibrahim Maina, les dernières ont eu lieu en novembre 2016 et la faim rôde sur les visages.
Pour nourrir sa famille, Muhammadu Sanni, se rend une fois par semaine sur les rives du lac pour attraper des poissons-chats. Depuis décembre, la route vers Bagga a été rouverte. « Mais je ne peux pas en pêcher beaucoup », raconte-t-il en arrangeant son filet en nylon. « Si les soldats m’arrêtent sur la route avec du poisson, ils vont m’accuser de le vendre à Boko Haram ».
par Sophie BOUILLON