La décision de la Cour Constitutionnelle au sujet du contrôle de constitutionnalité de la loi sur le Partenariat public-privé rendue publique le jeudi dernier suscite une vague de réactions. A travers leurs analyses, les juristes Michel Adjaka, Ibrahim Salami et Dandi Gnamou se prononcent sur cette décision et exposent ses implications.
Ibrahim Salami, Professeur agrégé de droit public
« …Toutes les décisions qui sont prises sur la base de cette loi tombent, y compris les décrets d’application, les contrats signés… »
Si la loi n’est pas conforme à la Constitution, elle n’entre pas en vigueur. Ici, la loi est déjà entrée en vigueur. C’est pour cela que la Cour dit qu’elle ne peut être mise en application en l’état. Ça veut dire qu’il va falloir faire les formalités nécessaires pour que cette loi puisse à nouveau entrer en vigueur. En attendant cela, on considère que la loi n’existe pas. Ça veut dire que toutes les décisions qui sont prises sur la base de cette loi tombent, y compris les décrets d’application, les contrats signés. Mais il convient de se demander si le Chef de l’Etat a encore une marge de manœuvre. Lui, personnellement, non. Lorsqu’on a affaire à des lois ordinaires ou organiques, avant leur entrée en vigueur, le Chef de l’Etat et les députés peuvent saisir la Cour. La saisine de la Cour suspend le délai de promulgation qui est de 15 jours, après la transmission par l’Assemblée nationale. A partir du moment où les 15 jours sont passés après la transmission, le Chef de l’Etat perd la main. Ayant perdu la main, on va activer l’article 57 de la Constitution qui permet au Président de l’Assemblée nationale de saisir la Cour constitutionnelle en disant « Le texte a été transmis depuis, il n’y a pas promulgation du fait de la décision de la Cour. Maintenant, on vous demande de contrôler sa constitutionalité et de mettre en application la loi sur le Partenariat public privé. Et là, la Cour sera obligée de faire un contrôle de forme, de procédure et de fonds.
Il était convenu depuis l’avènement du Renouveau démocratique que le contrôle des lois ordinaires est facultatif. On ne peut donc pas arguer de ce que la loi ordinaire n’a pas été soumise au contrôle de constitutionnalité de la Cour pour dire qu’elle est irrégulière. Il se trouve qu’on a affaire à une loi ordinaire, et que, cette fois-ci, le gouvernement ne l’a pas soumis au contrôle préalable de la Cour. Il y a donc vice de procédure et le Chef de l’Etat a méconnu la Constitution. Il faut expliquer cela par le fait que le caractère facultatif du contrôle des lois ordinaires est un principe acquis par la jurisprudence et par la doctrine. Mais le précédent ne faisant pas droit, le Gouvernement a jugé qu’il pouvait ne pas soumettre cette loi au contrôle de constitutionnalité. Ce qui est vrai jusqu’à ce que la décision de la Cour soit rendue. Et c’est là que le gouvernement s’est fait avoir. On ne pouvait pas penser que la Cour pouvait changer cette lecture de la Constitution. La Cour dit désormais, ne pas soumettre, même les lois organiques au contrôle de constitutionalité est contraire à la Constitution. C’est pour cela qu’elle fait remarquer que le Chef de l’Etat a méconnu la Constitution. Ça veut dire que, de façon systématique, toutes les lois doivent être désormais soumises au contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation. Quand on regarde cette décision de la Cour, elle se base sur l’article 117 de la Constitution qui dit « sont obligatoirement soumises au contrôle de constitutionnalité, les lois organiques et les lois en général ». S’appuyant sur cette portion de phrase, la Cour a finalement dit qu’il s’agit d’une interprétation littérale de la Constitution qu’il faut restituer. Il faut désormais soumettre les lois au contrôle de constitutionnalité. Mais la Cour est allée plus loin. Elle allie le régime juridique des lois ordinaires sur celui des lois organiques, ce qui n’est pas évident. En France, ce n’est pas le cas. Mais la Cour dit cela. Elle va plus loin en disant que ce n’est plus facultatif ; ne pas soumettre est contraire à la Constitution, et elle ajoute que ne pas soumettre la loi ordinaire au contrôle de constitutionnalité est un vice de procédure substantiel’’. On parle de vice de procédure quand il s’agit de la forme, mais pas du fond. Mais la Cour ajoute le mot ‘’Substantiel’’. Ce qui amène à dire qu’elle accorde une importance capitale à cette procédure. Elle ajoute : ‘’Ne pas le faire affecte sa validité et la mise en application de la décision. C’est une façon de dire, ne pas soumettre, c’est contraire à la Constitution.
Dandi Gnamou, Agrégée à la faculté de droits
« …Il va falloir envoyer la loi pour un contrôle de constitutionnalité auprès du juge constitutionnel… »
La première implication, c’est qu’il n’est plus besoin désormais pour les citoyens de remettre en cause la loi. Ils pourront remettre en cause les actes qui auront été pris en application de la loi. Mais, systématiquement, on n’aura plus un individu qui pourra réclamer le contrôle de constitutionnalité d’une loi déjà promulguée, parce qu’elle aurait déjà le contrôle de constitutionnalité. Et puisque les décisions de la Cour sont sans recours et qu’elles ont une autorité de la chose définitive jugée, la Cour ne peut pas se déjuger.
La deuxième conséquence qui, pour moi, n’est pas si grave, c’est que, au niveau du Gouvernement, il va falloir envoyer la loi pour un contrôle de constitutionnalité auprès du juge constitutionnel. Parce que tant que le contrôle de constitutionnalité n’a pas été fait, le juge considère que si le contrôle préalable avant la promulgation n’est pas fait, c’est un vice substantiel. Et ce vice substantiel fait qu’on ne pourra pas promulguer la loi. Il faut donc nécessairement qu’elle soit promulguée. Il reste toutefois que si le président de la République ne promulgue pas, et qu’un député conteste, la Cour constitutionnelle a aussi le droit de déclarer désormais la loi qui entre en vigueur dans l’ordre juridique, puisqu’elle a la possibilité de se substituer en respectant un certain délai au Président de la République pour effacer la question de la promulgation.
L’une des conséquences de cette jurisprudence aussi, c’est que depuis le 8 juillet 2006, le juge constitutionnel se réclame compétent pour contrôler la Constitutionnalité des lois constitutionnelles. Cela veut dire que, même une loi constitutionnelle qui serait adoptée, avant sa promulgation, devra nécessairement passer au contrôle de constitutionnalité de la loi.
La rédaction