Le Bénin s’est distingué au 25e Fespaco en remportant, le 4 mars dernier, l’Etalon d’argent de Yennenga pour le film ‘’L’orage africain’’ de Sylvestre Amoussou. Après le Prix du meilleur son et celui du meilleur décor pour ‘’Africa Paradis’’ à la 20e édition du Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou, le réalisateur béninois résidant depuis 1981 en France confirme tout son engagement à porter haut l’étendard du cinéma de son pays mal en point et à voir l’Afrique redorer l’image que les occidentaux présentent d’elle. Panafricaniste convaincu, il porte un regard critique sur les relations entre le continent africain et l’Occident à travers des films dont il évoque dans cet entretien la trame jugée aussi surréaliste qu’utopique par les critiques. Sans manquer d’admonester la responsabilité des dirigeants africains dans les mauvaises passes et fortunes du continent et nourrir le rêve d’une Afrique unie et prospère.
La Nation : Qu’est-ce qui a amené Sylvestre Amoussou au cinéma ?
Sylvestre Amoussou : Ce sont avant tout les injustices et tout ce qui ne va pas dans notre monde. Le fait de vivre en Europe nous impose ce devoir de rétablir une certaine vérité par rapport au regard que l’Occident porte sur le continent africain. Il est intéressant pour nous Africains de la diaspora de nous battre pour changer l’image du continent. Nos dirigeants sont des irresponsables et c’est difficile de comprendre qu’en dépit de toutes les richesses dont l’Afrique regorge, beaucoup de disparités existent. On nous a assez infantilisés et il faut que ça cesse. La meilleure réponse que les Africains pourraient apporter au monde c’est prendre conscience de leurs responsabilités et œuvrer à changer positivement l’image du continent. On ne peut pas dépendre éternellement des autres. On ne va pas continuer à nous avilir. La politique africaine et béninoise ne peut pas se décider en France. Je suis un panafricaniste convaincu qui n’accepte pas ces injustices. Je suis très attaché à l’Afrique. On a tout en Afrique et on ne s’en rend pas compte. L’Afrique, ce n’est pas uniquement ces cases où des enfants meurent de faim. Au lieu que l’Afrique discute d’égal à égal avec l’Occident elle s’abaisse. Il faut dans toutes relations le respect mutuel. Quand un chef d’Etat africain est malade, il va en Occident. N’y a-t-il pas d’hôpitaux de renom sur le continent ? Pourquoi ne travaillons-nous pas à ériger sur notre continent les mêmes hôpitaux qui soignent nos dirigeants en Occident ? Nous avons tellement de choses positives à montrer au reste du monde qu’il serait dévalorisant de faire un film qui vilipende l’Afrique. En bon panafricaniste et croyant en l’Afrique je ne le ferai jamais. Les enfants d’Afrique ont le même sang qui coule dans les veines de ceux de l’Occident ; il leur appartient de montrer ce dont ils sont capables.
Pensez-vous réellement qu’avec le cinéma on pourrait changer l’image du continent ?
Le cinéma peut éduquer, sensibiliser et redonner confiance aux Africains. Je ne dévaloriserai jamais l’Afrique. L’image tronquée que l’on montre de l’Afrique à travers l’actualité n’est pas celle du continent tout simplement parce que l’Afrique ce n’est pas que la misère, la guerre. Il y a également ces tares en Europe. Ne pensons pas que la misère soit uniquement sur le continent africain. Il y a des ghettos en Europe aussi. Les gens dorment dans la rue. Nous avons des potentialités que nous n’exploitons pas, laissant le soin à l’Occident de nous spolier. Les institutions financières ont été faites pour détruire l’Afrique. On ne peut pas nous imposer des programmes d’ajustement structurel qui ne tiennent nullement compte de nos réalités. La première puissance au monde aujourd’hui c’est la Chine mais nos dirigeants continuent de courir vers l’Occident tout le temps et n’arrivent pas à réfléchir par eux-mêmes. Et ils ignorent que la politique française est faite pour dépouiller l’Afrique. Sur le continent, il faut une armée de défense pour défendre les intérêts africains. Et le cinéma fait partie de ces moyens. Il faut une prise de conscience pour inverser les tendances.
A vous entendre, il n’y a pas de modèles en Afrique ?
Je n’admire personne. Le continent africain appartient au peuple et les dirigeants ne sont rien que des serviteurs de ce peuple. Les gens souffrent beaucoup. On les traite pire que des chiens. En Europe les chiens sont mieux traités que les enfants d’Afrique. Par la faute de ses dirigeants, l’Afrique croupit sous le poids de la misère. Et au lieu que ces dirigeants cherchent à encourager les valeurs qui contribuent au développement du continent, ils vont décerner des distinctions à ceux qui martyrisent les Africains en Occident.
Filmographie de Sylvestre Amoussou
Comme acteur
(1988) Black Mic-Mac 2
(1994) Élisa
(1995) Fantôme avec chauffeur
(1996) Delphine 1, Yvan 0 de Dominique Farrugia
(2002) Paris selon Moussa
(2003) Rire et châtiment, d’ Isabelle Doval
(2005) Le Grand appartement, de Pascal Thomas
Comme réalisateur
(1997) : Court-métrage "Les Scorpionnes"
(1999) : Série de trois épisodes "Achille"
(2001) : Court-métrage "Africa Paradis"
Comme acteur et réalisateur
(2006) : Film Africa Paradis
(2011) Un pas en avant - les dessous de la corruption
(2016) L’orage africain
Kokouvi EKLOU A/R Atacora-Donga