Le débat s’ouvre progressivement autour du processus de révision de la Constitution. L’ancien Bâtonnier Jacques Migan salue l’initiative et expose, à travers cette interview, les enjeux de la révision de la Loi fondamentale. Le Directeur du Centre International de Formation en Afrique des Avocats Francophones (Cifaf) a aussi levé les équivoques sur les voies possibles de révision prévues par la Constitution.
Que pensez-vous des tractations en cours pour aboutir à la révision de la Constitution ?
Les tractations sont logiques, et la mobilisation en vue d’un consensus minimum autour de la question est nécessaire. La révision de la Constitution n’est pas un acte anodin, ce n’est pas le vote ou la modification d’une loi ordinaire. Pour cela, il faut une majorité qualifiée pour ce faire. Celle-ci ne peut être atteinte sans un minimum de tractations. La Constitution a elle-même prévu les modalités et la procédure de sa révision. Contrairement à une idée communément répandue, il est donc loisible d’abroger, de modifier, de compléter ou d’amender des dispositions constitutionnelles ou de valeur constitutionnelle, par les autorités compétentes et dans l’une des formes prescrites par la Constitution.
Rien donc ne s’oppose à ce que soient introduites dans la Loi fondamentale des dispositions nouvelles dérogeant explicitement ou implicitement à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle.
Il s’agit d’une procédure à deux niveaux. Il y a d’abord la validation de la proposition ou du projet de révision, ensuite la validation de la révision proprement dite.
L’article 154 de la Constitution béninoise prévoit que l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, après décision prise en Conseil des ministres, et aux membres de l’Assemblée nationale. Pour être pris en considération, le projet, ou la proposition de révision, doit être voté à la majorité des trois quarts des membres composant l’Assemblée Nationale.
Ainsi comme pour les lois ordinaires (article 105 de la Constitution), l’initiative de la révision de la Constitution peut être prise soit par le Président de la République (projet de révision), soit par l’Assemblée nationale (proposition de révision). L’initiative du Président de la République se prend, dans un cas comme dans l’autre, après délibération en Conseil des Ministres.
C’est la majorité à laquelle les projets et propositions de loi et de révision constitutionnelle se font qui distingue les deux domaines. Si pour la loi, seule la majorité simple est requise, pour la révision constitutionnelle, il faut une majorité des trois quarts des membres composant l’Assemblée nationale.
Mais comme nous le verrons à l’article 155, cette majorité des trois quarts n’est en réalité pas suffisante par elle-même pour que la révision soit validée. Mais à cette étape, l’idée ou l’initiative de la révision est acquise.
Maintenant, nous avons l’article 155 qui nous enseigne que la révision n’est acquise qu’après avoir été approuvée par référendum sauf si le projet ou la proposition en cours a été approuvé à la majorité des 4 /5 des membres de l’Assemblée Nationale, c’est la deuxième possibilité. C’est à dire qu’on peut ne pas aller devant le peuple en vertu de l’article 155.
Cela signifie que si la représentation nationale approuve le projet de révision à la majorité qualifiée des 4/5, point n’est besoin d’aller à référendum. La validation du projet de révision par le peuple (référendum) n’est exigée que lorsque le projet de révision ne rencontre pas l’assentiment des 4/5 des membres composant l’Assemblée.
Nous l’avions dit, la révision de la Loi fondamentale n’est pas un acte anodin. Aussi, le constituant a-t-il jugé utile de poser des garde-fous, des verrous, des mesures de sûreté afin de limiter des initiatives de révision qui heurteraient les options fondamentales de notre Constitution. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les dispositions de l’article 156. En l’espèce, trois questions jugées fondamentales ne doivent pas faire l’objet de révision. Ce sont l’intégrité du territoire, la forme républicaine de l’Etat et enfin la laïcité de l’Etat.
Ces différents cas constituent la ligne rouge que le Constituant originaire a tracée. Est-ce que le projet de réforme initié par le Président Patrice Talon concerne l’un ou l’autre de ces cas ?
Pensez-vous quand même que la révision de la Constitution aboutira ?
Ecoutez ! Quel que soit le pays, avant d’aller à la révision de la Constitution, il y a toujours des tractations. Le gouvernement, si c’est lui qui prend l’initiative, et qu’il se confirme qu’à l’Assemblée Nationale, il a la majorité qualifiée des 4/5, la procédure aboutira aisément. S’il y a une identité de vue entre le Président de la République et les députés, le projet sera amendé sans passer par la voie référendaire.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’opportunité de la révision puisque c’est souvent la question centrale du débat. D’abord, il faut dire que le peuple béninois ne peut crier haro sur le projet de révision parce que cela fait partie des axes prioritaires du projet de société du Président Talon, alors candidat aux élections présidentielles. Et ce projet a été approuvé, qu’il vous souvienne, à la majorité de 65% des votants.
Ensuite, l’initiative de révision est salutaire parce que cela permettra de satisfaire à certaines exigences contemporaines comme par exemple la création de la Cour des Comptes en lieu et place de la Chambre des Comptes sur recommandation de l’Uemoa ou encore la réforme de la Haute Cour de Justice. A ce niveau, il serait même intéressant d’envisager la création d’un Tribunal criminel spécial, compétent pour connaître des infractions commises, notamment les détournements des deniers publics par les ministres et hauts fonctionnaires de l’Etat. La saisine de l’organe serait simplifiée pour des questions d’efficacité.
D’autres points de la réforme concerneraient le renforcement du pouvoir judiciaire et de son indépendance avec comme par exemple la création d’un Conseil supérieur de la Justice en lieu et place du Conseil supérieur de la magistrature dépolitisé mais avec une composition étendue à d’autres représentants des professions judiciaires comme par exemple les Avocats, les Notaires, les Huissiers, les Greffiers, les Commissaires-priseurs etc…
Il a également été mentionné le mandat unique. Nous avions déjà dit depuis quelques années qu’il faudrait aller au mandat unique. Nous sommes pour le mandat unique. Nous sommes en train d’apprendre que le délai de ce mandat unique sera de 06 ans. Pourquoi pas ! Nous, nous avions proposé antan 07 ans mais 06 ans, c’est presque pareil. Parce que l’expérience du mandat renouvelable conduit dans bien des cas à la démagogie, au clientélisme politique dans la perspective d’un renouvellement de mandat.
Alors que si aujourd’hui, nous prenons exemple sur le président Talon qui dit qu’il fera un mandat unique, il est complètement débarrassé des jeux politiques en vue d’un second mandat. Aujourd’hui, on peut dire que dans deux ou trois mois, le pays sera en chantier suite aux décisions qui sont en train d’être prises dans l’intérêt de l’Etat comme par exemple le déguerpissement que nous sommes en train de connaitre ou la destruction de ce qu’on appelle les faux médicaments parce que le chef de l’Etat sait qu’il peut se le permettre, n’ayant pas d’autres ambitions après la fin de son mandat, si ce n’est la satisfaction d’avoir contribué à la visibilité et au développement de son pays.
Pour finir, que diriez-vous à toutes les parties concernées afin qu’au-delà de tout, la paix et la démocratie soient sauvegardées ?
Vous savez, le Bénin est un pays qui innove et qui sert de guide. Nous sommes un exemple parce que nous sommes un pays de paix, parce que notre démocratie fonctionne. Aujourd’hui sur l’échiquier africain nous constituons le pays où depuis le renouveau démocratique, l’alternance est une réalité et quand on parle de démocratie, on parle de paix. Je crois qu’autour de nous, on entend ce qui se passe dans les pays voisins. Tout autour de nous, ça bouge dans le sens de l’insécurité, ça bouge dans tous les sens, il n’y a pas de paix ! Mais nous, nous avons la paix et il faudrait que nous fassions tout pour la sauvegarder. Et les réformes dont on parle vont dans ce sens. Je demande donc aux Béninois de tout faire pour préserver cette paix, cette démocratie que nous avons. Créons les conditions pour qu’elles soient sauvegardées.
La rédaction