Par Odon Vallet
Le philanthrope français, spécialiste des religions, fait un état des lieux sans concession du système carcéral béninois.
Le Monde Afrique a publié récemment, en partenariat avec la revue Afrique contemporaine, une série de reportages montrant la situation très alarmante dans les prisons africaines. Il m’a semblé important d’apporter un éclairage sur le Bénin, un pays que je connais bien. Par le biais de ma fondation [en tant que philanthrope, Odon Vallet intervient beaucoup dans l’éducation au Bénin et offre notamment plus de mille bourses par an aux étudiants les plus méritants], j’ai pu me rendre à plusieurs reprises dans des centres de détention de ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Il faut d’abord savoir que la plupart des ONG sont peu présentes à l’intérieur des lieux d’enfermement béninois. La prison d’Abomey, au centre du pays, est dans un état épouvantable. Les détenus adultes survivent à 120 dans un espace de 72 m² ! Dans le quartier des mineurs, ils s’entassent à 20 dans 18 m². Ceux qui n’ont pas de visiteurs, pas de familles ou d’amis, n’ont droit qu’à un seul repas par jour. Vêtus de haillons, ils sont totalement désœuvrés toute la journée.
« Catalogue de microbes »
L’eau constitue un autre problème majeur. Elle est impropre à la consommation et considérée comme un vecteur de nombreuses maladies. Même s’il y a souvent un infirmier dans les prisons béninoises, il n’y a pas de médicament. Comme l’affirme un interne en médecine : « Une prison est un catalogue de microbes. » Les risques sanitaires sont énormes et les détenus souffrent souvent de graves problèmes de santé : infections urinaires, pulmonaires, gale…
Enfin, il faut comprendre que la vie dans une prison béninoise dépend aussi beaucoup des magistrats qui ont le droit de grève. De nombreux détenus restent des années en détention sans en avoir vu un seul. Lorsqu’ils passent enfin au tribunal, le juge s’arrange ensuite pour leur donner une peine équivalente à leur durée de détention. Le triste record est détenu par un prisonnier qui est resté 15 ans enfermé sans avoir vu un juge ! Certes, il avait commis un crime très grave, mais les procédures doivent être accélérées.
Les infractions ne sont pas tout à fait les mêmes qu’en France. Il y a beaucoup d’empoisonnements liés au vaudou, de vols de motos, de coupeurs de route… Chez les femmes, les jets d’acide sur le visage pour des affaires de jalousie sont assez fréquents, mais moins que les auteurs de violences conjugales. Fait nouveau, on croise aujourd’hui quelques cybercriminels. Il s’agit souvent d’hommes venant du Nigeria ou du Ghana, avec un niveau d’étude relativement élevé. Autre nouveauté, on peut rencontrer des hommes politiques, et notamment des maires condamnés pour corruption. On retiendra quand même que 80 % des détenus n’ont pas ou peu fréquenté l’école.
Des prisons où tout s’achète
Depuis 2013, la Fondation Vallet tente d’améliorer les conditions de vie des détenus béninois de Porto Novo, Parakou et Missérété. On apporte des médicaments, des produits d’hygiène, des vêtements et des repas. Dans la prison civile de Porto Novo, nous proposons également aux femmes de confectionner de petits sacs qu’elles peuvent vendre pour gagner de l’argent de poche et pouvoir survivre dans cette prison où tout s’achète, mais à des prix souvent très élevés.
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On a aussi créé une bibliothèque à Porto Novo comme à Missérété. Les livres sont nécessaires pour les détenus. Chaque bibliothèque compte un millier d’ouvrages et elles sont assez fréquentées. On y trouve des Lucky Luke, mais aussi des ouvrages spirituels. Une lutte contre la radicalisation se prépare longtemps en amont. A la prison de Missérété où se trouvent aussi des génocidaires du Rwanda, nous avons des livres sur l’islam, mais aussi la nouvelle traduction du Coran par Malek Chebel, des livres en arabe, d’autres sur les plus belles mosquées du monde…
Les détenus qui le souhaitent doivent avoir un contact avec la culture arabe, avec la pensée musulmane. Ils doivent pouvoir trouver des livres qui montrent un islam culturel et ouvert. C’est très important, car le risque de radicalisation est réel si on ne le prévient pas.
Les mineurs à l’école
Nous nous sommes aussi occupés du quartier des mineurs, qui sont généralement là pour des faits relativement peu importants comme des vols de tablettes numériques ou de téléphones portables. La fondation a pris contact avec le juge des mineurs et, avec l’assistante sociale, nous avons pu faire libérer 35 jeunes en trois ans, de façon anticipée. Comment fait-on ? Il faut d’abord verser au trésor public une caution et leur trouver un toit si leur famille n’en veut plus. Enfin, il faut un apprentissage ou un établissement scolaire. Sur les trente-cinq jeunes que nous avons fait libérer, deux ont malheureusement récidivé.
Pour permettre aux jeunes d’étudier, on leur a remis dans leur minuscule cellule de 9 m² où ils s’entassent jusqu’à 20, des livres de classe. En 2016, on a aidé un mineur, Marc. En classe de 3e, il avait été incarcéré pour un vol de portable début janvier. Il a finalement été libéré avant le mois de juin et a été reçu au BEPC avec mention « assez bien ». Il était le seul dans son collège dans ce cas. Mais ses camarades l’ont accusé d’être un sorcier, d’avoir des gris-gris et il a été menacé. La fondation l’a alors placé dans un collège où le taux de réussite au BEPC est de 20 %, contre 8 % ailleurs dans sa commune. Aujourd’hui, il va bien et nous croyons en lui. « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons », avait dit Victor Hugo.
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