Cotonou - Après des mois d'attente, le Parlement béninois doit examiner prochainement un projet de réforme constitutionnelle voulu par le chef de l'Etat, prévoyant notamment un mandat présidentiel unique. Mais le flou qui entoure le texte suscite la polémique dans ce petit pays ouest-africain.
Réformer le "modèle politique" est l'une des promesses de campagne du président Patrice Talon, élu il y a moins d'un an, après une carrière dans les affaires.
Parmi les mesures phares annoncées: limitation à un mandat présidentiel unique, création d'une Cour des Comptes et meilleur encadrement du financement des partis politiques.
Le président Talon s'est dit conscient que "toucher la Constitution est objet de beaucoup d'inquiétudes et de soupçons", tout en affirmant que des "retouches techniques" sont nécessaires pour faire "évoluer" la démocratie béninoise.
Mais l'opacité autour de cette réforme suscite de nombreuses inquiétudes à Cotonou, alors que le texte du projet n'a pas été publié.
"Il faut que le texte (...) soit disponible parce qu'au jour d'aujourd'hui, il est difficile d'accéder à son contenu", déplore auprès de l'AFP Me Charles Badou, avocat à la Cour. Le mouvement d'opposition "Mercredi noir" a de son côté prévu un sit-in jeudi à Porto Novo pour exiger, entre autres, la publication du projet.
En juin 2016, une Commission spéciale chargée de proposer un projet de modification de la Constitution - composée de personnalités des partis politiques et de la société civile - a remis son rapport d'une soixantaine de pages après de vifs débats.
Certaines questions, dont celle cruciale du mandat présidentiel (jusque-là renouvelable une fois), n'ont pas été tranchées de manière définitive.
Or le président Talon, qui avait annoncé en fanfare l'été dernier un référendum populaire sur sa réforme, semble avoir fait machine arrière en toute discrétion et privilégie désormais la voie parlementaire pour la faire adopter.
Le ministre de la Justice, Joseph Djogbénou, a annoncé le 7 mars que le texte était prêt à être soumis au Parlement dès ce mois-ci, tout en assurant qu'il n'y aurait pas de "remise en cause générale" de la loi fondamentale.
Le président espère désormais obtenir la majorité des 4/5e requise au Parlement, où il bénéficie d'un fort soutien. En décembre, les 83 députés béninois - tous bords confondus - avaient adopté à l'unanimité le budget 2017.
- Mandat unique, quel impact? -
Mais beaucoup - jusque dans l'hémicycle - dénoncent un étouffement du débat public et s'interrogent sur les motivations ayant poussé le président à lancer cette réforme, dans un pays dont les alternances démocratiques sont souvent citées en exemple.
Patrice Talon "s'apprête à réviser de gré ou de force" la Constitution, s'enflamme dans un communiqué Loth Houénou, du Parti des valeurs républicaines (opposition), appelant les députés à ne pas "cautionner" cette révision.
"Pourquoi veut-on réviser? Parce que la Constitution a 27 ans d'âge: c'est un argument trop facile", assène à l'AFP Victor Topanou, professeur de droit et ancien Garde des sceaux sous la présidence de Thomas Boni Yayi, prédécesseur de M. Talon.
"On veut juste faire une Constitution pour satisfaire son ego, pour prouver qu'on a réussi là où les autres régimes ont échoué", juge-t-il avec sarcasme.
Le principe du mandat unique divise également la classe politique. Avec cette mesure singulière sur un continent plus habitué aux dirigeants s'accrochant au pouvoir, Patrice Talon entend se poser en chef d'Etat moderne, aux yeux de ses partisans.
Pour un député, soutien du régime, ce mandat unique "répond fondamentalement à la nécessité de prendre des risques pour le développement".
"Dès que quelqu'un est élu, il commence déjà la campagne pour sa réélection, et cela devient un terreau fertile pour la complaisance et la corruption", explique-t-il.
La dernière mouture du projet de révision prévoit un seul mandat de 6 ans contre 5 actuellement, "parce qu'il fallait couper la poire entre ceux qui souhaitaient 7 et 5 ans", confie à l'AFP cet élu, proche du pouvoir, sous couvert d'anonymat.
Les détracteurs du projet redoutent au contraire des effets pervers, le chef de l'Etat n'ayant plus à craindre la sanction des urnes à la fin de son mandat.
Selon Hugues Agonkan, un député de l'opposition, le risque est que "dans une logique de mandat unique, le président n'a de comptes à rendre à personne".
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