Le départ d’Issa Hayatou de la tête de la confédération africaine de football est pour nombre d’observateurs, une libération pour le football africain. Mahamat Béchir, Chroniqueur sportif, promoteur de centre de formation n’en dira pas moins. Selon lui, l’ex président de la CAF a connu 29 ans de gestion opaque qui n’a pas permis de professionnaliser la discipline sur le continent. Lisez ses analyses et propositions surtout en ce qui concerne le football béninois.
L’Evénement Précis: Vous avez suivi les changements qu’il y a eus au niveau de la CAF avec l’élection de Ahmad Ahmad comme président du comité exécutif. Qu’en dites-vous ?
Mahamat Béchir: Je suis fou de bonheur.
Pourquoi ?
Tout simplement, parce que pendant un très long moment, on a réduit l’évolution du football africain à la seule volonté de Issa Hayatou. Il y avait des gens qu’il a formés pour faire ce qu’il voulait. Aujourd’hui, on se rend compte que les équipes africaines ont beaucoup progressé par des programmes qu’il n’a pas animés à savoir les centres de formations privés dans les Etats, qui permettent au football africain d’évoluer et d’être brillant au plan mondial ainsi que dans les clubs. Donc, ce n’est de son fait que la qualité du football en Afrique a connu de progrès. Bien au contraire, il a cherché à mettre un frein aux élans de tous les anciens footballeurs africains de renoms qui avaient des moyens afin de les empêcher de s’épanouir et de s’opposer à lui. Il n’hésitait pas à éliminer ou priver le pays d’où proviennent ces anciens footballeurs qui tentent d’aller contre lui, de toutes les faveurs dont il aurait pu bénéficier de la CAF. Il y a par exemple le cas d’Antoine Bel. Ce qui fait que, sous son règne, il n’y a pratiquement eu aucun grand champion pour animer la gestion du football. La plupart de ses protégés étaient des nécessiteux dont Hayatou a fait des sous-fifres qu’il maintenait constamment sous ordre. Ils ont fait campagnes pour voter pour lui. …
Comment peut on expliquer cet échec d’Issa Hayatou?
C’est un échec dû à l’homme lui- même. Savez vous qu’il n’a pas organisé une tournée pour faire campagne ? Cela parce qu’il était trop sûr de lui. Alors que derrière, il y a des gens qui voulaient d’une alternance. Car, beaucoup étaient fatigués de la gabegie instaurée par Issa Hayatou et ses collaborateurs. L’autre chose, je pourrais dire qu’il y a la revanche du président de la FIFA. Vous savez que Hayatou avait eu un candidat contre Gianni Infantino, l’actuel président de la FIFA. Ce dernier qu’on a appris, qui était venu assister les élections, a dû aller aussi contre lui. Infantino était au Niger. Il a fait une tournée en Afrique. C’est pour pouvoir passer un message. Un message dont nous avons vu le résultat.
Qu’est-ce qu’on peut reprocher à Hayatou quand on sait que c’est sous lui que l’Afrique en thermes de football a connu d’évolution au point d’abriter des évènement mondiaux dont la coupe du monde junior, senior, coupe des confédérations pour ne citer que ceux- là ?
J’ai déjà commencé par citer. Hayatou n’a pas fait d’ouverture pour permettre aux anciens joueurs de participer à la gestion de la chose avec lui comme cela s’est fait ailleurs. Il y a le fait qu’il a également trop duré à la tête de l’institution. Cela lui a donné un caractère d’inamovibilité. Et malheureusement, il n’a pas construit l’Afrique du football. Regardez par exemple la dernière CAN qui a lieu au Gabon. Le constat fait est que toutes les pelouses des différents stades étaient en mauvais état. Cela veut dire que les deals obscures entre les présidents (aider le président Bongo à assurer son élection) ont été faits au détriment de la qualité du jeu, au détriment aussi de la santé physique des joueurs. Nous avons vu des joueurs qui étaient blessés en pagaille. Ce qui montre que l’état des aires de jeu n’était pas approprié à la pratique du football. Il y a aussi son esprit de vouloir marquer les coups à tous ceux qui vont contre son désir. Prenons le cas toujours de cette CAN. Son organisation devrait être attribuée à l’Algérie. Mais comme l’Algérie a été candidat à la présidence de la FIFA, automatiquement, on l’a bloqué et annulé l’affectation de l’organisation à ce pays. Et c’est au Gabon qu’on l’a envoyé avec tous les résultats que nous avons vus. L’autre chose, il y a ce retrait de l’organisation de la CAN 2017 au Madagascar, parce qu’Ahmad Ahmad avait déclaré qu’il est candidat contre Hayatou. Et puis, il se permet de donner la note de 18/20 à l’Angola pour la CAN qu’il a abritée. Alors qu’il y a eu fusillade sur le bus d’une équipe (ndlr Les Eperviers du Togo) suivi de mort d’hommes. La CAF de Issa Hayatou n’a eu aucun de mots de soutien envers les togolais. C’est pour vous dire que ce sont ses intérêts immédiats qui comptent pour lui.
Il a dit que les Etats africains ne doivent pas s’immiscer dans la gestion des fédérations. C’est ce qu’il a mis dans l’esprit de tout le monde. Mais il a oublié de nous dire que, par exemple en Europe, le football est professionnel et qu’ verse de l’argent à l’Etat. Les joueurs payent les impôts, les équipes font pareil. Et c’est cet argent que l’Etat fait tourner au profit des équipes. Et partir de ce moment, où le football enrichit l’Etat, il peut mettre une barrière à l’Etat pour éviter qu’il intervienne. A contrario, en Afrique, aucune fédération ne met l’argent dans la préparation des équipes nationales. C’est l’Etat qui donne tout l’argent et ses infrastructures. L’Etat n’a même pas un droit de regard sur les subventions allouées aux fédérations par la CAF et la FIFA. Vous ne pouvez pas demander à quelqu’un de vous donner tout ce qu’il vous faut sans qu’il n’ait un droit de regard.
Il faudra que la nouvelle équipe de la confédération fasse en sorte qu’il y ait cet équilibre là, afin qu’on puisse faire en sorte que le football soit beaucoup plus professionnel. Mais tant qu’on avait Issa Hayatou, on ne pouvait pas rendre le football professionnel. Parce que, par son fait, les championnats ne se déroulent pas dans beaucoup de pays. Tout simplement parce qu’il y a des crises partout. Avec cela, on ne peut pas professionnaliser le football.
Qu’est-ce qui va changer sous la gestion du nouveau président Ahmad Ahmad ?
C’est le système de gestion. Il faut qu’il y ait une gestion moins opaque. Une liberté beaucoup plus donnée à l’approche des techniciens du football. Les anciens footballeurs qui ont de l’argent qui ont du vécu, qui ont créé des centres de formation, qu’il leur soit permis de venir partager leur compétences à l’Afrique pour pouvoir faire progresser le football africain. Aujourd’hui, si vous regardez bien, vous devriez remarquer que la France a sélectionné parmi les anciens footballeurs africains des gens qu’elle utilise dans la communication. Canal+ utilise aujourd’hui les anciens footballeurs africains comme consultants. Cela veut dire qu’eux, ils connaissent de quoi ont été capables ces gens là pour véhiculer la lecture d’un match et donner des conseils aussi. Et l’Afrique n’a pas su profiter de cela. Ahmad doit mettre en place un système qui se chargera de conseiller les chefs d’Etats africains à commencer par exonérer les éventuels sponsors, les mécènes, d’impôts pour qu’ils puissent investir plus dans l’animation du football.
Quel impact le changement opéré à la tête de la caf peut avoir sur le football béninois ?
Impact, il y en aura forcément. Le football béninois doit pouvoir respirer. Ce qui va se passer, c’est que plusieurs des responsables du football doivent partir. Pour moi, ils ne sont plus en position de force pour discuter l’autorité de l’Etat. Parce que eux-mêmes, ils sont affaiblis depuis le départ de Issa Hayatou. Tous ceux qui gravitent autour de l’organisation du football au Bénin sont des non pratiquants du football d’un certain niveau. Ils n’ont pas d’autre travail que çà. Donc, au départ ils n’avaient rien et se sont enrichis au détriment des footballeurs avec l’argent du football. Avec l’arrivée d’Ahmad Ahmad, qui a promis qu’il va redonner la force aux fédérations, en le retournant le pouvoir que Hayatou leur avait arraché, le Bénin pourra élire son comité exécutif de façon libre et transparente sans que la CAF ne vienne imposer quelqu’un ou un groupe.
L’Etat va pouvoir fixer le droit de regard en mettant un contrat avec la fédération. L’envoi des fax tous azimutes par la CAF va cesser. La fédération béninoise de football n’aura plus à recevoir des injonctions tous azimutes en cas de conflits entre les acteurs comme ce fut le cas, il y a quelques mois. Tous les profiteurs du football vont disparaitre au profit d’une bonne visibilité et d’une meilleure gestion du football béninois. Et pour y arriver, il faudra trouver un candidat indépendant, une nouvelle tête. Nous avons besoin de mettre en place une nouvelle équipe. Cela aidera à aller de l’avant. Mais avant, il faut que le ministère essaie de tempérer toutes les tensions.
Vous êtes un promoteur de centre de formation. Si vous y êtes depuis des années déjà, c’est bien parce que vous croyez que le développement du football au Bénin passera par là…
Exactement. Vous savez, c’est une obligation d’amener le football à la base. Parce c’est cette absence de base qui fait le défaut majeur du football béninois. C’est au niveau de la base qu’on apprend les fondamentaux. Et quand je jette un coup d’œil sur le programme du ministère des sports, je trouve que c’est beaucoup plus pour l’animation que pour la formation à la performance. Il faut dans un premier temps former les formateurs. Ce n’est pas n’importe qui, qui va se lever et ouvrir un centre de formation ou bien l’Etat qui va se lever pour dire qu’il ouvre des centres d’animations. L’Etat doit accompagner les centres de formations qui existent déjà en leur donnant des moyens. Cela participera plus à atteindre les objectifs. Mon centre par exemple était en France pour un tournoi à l’issue duquel nous avons obtenu 4 victoires et une défaite contre le champion qui est une équipe d’un centre anglais. A la fin un des recruteurs qui a suivi nos matches voulait prendre 4 joueurs chez nous. Si sans très grand moyen nous arrivons à attirer le regard des gens de la sorte, imaginez ce qu’on fera s’il y avait réellement les moyens ? Il y a du potentiel chez nous. Il faut que l’Etat sorte les moyens pour accompagner les centres. Il faut donc aller à la base former les formateurs et entretenir les centres de formation.
Que diriez-vous pour conclure cet entretien ?
Je vais remercier Dieu pour le départ de Issa Hayatou. Souhaiter une bonne arrivée à la nouvelle équipe, surtout bon consensus autour des nouveaux dirigeants. L’autre chose, je souhaite que l’Etat béninois suive les centres de formations, qu’il fasse du travail à la base une priorité et mette les moyens à disposition.
Entretien réalisé par Anselme HOUENOUKPO