Beaucoup pensaient que Patrice Talon améliorerait la procédure liée à la poursuite du Chef de l’Etat. Erreur. Le successeur de Yayi Boni a non seulement maintenu la procédure prévue jusque-là, mais il a aussi tenté de renforcer son "immunité" dans le projet de révision de la Constitution envoyé au Parlement.
Les grands changements constitutionnels espérés par le peuple ne seront peut-être jamais concrétisés sous le régime de la Rupture. Si le projet de révision constitutionnel concocté par le gouvernement est adopté en l’état, bien des dirigeants n’auront jamais à justifier leurs actes délictuels devant la justice. Le projet de révision constitutionnelle qui sera bientôt étudié par l’Assemblée nationale est taillé sur mesure. C’est un texte qui garantit toujours l’impunité aux gouvernants notamment au Chef de l’Etat.En effet, l’article 137 de la Constitution du 11 décembre 1990 dispose :« La Haute Cour de justice est liée par la définition des infractions et par la détermination des sanctions résultant des lois pénales en vigueur à l’époque des faits. La décision de poursuite puis la mise en accusation du Président de la République et des membres du gouvernement est votée à la majorité des deux tiers des députés composant l’Assemblée nationale, selon la procédure prévue par le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. L’instruction est menée par les magistrats de la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel ayant juridiction sur le lieu du siège de l’Assemblée nationale ». C’est une disposition qui accuse assez d’incongruités. Car dans les faits, aucun ministre n’a été encore mis en accusation alors que des soupçons pèsent toujours sur plusieurs personnes ayant appartenu à un gouvernement. La procédure de poursuite et de mise en accusation du président de la République et des membres du gouvernement est assez complexe. Elle est soumise à la seule volonté des politiques ; les députés qui pourraient refuser que lumière soit faite sur des soupçons. Presque tout le monde est convenu d’alléger cette procédure pour que le système judiciaire béninois cesse de couvrir des super citoyens et décide enfin de leur permettre de s’expliquer. Le projet de révision constitutionnelle, lui, n’a pas osé détruire cette lourde protection dont bénéficie le Chef de l’Etat. Patrice Talon a dans son projet réformé la procédure judiciaire à l’encontre des ministres qui ne sont pas en fonction. L’article 137-2 proposé stipule en effet : « … Lorsqu’ils ne sont pas en fonction, la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions commises par les membres du gouvernement sont soumis aux juridictions de droit commun. Toutefois l’instruction est menée par un collège de trois (3) juges comprenant le Doyen des juges d’instruction ainsi que deux juges au tribunal désignés par tirage au sort ». Mais il faudra toujours l’autorisation des 2/3 du Parlement pour poursuivre le Chef de l’Etat ayant déjà fini son mandat pour les actes qu’il aurait commis en fonction. Pire, l’article 137-4 du projet interdit clairement « la détention provisoire et la garde à vue à l’égard du Chef de l’Etat en fonction ou non ». Pour Talon et ses juristes, le Chef de l’Etat reste un monarque qui a droit à un traitement de faveur même si on lui reproche de pires crimes. Alors qu’aujourd’hui la tendance dans les grandes démocraties est de poursuivre les dirigeants véreux devant les juridictions de droit commun, au Bénin, le régime de la Rupture semble œuvrer pour soustraire désormais le président de la République à la rigueur de la loi.
Une Cour des comptes manipulable …
Le projet de révision de la Constitution propose la création et l’institutionnalisation d’une Cour des Comptes. Ce sera à en croire le projet, la plus haute juridiction de l’Etat en matière de contrôle des comptes publics voire l’institution supérieure de contrôle des finances publiques. C’est donc cette Cour qui certifiera toute la gestion de la Rupture. Mais le même texte propose dans des dispositions transitoires notamment l’article 157 alinéa 2 nouveau : « Les nouvelles modalités d’organisation et les nouvelles durées des mandats des membres des institutions de la République n’entrent en vigueur qu’à l’expiration des mandats en cours à la date de la promulgation de la présente loi constitutionnelle. Le président de la République nomme les premiers membres du Conseil supérieur des Comptes sur proposition du ministre en charge de la Justice ». Cette proposition révèle sans détour une tentative manifeste d’influencer toute décision du premier Conseil supérieur des Comptes. Certains observateurs y voient une volonté du Chef de l’Etat d’influencer la future institution supérieure de contrôle des finances publiques. Ils confient que c’est bien une façon d’ériger un système opaque autour de sa gestion. Les mêmes observateurs font d’ailleurs un lien entre la disposition transitoire sur la Cour des comptes et l’article 145 nouveau du projet de révision. Leditarticle dispose en effet que «…les conventions de financement soumises à ratification sont ratifiées par le président de la République qui en rend compte à l’Assemblée nationale dans un délai de quatre-vingt-dix jours». Pour eux, Patrice Talon compte engager, lui seul, le Bénin dans toutes sortes d’accords de prêts, quitte à faire supporter les conséquences désastreuses par le contribuable. Et pour se prémunir contre d’éventuelle poursuite, il a prévu d’installer un Conseil supérieur des comptes totalementmis au pas. Le danger est là. Le projet de révision de la Constitution élaboré par la Rupture comporte de gros pièges.
Mike MAHOUNA